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Camille considéra Soliman, ses yeux bruns et brillants, ses lèvres un peu tremblantes.

– Pas tout à fait, reconnut-elle.

– Tu sais ce qui arrive aux pauvres morts assassinés que personne n'a vengés?

– Non, Sol, comment veux-tu que je le sache?

– Ils pourrissent dans le marigot puant aux crocodiles sans que jamais leur esprit ne puisse se dépêtrer de la vase.

Le Veilleux posa sa main sur l'épaule du jeune homme.

– On n'en est pas sûr, de ça, observa-t-il à voix basse.

– Entendu, lui répondit Soliman. Je ne suis même pas certain que ce soit dans un marigot.

– N'invente pas d'histoire africaine, Sol, dit le Veilleux sur le même ton. Ça va tout compliquer pour la jeune femme.

Le regard de Soliman revint vers Camille.

– Alors tu sais ce qu'on va faire, le Veilleux et moi? reprit-il.

Camille haussa les sourcils, attendit la suite. Elle n'était pas exactement rassurée par le comportement fébrile de Soliman. D'ordinaire, Sol était un garçon assez paisible. Elle l'avait laissé dimanche dernier bouelé dans les toilettes, et elle le retrouvait ce soir libéré mais presque hors de lui. La mort de Suzanne avait déjanté le petit et secoué le vieux.

– On va partir à ses trousses, annonça Soliman. Puisque les flics ne veulent pas le faire, on va partir à ses trousses.

– On va lui coller au cul, confirma le Veilleux.

– El on le harponnera.

– El après? questionna Camille, méfiante. Vous le remettrez aux flics?

– Des queues, dit Soliman, digne héritier du fier langage de Suzanne. Si on le rend aux flics, les flics le rendront à la nature et il faudra remettre ça. Le Veilleux et moi, on ne va pas passer notre existence à courser ce vampire. Tout ce qu'on veut, c'est venger ma mère. Alors on le harponnera, et quand on l'aura harponné, on l'effacera.

– Effacera? répéta Camille.

– On le zigouillera, quoi.

– Et après qu'il sera mort et bien mort, précisa le Veilleux, on lui ouvrira le bide depuis la gorge jusqu'aux couilles pour, voir si les poils ils sont dedans. Il a déjà de la chance qu'on ne lui fasse pas vivant.

– C'est le progrès, murmura Camille.

Elle rencontra le regard du Veilleux, de beaux yeux qui avaient la teinte du whisky.

– Vous marchez dans cette histoire de poils? lui demanda-t-elle. Vous marchez vraiment dans cette histoire?

– Dans cette histoire de poils? répéta le Veilleux de sa voix sourde.

Il fit une sorte de grimace et ne répondit pas.

– Massart est un loup-garou, gronda-t-il après un instant. Votre trappeur l'a dit aussi.

– Lawrence n'a jamais dit ça. Lawrence a dit que tous ceux qui croyaient au loup-garou étaient de vieux enculés arriérés. Lawrence a dit que tous ceux qui parleraient d'ouvrir un gars depuis la gorge jusqu'aux couilles le trouveraient sur leur route avec un fusil de chasse à l'ours. Lawrence a dit enfin que Massart tuait avec un dogue, ou avec un grand loup, Crassus le Pelé, qu'on a perdu de vue depuis deux ans. Ce sont les dents de ce loup, et pas celles de Massart.

Le Veilleux plissa ses lèvres et raidit son dos, sans ajouter un mot.

– De toute façon, coupa Soliman, c'est l'assassin de ma mère. Alors, le Veilleux et moi, on va partir à ses trousses.

– On va lui coller au cul.

– Et quand on l'attrapera, on le tuera.

– Non, dit Camille.

– Et pourquoi non? dit Soliman en se dressant.

– Parce qu'après vous ne vaudrez pas plus cher que lui, mais de toute manière on s'en foutra parce que vous serez en tôle pour le reste de vos vies d'abrutis. Suzanne sera peut-être sortie du marigot puant, c'est bien possible, et Massart aura son compte, bide ouvert ou pas bide ouvert, poils dedans ou pas poils dedans, mais vous, vous aurez toutes vos vieilles vies d'assassins à cuver en tôle en comptant les moutons la nuit.

– On ne se fera pas prendre, dit Soliman en levant le menton d'un mouvement fier.

