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XXXV

Adamsberg regagna le camion à plus d'une heure du matin. Assise en tailleur sur son lit, Camille consultait le Catalogue de l'Outillage Professionnel avec une lampe de poche. Adamsberg s'assit à côté d'elle, examina la page des perceuses-ponceuses.

– Qu'est-ce que tu peux bien chercher là-dedans? dit-il.

– Du réconfort.

– À ce point?

– Tout est aléa, confusion et précarité, sauf le Catalogue.

– Tu es certaine de ça?

Camille haussa les épaules, sourit brièvement.

– On transfère Laurence à Paris demain, dit Adamsberg. Je rentre avec lui.

– Comment est-il?

– Comme les autres jours. Paisible, il trouve que les gendarmes puent la sueur.

– Et c'est vrai?

– Bien sûr que c'est vrai.

– Je lui écrirai quelque chose. Quand je serai dans la montagne.

– Tu retournes à Saint-Victor?

– Je les raccompagne aux Écarts. Je rentre aussi.

– Oui.

– C'est moi qui conduis.

– Oui, bien sûr.

– Ils ne savent pas conduire.

– Oui. Fais bien attention à cette route.

– Oui.

– Sois prudente.

– Je serai prudente.

Adamsberg passa son bras valide autour des épaules de Camille et la regarda en silenee, dans la lueur de la lampe de poche.

– Est-ce que tu reviendras? demanda-t-il.

– Je resterai là-bas quelques jours.

– Et puis tu partiras?

– Oui. Ils vont me manquer.

– Est-ce que tu reviendras?

– Où?

– Eh bien, je ne sais pas. À Paris?

– Je ne sais pas.

– Oh merde, Camille, ne parle pas comme moi. Rien n'avance, si tu parles comme moi.

– Tant mieux, dit Camille, ça m'arrange. Ça me plaît comme c'est maintenant.

– Mais après-demain, ce sera autrement. Après-demain, il n'y aura plus de bord de route, plus de camion, plus d'éphémère, plus de provisoire. Plus de bords de fleuves, non plus.

– J'en referai.

– Des bords de fleuves?

– Oui.

– Avec quoi?

– Avec le Catalogue. Le Catalogue peut tout.

– Si tu le dis. Qu'en feras-tu, des bords de fleuves?

– Je passerai voir si tu es là.

– J'y serai.

– Peut-être, dit Camille.

Le lendemain matin, Camille se glissa derrière le volant, mit le moteur en marche et recula la bétaillère pour amorcer son demi-tour dans un fracas de tôles. Alignés debout côte à côte, silencieux, le Veilleux, qui se tenait à nouveau droit, s'aidant de son bâton, Soliman et Adamsberg regardaient gravement le camion opérer sa manœuvre. Camille traversa la départementale, recula à nouveau, s'aligna sur le côté droit de la route, l'avant dirigé vers l'est, et coupa le moteur.

Adamsberg traversa lentement la route, grimpa les deux marches de la cabine, embrassa Camille, posa sa main sur ses cheveux, et revint sur le pré où l'attendaient les deux hommes. Il serra la main du Veilleux.

– Veille sur toi, mon gars, dit le Veilleux. Je suis plus derrière toi.

– Tout le monde n'a pas besoin de t'avoir dans les pattes, dit Soliman.

Soliman jeta un regard à Camille, puis serra la main d'Adamsberg.

– “Séparation”, dit-il. “Fait de se séparer, de rompre un lien, de se quitter."

Il rejoignit le camion, grimpa par la portière droite, hissa le Veilleux sur son siège et claqua la porte. Adamsberg leva la main et la bétaillère s'ébranla dans le vacarme de ses claires-voies. Il la regarda un moment s'éloigner, puis stopper à quatre-vingts mètres. Soliman s'éjecta de la cabine et courut vers lui.

– La bassine, merde.

Il passa devant Adamsberg sans s'arrêter, fila jusqu'à l'ancien emplacement du camion et ramassa sa bassine, perdue dans l'herbe couchée par les roues et les piétinements. Il revint en soufflant, marchant à grandes foulées. Parvenu à la hauteur d'Adamsberg, il s'arrêta, lui tendit à nouveau la main.

– "Destin”, dit-il. “Eventualités, rencontres. Hasard, circonstance qui fait trouver, fortuitement ou non, une personne ou une chose."

Il sourit et regagna la bétaillère, balançant avec élégance la bassine bleue au bout de son bras. Le camion démarra et tourna l'angle de la route.

Adamsberg tira le carnet de sa poche arrière, l'ouvrit et, tant qu'il s'en souvenait encore, nota la dernière définition de Soliman.

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