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– Notez, duc, fit la comtesse, qu’il ne va pas s’occuper de nous le moins du monde; il va donner la moitié de mes billets à quelque drôlesse, et jouer le reste dans quelque tripot; voilà ce qu’il va faire, et il pousse des hurlements, le misérable! Tenez, allez-vous-en, Jean, vous me faites horreur.

Jean dévalisa trois bonbonnières, qu’il vida dans ses poches, vola sur l’étagère une Chinoise qui avait des yeux de diamants, et partit en faisant le gros dos, poursuivi par les cris nerveux de la comtesse.

– Quel charmant garçon! dit Richelieu, du ton qu’un parasite prend pour louer un de ces terribles enfants sur lequel il appelle tout bas la chute du tonnerre; il vous est bien cher… n’est-ce pas, comtesse?

– Comme vous dites, duc, il a placé sa bonté sur moi, et elle lui rapporte trois ou quatre cent mille livres par an.

La pendule tinta.

– Midi et demi, comtesse, dit le duc; heureusement que vous êtes presque habillée; montrez-vous un peu à vos courtisans, qui croiraient qu’il y a éclipse, et montons vite en carrosse: vous savez comment se gouverne la chasse?

– C’était convenu hier entre Sa Majesté et moi: on allait dans la forêt de Marly, et l’on me prenait en passant.

– Oh! je suis bien sûr que le roi n’aura rien changé au programme.

– Maintenant votre plan à vous, duc? Car c’est à votre tour de le donner.

– Madame, dès hier, j’ai écrit à mon neveu, qui, du reste, si j’en crois mes pressentiments, doit déjà être en route.

– M. d’Aiguillon?

– Je serais bien étonné qu’il ne se croisât pas demain avec ma lettre, et qu’il ne fût pas ici demain ou après-demain au plus tard.

– Et vous comptez sur lui?

– Eh! madame, il a des idées.

– N’importe, nous sommes bien malades. Le roi céderait peut-être, s’il n’avait une peur horrible des affaires.

– De sorte que?…

– De sorte que je tremble qu’il ne consente jamais à sacrifier M. de Choiseul.

– Voulez-vous que je vous parle franc, comtesse?

– Certainement.

– Eh bien, je ne le crois pas non plus. Le roi aura cent tours pareils à celui d’hier. Sa Majesté a tant d’esprit! Vous, de votre côté, comtesse, vous n’irez pas risquer de perdre son amour par un entêtement inconcevable.

– Dame! c’est à réfléchir.

– Vous voyez bien, comtesse, que M. de Choiseul est là pour une éternité; pour l’en déloger, il ne faudrait rien moins qu’un miracle.

– Oui, un miracle, répéta Jeanne.

– Et malheureusement, les hommes n’en font plus, répondit le duc.

– Oh! répliqua madame du Barry, j’en connais un qui en fait encore, moi.

– Vous connaissez un homme qui fait des miracles, comtesse?

– Ma foi, oui.

– Et vous ne m’avez pas dit cela?

– J’y pense à cette heure seulement, duc.

– Croyez-vous ce gaillard-là capable de nous tirer d’affaire?

– Je le crois capable de tout.

– Oh! oh!… Et quel miracle a-t-il opéré? Dites-moi un peu cela, comtesse, que je juge par l’échantillon.

– Duc, dit madame du Barry en se rapprochant de Richelieu et en baissant la voix malgré elle, c’est un homme qui, il y a dix ans, m’a rencontrée sur la place Louis XV et m’a dit que je serais reine de France.

– En effet, c’est miraculeux, et cet homme-là serait capable de me prédire que je mourrai premier ministre.

– N’est-ce pas?

– Oh! je n’en doute pas un seul instant. Comment l’appelez-vous?

– Son nom ne vous apprendra rien.

– Où est-il?

– Ah! voilà ce que j’ignore.

– Il ne vous a pas donné son adresse?

– Non, il devait venir lui-même chercher sa récompense.

– Que lui aviez-vous promis?

– Tout ce qu’il me demanderait.

– Et il n’est pas venu?

– Non.

– Comtesse! voilà qui est plus miraculeux que sa prédiction. Décidément, il nous faut cet homme.

– Mais comment faire?

– Son nom, comtesse? son nom?

– Il en a deux.

– Procédons par ordre: le premier?

– Le comte de Fœnix.

– Comment, cet homme que vous m’avez montré le jour de votre présentation?

– Justement.

– Ce Prussien?

– Ce Prussien.

– Oh! je n’ai plus de confiance. Tous les sorciers que j’ai connus avaient des noms qui finissaient en i ou en o.

– Cela tombe à merveille, duc; son second nom finit à votre guise.

– Comment s’appelle-t-il?

– Joseph Balsamo.

– Enfin, n’auriez-vous aucun moyen de le retrouver?

– J’y vais rêver, duc. Je crois que je sais quelqu’un qui le connaît.

– Bon! Mais hâtez-vous, comtesse. Voici les trois quarts avant une heure.

– Je suis prête. Mon carrosse!

Dix minutes après, madame du Barry et M. le duc de Richelieu couraient côte à côte à la rencontre de la chasse.

Fin de la deuxième partie.

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