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– De poils animaux, précisa Adamsberg. Pour qu'on sache s'il s'agit d'un chien ou d'un loup.

– Ils connaissent l'heure de l'attaque? demanda Soliman.

– Aux alentours de quatre heures du matin.

– II aurait donc eu le temps de franchir la distance entre la Tête du Cavalier et Sautrey. Qu'est-ce que Sernot faisait dehors à quatre heures du matin? Ils ont une idée?

– Ça ne pose pas de problème à Montvailland. Sernot était un varappeur, un randonneur, de ces types amateurs des longues marches exténuantes, et un insomniaque. Il lui arrivait de se réveiller vers trois heures et de ne plus se rendormir. Quand il en avait assez, il partait marcher. Montvailland pense qu'il a croisé la bête dans sa chasse nocturne.

– C'est rationnel, dit Camille.

– Pourquoi l'animal lui aurait sauté dessus? demanda Soliman.

– Déboussolé.

– Ça s'est passé où? demanda Camille.

– Au carrefour de deux chemins de terre, à la Croisée du Calvaire. Il y a une grande croix de bois plantée sur un tertre. Le corps était au pied de la croix.

– Les cierges, murmura Soliman.

– Bigot, compléta le Veilleux.

– J'en ai aussi parlé à Montvailland.

– Tu lui as parlé de nous? dit Camille.

– C'est la seule chose dont je n'ai surtout pas parlé.

– Il n'y a pas de honte, dit le Veilleux avec une certaine hauteur.

Adamsberg leva les yeux vers le berger.

– Harceler un homme est interdit, dit-il. Ça tombe sous le coup de la loi.

– Nous, on s'en branle du coup de la loi, dit Soliman.

– On ne le harcèle pas, ajouta le Veilleux. On lui colle au cul. Ce n'est pas interdit.

– Si.

Adamsberg tendit son verre au Veilïeux.

– Montvailland sait que je suis à couvert, continua-t-il, que personne ne doit prononcer mon nom. Il croit que j'ai ramassé ces informations au cours de mon vagabondage.

– Tu te planques, mon gars? demanda le Veilleux.

Adamsberg hocha la tête.

– Une fille qui me cherche, question de vie ou de mort. Si les journaux annoncent ma présence, elle arrivera dans la minute qui suit pour me tirer une bonne petite balle dans le bide. Elle n'a pas d'autre idée.

– Qu'est-ce que tu vas faire? demanda le Veilleux. Tu vas la tuer?

– Non.

Le Veilleux fronça les sourcils.

– Alors quoi, tu vas cavaler toute ta vie?

– Je lui fabrique une autre idée. Je lui prépare un aiguillage.

– Malin, ça, un aiguillage, dit le Veilleux en plissant les yeux.

– Mais long. Il me manque une pièce.

Adamsberg rangea lentement le pain et les fruits dans le cageot, se leva, déposa le tout dans le camion.

– On va à Grenoble, annonça-t-il. J'ai rendez-vous avec le préfet, à titre officieux. Je veux l'informer que j'ai fourré l'idée de Massart dans le crâne de Montvailland. Je veux tenter de lui faire orienter l'enquête dans notre sens.

– C'est par où? demanda Camille en se levant.

– Tu ne sais pas non plus où est Grenoble? lui demanda Soliman.

– Merde, Sol. Contente-toi de me montrer la carte.

– C'est elle qui conduit, dit le Veilleux en touchant Soliman à l'épaule du bout de son bâton.

Dix kilomètres avant Grenoble, après l'embranchement sur l'autoroute, la voiture d'Adamsberg se laissa dépasser par la bétaillère. Camille le vit passer dans son rétroviseur et lui adresser des appels de phares répétés.

– On s'arrête, dit Camille. Il y a un pépin.

– Tu as un refuge dans deux kilomètres, dit Soliman.

– Elle a vu, dit le Veilleux.

Camille gara le camion, alluma les feux de détresse et rejoignit la voiture d'Adamsberg.

– Tu es en panne? demanda-t-elle en se penchant par la vitre.

Et soudain elle se trouva trop près, bien trop près de son visage. Elle lâcha la vitre et recula.

– Je viens de prendre les informations, cria Adainsberg par la fenêtre, pour couvrir le vacarme de l'autoroute. Quatorze bêtes égorgées cette nuit au nord-ouest de Grenoble.

