– Comment s'amuse-t-on, ici? demanda Jâ à Nira. J'ai huit jours de convalescence à utiliser.
– Veux-tu que je danse pour toi? dit Nira.
– Tu sais danser?
– Bien sûr, tu vas voir…
Elle s'arrêta et reprit
– Ou alors, tu pourrais peut-être m'emmener à l'Eden, je danserai plus tard.
– Qu'est-ce que c'est, l'Eden?
Elle frappa dans ses mains.
– Oh, oui! Emmène-moi; je suis sûre que ça te plaira, tu verras!
Elle le prit par la main et Jâ se laissa diriger vers la porte. Ils descendirent en douceurs par le puits magnétique et sortirent dans la rue. Ils marchèrent côte à côte sous les grands arbres. Jâ se laissait ravir par l'ambiance de jeunesse et de gaieté enfantine distillée par Nira. Il admirait la souplesse de sa démarche, son enthousiasme puéril la beauté des longs cheveux d'or qui ondulaient sur ses épaules galbés.
Ils arrivèrent sur une vaste place. Au milieu de l'espace libre, deux ouvertures circulaires perçaient le sol. Par l'une d'elles sortaient des gens, comme aspirés par une force invisible jusqu'à la surface. Le deuxième puits magnétique était réservé à l'entrée.
Jâ réprima un recul au moment de poser les pieds dans le vide du puits. Mais il se sentit descendre sans heurt en compagnie de la jeune femme et de quelques personnes. Ils arrivèrent au bout après deux minutes de voyage en profondeur. Jâ regarda autour de lui et n'en crut pas ses yeux. Il se crut un instant sur la Terre dans un parc merveilleux, aux pelouses immenses, aux arbres magnifiques étoilés de fleurs géantes et multicolores.
De la voûte tombait une lumière qui rappelait celle du soleil sur la bonne vieille planète, par un beau matin de printemps. L'illusion était parfaite. On ne distinguait aucun plafond. La clarté paraissait venir de très, très haut à travers un ciel bleu. De toutes parts, des vallons, des forêts, des collines vertes, des torrents bondissant entre des rocs polis.
Des gens couraient, ivres de liberté. D'autres plongeaient dans une rivière, avec de grands éclats de rire. L'air résonnait de cris joyeux. C'était vraiment l'Eden, le paradis terrestre. La Terre, certes, mais sans insectes désagréables, sans vase au fond des cours d'eau, sans animaux sales ou dangereux et sans orties au bord des chemins.
– On se croirait sur la Terre, dit-il en mentant un peu, avec cette différence que là-bas, il n'y a pas besoin de descendre au fond d'un trou pour voir ça. C'est partout comme ici.
Il suivit Nira, qui l'entraîna dans une course folle en direction d'une vaste prairie. Ils la traversèrent pour pénétrer dans une forêt.
– Où m'emmènes-tu? demanda Jâ.
– Sur les bords du lac, c'est ce que je préfère.
Ils couraient comme des dieux, allégés par la faiblesse de la pesanteur lunaire. Soudain, Jâ s'arrêta. Nira courut encore quelques foulées et se retourna.
– Que faites-vous?
Jâ désigna un arbre.
– Un cerisier, dit-il. Est-ce que tu ne manges jamais de cerises?
– De cerises? Oh, si, bien sûr. Mais ce n'est pas fait pour manger, ça sert seulement à se distraire la bouche.
– J'aime bien l'expression. En tout cas, j'ai fort envie de me distraire la bouche avec, pour changer de la pâte.
Il pilla littéralement une branche et se gorgea de cerises, sous l'œil étonné de sa compagne.
– Est-ce que vous êtes tous gourmands comme ça, sur la Terre? demanda-t-elle.
– Non, dit Jâ la bouche pleine (les fruits passaient facilement en forçant un peu les mailles élastiques du vêtement). Je ne suis pas particulièrement goinfre, ma petite, mais c'est la seule nourriture vraiment sympathique qu'il m'ait été donné de rencontrer depuis longtemps.
Il emplit sa main gauche de cerises, et poursuivit sa marche aux côtés de Nira, tout en crachotant des noyaux de temps en temps.
Ils s'engagèrent dans une gorge où chantait une petite cascade d'une eau incroyablement claire. De chaque côté, une lisse muraille de basalte montait,jusqu'à la voûte invisible d'où tombait la réconfortante lumière.
Des touffes de buissons à larges feuilles croissaient çà et là, sous l'ombre de fougères arborescentes.
– En fait, dit Nira, la chaleur serait insupportable ici, sans nos maillots. Mais elle est nécessaire à l'exubérance des plantes. Nous arrivons au lac.
La gorge s'élargit et Jâ s'emplit les yeux d'un merveilleux spectacle. Une vaste étendue d'eau limpide s'étalait devant eux au bas d'une pente fleurie. La surface que n'agitait aucune brise était polie comme un miroir et reflétait les vertigineuses falaises vertes et les plages qui l'entouraient.
– Si nous allions nager! dit Nira.
Ils coururent au lac, quittèrent leurs cothurnes et plongèrent côte à côte. Jâ se dit qu'il n'avait jamais si bien plongé de sa vie. La faible pesanteur lui avait permis une chute donnant une délicieuse impression de lenteur: un véritable vol plané. Il brassa largement l'eau et avança très vite, laissant loin derrière lui la jeune femme. Tous ses gestes lui paraissaient faciles, exempts d'efforts, il se sentit un surhomme.
Sa nage le mena sur une petite grève; il s'allongea, plongea amoureusement ses mains dans le sable et attendit Nira. Quand elle arriva, il lui sourit et lui fit signe de s'asseoir à son côté. Après de longs jours de souffrances morales dans des paysages désolés, il se sentait revivre.