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Chapitre LX L’élixir de vie

Balsamo, demeuré seul, vint écouter à la porte de Lorenza.

Elle dormait d’un sommeil égal et doux.

Il entrouvrit alors un guichet fixé en dehors et la contempla quelque temps dans une douce et tendre rêverie. Puis, repoussant le guichet et traversant la chambre que nous avons décrite et qui séparait l’appartement de Lorenza du cabinet de physique, il s’empressa d’aller éteindre ses fourneaux, en ouvrant un immense conduit qui dégagea toute la chaleur par la cheminée, et donna passage à l’eau d’un réservoir placé sur la terrasse.

Puis, serrant précieusement dans un portefeuille de maroquin noir le reçu du cardinal:

– La parole des Rohan est bonne, murmura-t-il, mais pour moi seulement, et là-bas il est bon que l’on sache à quoi j’emploie l’or des frères.

Ces paroles s’éteignaient sur ses lèvres, quand trois coups secs, frappés au plafond, lui firent lever la tête.

– Oh! oh! dit-il, voici Althotas qui m’appelle.

Puis, comme il donnait de l’air au laboratoire, rangeait toute chose avec méthode, replaçait la plaque sur les briques, les coups redoublèrent.

– Ah! il s’impatiente; c’est bon signe.

Balsamo prit une longue tringle de fer, et frappa à son tour.

Puis il alla détacher de la muraille un anneau de fer, et, au moyen d’un ressort qui se détendit, une trappe se détacha du plafond et s’abaissa jusqu’au sol du laboratoire. Balsamo se plaça au centre de la machine, qui, au moyen d’un autre ressort, remonta doucement, enlevant son fardeau avec la même facilité que les gloires de l’opéra enlèvent les dieux et les déesses, et l’élève se trouva chez le maître.

Cette nouvelle habitation du vieux savant pouvait avoir de huit à neuf pieds de hauteur sur seize de diamètre; elle était éclairée par le haut à la manière des puits et hermétiquement fermée sur les quatre façades.

Cette chambre était, comme on le voit, un palais relativement à son habitation dans la voiture.

Le vieillard était assis dans son fauteuil roulant, au centre d’une table de marbre taillée en fer à cheval, et encombrée de tout un monde, ou plutôt de tout un chaos de plantes, de fioles, d’outils, de livres, d’appareils et de papiers chargés de caractères cabalistiques.

Il était si préoccupé qu’il ne se dérangea point quand Balsamo apparut.

La lumière d’une lampe astrale, attachée au point culminant du vitrage, tombait sur son crâne nu et luisant.

Il ressassait entre ses doigts une bouteille de verre blanc dont il interrogeait la transparence, à peu près comme une ménagère qui fait son marché elle-même mire à la lumière les œufs qu’elle achète.

Balsamo le regarda d’abord en silence; puis, au bout d’un instant:

– Eh bien, dit-il, il y a donc du nouveau?

– Oui! oui! Arrive, Acharat! tu me vois enchanté, ravi; j’ai trouvé, j’ai trouvé!…

– Quoi?

– Ce que je cherchais, pardieu!

– L’or?

– Ah bien… oui, l’or! allons donc!

– Le diamant?

– Bon! le voilà qui extravague. L’or, le diamant, belles trouvailles, ma foi, et il y aurait de quoi se réjouir, sur mon âme, si j’avais trouvé cela!

– Alors, demanda Balsamo, ce que vous avez trouvé, c’est donc votre élixir?

– Oui, mon ami, c’est mon élixir; c’est-à-dire la vie, que dis-je, la vie! l’éternité de la vie.

– Oh! oh! fit Balsamo attristé, car il regardait cette recherche comme une œuvre folle, c’est encore de ce rêve que vous vous occupez?

Mais Althotas, sans l’écouter, mirait amoureusement sa fiole.

– Enfin, dit-il, la combinaison est trouvée: élixir d’Aristée, vingt grammes; baume de mercure, quinze grammes; précipité d’or, quinze grammes; essence de cèdre du Liban, vingt-cinq grammes.

– Mais il me semble, qu’à l’élixir d’Aristée près, c’est votre dernière combinaison, maître?

– Oui, mais il y manquait l’ingrédient principal, celui qui relie tous les autres, celui sans lequel les autres ne sont rien.

– Et vous l’avez trouvé, celui-là?

– Je l’ai trouvé.

– Vous pouvez vous le procurer?

– Pardieu!

– Quel est-il?

– Il faut ajouter aux matières déjà combinées dans cette fiole les trois dernières gouttes du sang artériel d’un enfant.

– Eh bien, mais cet enfant, dit Balsamo épouvanté, où l’aurez-vous?

– Tu me le procureras.

– Moi?

– Oui, toi.

– Vous êtes fou, maître.

– Eh bien, quoi? demanda l’impassible vieillard en promenant avec délice sa langue sur l’extérieur du flacon où, par le bouchon mal clos, suintait une goutte d’eau; eh bien, quoi?…

– Et vous voulez avoir un enfant pour prendre les trois dernières gouttes de son sang artériel?

– Oui.

– Mais il faut tuer l’enfant pour cela?

– Sans doute, il faut le tuer; plus il sera beau, mieux cela vaudra.

– Impossible, dit Balsamo en haussant les épaules, on ne prend pas ici les enfants pour les tuer.

– Bah! s’écria le vieillard avec une atroce naïveté, qu’est-ce donc qu’on en fait?

– On les élève, pardieu!

– Ah çà! le monde est donc changé? Il y a trois ans, on venait nous en offrir tant que nous en voulions, des enfants, pour quatre charges de poudre ou une demi-bouteille d’eau-de-vie.

– C’était au Congo, maître.

– Eh bien, oui, c’était au Congo. Il m’est égal que l’enfant soit noir, à moi. Ceux qu’on nous offrait, je me le rappelle, étaient très gentils, très frisés, très folâtres.

– À merveille! dit Balsamo; mais malheureusement, cher maître, nous ne sommes pas au Congo.

– Ah! nous ne sommes pas au Congo? dit Althotas. Eh bien, où sommes nous donc?

– À Paris.

– À Paris. Eh bien! en nous embarquant à Marseille, nous pouvons y être en six semaines, au Congo.

– Oui, cela se pourrait, sans doute, mais il faut que je reste en France.

– Il faut que tu restes en France! et pourquoi cela?

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