– Où ça? cria Camille à son tour.

Adamsberg secoua la tête, sortit de la voiture.

– Quatorze bêtes, répéta-t-il, à Tiennes, au nord-ouest de Grenoble. Toujours sur l'itinéraire de Massart. Mais cette fois-ci, le loup est sorti de la montagne. On le tient, tu comprends?

– Tu veux dire qu'on est sortis des terres à loups?

Adamsberg acquiesça.

– Aucun flic ne pourra plus croire à l'errance d'un loup solitaire. La bête monte vers le nord, elle suit le tracé rouge, elle s'éloigne des zones sauvages. C'est un homme qui la mène. C'est forcément un homme. J'appelle Montvailland.

Adamsberg retourna à sa voiture pendant que Camille allait informer Soliman et le Veilleux.

– Tiennes, dit Camille. Montre-moi la carte. Quatorze bêtes.

– Nom de Dieu, gronda le Veilleux.

Camille repéra le lieu, passa la carte au Veilleux.

– Il y a de grosses bergeries par là? demanda-t-elle.

– Il y a des bergeries partout où il y a des hommes de bien.

Adamsberg revenait vers eux.

– Montvailland commence à douter, dit-il. Ils n'ont trouve aucun poil animal sur le corps de Sernot.

Du fond du camion, le Veilleux bougonna quelque chose d'inaudible.

– Je passe à Grenoble comme prévu, dit Adamsberg. Ce ne devrait plus être si difficile de convaincre le préfet.

– Tu vas demander à être officiellement en charge? interrogea Camille.

– Je n'ai pas de compétence territoriale. Et il y a cette fille, je ne veux pas qu'elle me repère. Toi, Camille, tu files sur Tiennes. Je vous rejoindrai là-bas.

– Où cela?

– Gare le camion avant l'entrée du village, où tu pourras, sur le bas-côté de la départementale.

– Et si je peux pas?

– Eh bien, disons que si vous n'êtes pas là, c'est que vous êtes ailleurs.

– D'accord. Disons comme ça.

– Vous arriverez à temps pour passer à l'église. Va voir s'il nous a laissé un mot.

– Des cierges?

– Par exemple.

– Tu penses qu'il souhaite qu'on le remarque?

– Je pense surtout qu'il nous mène où il veut. On va devoir doubler.

Camille remonta dans la cabine. C'était souvent comme cela avec Adamsberg, on n'était pas toujours certain d'avoir compris.

XXVII

Un peu après Grenoble, la montagne disparut brusquement. On entrait dans des terres ouvertes et, après une demi-année passée dans les Alpes, Camille eut l'impression que des pans de mur s'effondraient de toutes parts, qu'elle perdait brutalement ses appuis et ses repères. Dans le rétroviseur, elle regarda s'éloigner ce barrage protecteur, avec la sensation de pénétrer dans un monde béant, dépourvu de toute espèce de cadre, où les menaces et les comportements n'étaient plus prévisibles, pas même le sien. Il lui semblait qu'elle n'était plus étayée par rien de solide. Dès son arrivée à Tiennes, elle appellerait le Canadien. La voix de Lawrence lui rappellerait l'enserrement réconfortant des montagnes.

Tout cela pour une plaine. Elle jeta un coup d'œil vers Soliman et le Veilleux. Le berger fixait d'une mine maussade cette étendue sans grandeur et sans limites, qui le dépouillait du soutien de toute sa vie.

– C'est plat, hein? dit Camille.

La route était déformée, le camion résonnait de toutes ses tôles et il fallait élever le ton pour se faire entendre.

– C'est étouffant, dit le Veilleux de sa voix sourde.

– C'est comme ça jusqu'au pôle Nord à présent. Il va falloir l'accepter.

– On n'ira pas jusque-là, dit Soliman.

– On ira jusque-là si le vampire va jusque-là, dit le Veilleux.

– On l'aura avant. On a Adamsberg.

– Personne n'a Adamsberg, Sol, dit Camille. Tu n'as pas déjà pîgé ça?

– Si, dit Soliman d'un ton morne. Est-ce que tu connais, ajouta-t-il, l'histoire de l'homme qui voulait enfermer les yeux de son épouse dans une boîte pour les contempler quand il partait chasser?

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