– Si. Vous vous ferez prendre. Mais ce n'est pas mon affaire, dit soudain Camille en les regardant tour à tour. Je ne sais pas pourquoi vous êtes venus me raconter ça mais je ne voulais pas le savoir et je ne discute pas avec les vengeurs, les assassins et les ouvreurs de bide.

Elle alla à la porte et l'ouvrit.

– Salut, dit-elle.

– Tu n'as pas compris, dit Soliman d'une voix redevenue hésitante. On s'est mal compris.

– M'en fous.

– On a du chagrin.

– Je sais.

– Il peut en tuer d'autres.

– C'est l'affaire des flics.

– Les flics ne bougent pas.

– Je sais. On a déjà dit tout ça.

– Alors, le Veilleux et moi…

– Vous allez lui coller au cul. J'ai bien saisi, Sol. J'ai bien saisi toute l'opération.

– Pas toute, Camille.

– Il manque une bricole?

– Il manque toi. On ne t'a pas expliqué que tu faisais partie de l'opération. Tu pars avec nous.

– Enfin… ajouta poliment le Veilleux, si vous voulez bien.

– C'est une blague? dit Camille.

– Explique-lui, commanda le Veilleux à Soliman.

– Camille, dit Soliman, tu ne veux pas lâcher cette foutue porte et venir t'asseoir? T'asseoir là avec nous, entre amis?

– On n'est pas entre amis. On est entre assassins et plombier.

– Mais tu ne veux pas venir t'asseoir? Entre assassins et plombier?

– Vu comme ça, dit Camille.

Elle claqua la porte et s'assit sur un tabouret, face aux deux hommes, les coudes sur la table.

– Voilà, dit Soliman. Moi et le Veilleux, on va lui coller au cul.

– Bon, dit Camille.

– Mais pour ça, faudrait déjà pouvoir avancer. On ne va pas y aller à pied, pas vrai?

– Allez-y comme vous voulez. A pied, à ski, à dos de mouton, qu'est-ce que tu veux que ça me foute?

– Massart, continua Soliman, a sûrement pris une voiture.

– Pas la sienne en tous les cas, dit Camille. La fourgon nette est restée là-haut.

– Il est pas stupide, le vampire. Il a pris une autre voiture.

– Très bien. Il en a pris une autre.

– Alors nous, on le suit en voiture, tu saisis?

– Je saisis. Tu lui colles au cul.

– Mais on n'a pas de voiture.

– Non, dit le Veilleux. On n'en a pas.

– Eh bien prends-en une. Celle de Massart par exemple.

– Mais on n'a pas de permis.

– Non, dit le Veilleux. On n'en a pas.

– Où veux-tu en venir, Sol? Je n'ai pas de voiture non plus. Et Lawrence n'a qu'une moto.

– Mais nous, on a un camion, dit Soliman.

– Tu parles de la bétaillère?

– Ouais. Tu le dirais peut-être pas, mais c'est un camion.

– Eh bien parfait, Sol, dit Camille en soupirant. Prends la bétaillère et colle-lui au cul et bon vent.

– Mais c'est comme je te le disais, Camille. On n'a pas le permis.

– Non, dit le Veilleux.

– Tandis que toi, tu l'as, le permis. Et t'as déjà conduit des poids lourds.

Camille les regarda l'un et l'autre, incrédule.

– T'as mis du temps à me comprendre, dit Soliman.

– Je n'ai pas envie de te comprendre.

– Alors je t'explique plus à fond.

– Laisse le fond tranquille. Je ne veux pas en entendre plus.

– Ecoute ça, écoule au moins ça: tu conduirais le camion, et tu n'aurais à t'occuper de rien d'autre, tu comprends? Juste conduire le camion. Moi et le Veilleux, on se chargerait de tout le reste. Conduire, Camille, on ne te demande que ça, conduire. Tu serais sourde et aveugle.

– Et abrutie.

– Aussi.

– Si j'ai bien saisi l'idée générale, récapitula Camille, je conduirais le camion, toi et le Veilleux seriez assis à mes côtés pour m'encourager, on rattraperait Massart, je lui roulerais dessus par mégarde, le Veilleux lui ouvrirait le ventre depuis la gorge jusqu'aux couilles, manière d'avoir la conscience, au net, on déposerait les bouts dans une gendarmerie et on rentrerait tous ici se restaurer avec un bon bol de soupe au lard?

Soliman s'agita.

– Ce n'est pas exactement ça, Camille…

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