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– Il va se jeter en bas.

– Non pas, il est cramponné à la gouttière.

– Mais que regarde-t-il donc avec ces yeux ardents, avec cette ivresse sauvage?

– Il guette.

Le vicomte se frappa le front.

– J’y suis, s’écria-t-il.

– Quoi?

– Il guette la petite, pardieu!

– Mademoiselle de Taverney?

– Eh! oui, voilà l’amoureux du pigeonnier! Elle vient à Paris, il accourt; elle se loge rue Coq-Héron, il se sauve de chez nous pour aller demeurer rue Plâtrière; il la regarde, et elle rêve.

– Sur ma foi, c’est la vérité, dit Chon; voyez donc ce regard, cette fixité, ce feu livide de ses yeux: il est amoureux à en perdre la tête.

– Ma sœur, dit Jean, ne nous donnons plus la peine de guetter l’amoureuse, l’amoureux fera notre besogne.

– Pour son compte, oui.

– Non pas, pour le nôtre. Maintenant, laissez-moi passer, que j’aille un peu voir ce cher Sartine. Pardieu! nous avons de la chance. Mais prenez garde, Chon, que le philosophe ne vous voie; vous savez s’il décampe vite.

Chapitre LXIII Plan de campagne

M. de Sartine était rentré à trois heures du matin et était très fatigué, mais en même temps très satisfait, de la soirée qu’il avait improvisée au roi et à madame du Barry.

Réchauffé par l’arrivée de madame la dauphine, l’enthousiasme populaire avait salué Sa Majesté de plusieurs cris de «Vive le roi!» fort diminués de volume depuis cette fameuse maladie de Metz durant laquelle on avait vu toute la France dans les églises ou en pèlerinage, pour obtenir la santé du jeune Louis XV, appelé à cette époque Louis XV le Bien-Aimé.

D’un autre côté, madame du Barry, qui ne manquait guère d’être insultée en public par quelques acclamations d’un genre particulier, avait au contraire, contre son attente, été gracieusement accueillie par plusieurs rangées de spectateurs adroitement placés au premier plan, de sorte que le roi, satisfait, avait envoyé son petit sourire à M. de Sartine et que le lieutenant de police était assuré d’un bon remerciement.

Aussi avait-il cru pouvoir se lever à midi, ce qui ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps, et avait-il profité, en se levant, de cette espèce de jour de congé qu’il se donnait pour essayer une ou deux douzaines de perruques neuves, tout en écoutant les rapports de la nuit, lorsqu’à la sixième perruque et au tiers de la lecture, on annonça le vicomte Jean du Barry.

– Bon! pensa M. de Sartine, voici mon remerciement qui m’arrive! Qui sait, cependant? les femmes sont si capricieuses! Faites entrer M. le vicomte dans le salon.

Jean, déjà fatigué de sa matinée, s’assit dans un fauteuil, et le lieutenant de police, qui ne tarda point à le venir trouver, put se convaincre qu’il n’y aurait rien de fâcheux dans l’entretien.

En effet, Jean paraissait radieux.

Les deux hommes se serrèrent la main.

– Eh bien! vicomte, demanda M. de Sartine, qui vous a amené si matin?

– D’abord, répliqua Jean habitué avant toute chose à flatter l’amour-propre des gens qu’il avait besoin de ménager, d’abord j’éprouve le besoin de vous complimenter sur la belle ordonnance de votre fête d’hier.

– Ah! merci. Est-ce officiellement?

– Officiellement, quant à Luciennes.

– C’est tout ce qu’il me faut. N’est-ce pas là que le soleil se lève?

– Et qu’il se couche quelquefois même.

Et du Barry se mit à éclater de ce gros rire assez vulgaire, mais qui donnait à son personnage la bonhomie dont souvent il avait besoin.

– Mais, outre les compliments que j’ai à vous faire, je viens encore vous demander un service.

– Deux, s’ils sont possibles.

– Oh! vous allez me dire cela tout de suite. Quand une chose est perdue à Paris, y a-t-il quelque espérance de la retrouver?

– Si elle ne vaut rien ou si elle vaut beaucoup, oui.

– Ce que je cherche ne vaut pas grand-chose, dit Jean en secouant la tête.

– Que cherchez-vous?

– Je cherche un petit garçon de dix-huit ans à peu près.

M. de Sartine allongea la main vers un papier, prit un crayon et écrivit.

– Dix-huit ans. Comment s’appelle-t-il, votre petit garçon?

– Gilbert.

– Que fait-il?

– Le moins qu’il peut, je suppose.

– D’où vient-il?

– De la Lorraine.

– Où était-il?

– Au service des Taverney.

– Ils l’ont amené avec eux?

– Non, ma sœur Chon l’a ramassé sur la grande route, crevant de faim; elle l’a recueilli dans sa voiture et amené à Luciennes, et là…

– Eh bien, là?

– Je crains que le drôle n’ait abusé de l’hospitalité.

– Il a volé?

– Je ne dis pas cela.

– Mais enfin…

– Je dis qu’il a pris la fuite d’une étrange façon.

– Maintenant, vous voulez le ravoir?

– Oui.

– Avez-vous quelque idée de l’endroit où il peut être?

– Je l’ai rencontré aujourd’hui à la fontaine qui fait le coin de la rue Plâtrière, et j’ai tout lieu de penser qu’il demeure dans la rue. À la rigueur même, je crois que je pourrais désigner la maison…

– Eh bien, mais, si vous connaissez la maison, rien n’est plus facile que de l’y faire prendre, dans cette maison. Qu’en voulez-vous faire, une fois que vous le tiendrez? Le faire mettre à Charenton, à Bicêtre?

– Non, pas précisément.

– Oh! tout ce que vous voudrez, mon Dieu; ne vous gênez pas.

– Non, ce garçon, au contraire, plaisait à ma sœur, et elle eût aimé à le garder près d’elle; il est intelligent. Eh bien, si avec de la douceur on pouvait le lui ramener, ce serait charmant.

– On essayera. Vous n’avez fait aucune question rue Plâtrière pour savoir chez qui il était?

– Oh! non, vous comprenez que je n’ai pas voulu me faire remarquer, compromettre la position; il m’avait aperçu et s’était sauvé comme si le diable l’emportait; s’il eût su que je connaissais sa retraite, peut-être eût-il déménagé.

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