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– Quel était le nom dont l’appelait le vieillard?

– Acharat… N’est-ce pas un nom antichrétien, dites, Madame?…

– Et celui qu’il se donnait à lui-même?

– Joseph Balsamo.

– Et lui?

– Lui!… connaît tout le monde, devine tout le monde; il est contemporain de tous les temps; il vécut dans tous les âges; il parle… oh! mon Dieu! pardonnez-lui de pareils blasphèmes! non seulement d’Alexandre, de César, de Charlemagne, comme s’il les avait connus, et cependant, je crois que tous ces hommes-là sont morts depuis bien longtemps, mais encore de Caïphe, de Pilate, de Notre Seigneur Jésus-Christ, enfin, comme s’il eût assisté à son martyre.

– C’est quelque charlatan alors, dit la princesse.

– Madame, je ne sais peut-être point parfaitement ce que veut dire en France le nom que vous venez de prononcer; mais ce que je sais, c’est que c’est un homme dangereux, terrible, devant lequel tout plie, tout tombe, tout s’écroule; que l’on croit sans défense, et qui est armé; que l’on croit seul, et qui fait sortir des hommes de terre. Et cela sans force, sans violence, avec un mot, un geste… en souriant.

– C’est bien, dit la princesse, quel que soit cet homme, rassurez-vous, mon enfant, vous serez protégée contre lui.

– Par vous, n’est-ce pas, Madame?

– Oui, par moi, et cela tant que vous ne renoncerez pas vous-même à cette protection. Mais ne croyez plus, mais surtout ne cherchez plus à me faire croire aux surnaturelles visions que votre esprit malade a enfantées. Les murs de Saint-Denis, en tout cas, vous seront un rempart assuré contre le pouvoir infernal, et même, croyez-moi, contre un pouvoir bien plus à craindre, contre le pouvoir humain. Maintenant, madame, que comptez-vous faire?

– Avec ces bijoux qui m’appartiennent, Madame, je compte payer ma dot dans un couvent, dans celui-ci, si c’est possible.

Et Lorenza déposa sur une table de précieux bracelets, des bagues de prix, un diamant magnifique et de superbes boucles d’oreilles. Le tout pouvait valoir vingt mille écus.

– Ces bijoux sont à vous? demanda la princesse.

– Ils sont à moi, Madame; il me les a donnés, et je les rends à Dieu. Je ne désire qu’une chose.

– Laquelle? Dites!

– C’est que son cheval arabe Djérid, qui fut l’instrument de ma délivrance, lui soit rendu s’il le réclame.

– Mais vous, à aucun prix, n’est-ce pas, vous ne voulez retourner avec lui?

– Moi, je ne lui appartiens pas.

– C’est vrai, vous l’avez dit. Ainsi, madame, vous continuez à vouloir entrer à Saint-Denis et à continuer les pratiques de religion interrompues à Subiaco par l’étrange événement que vous m’avez raconté?

– C’est mon vœu le plus cher, Madame, et je sollicite cette faveur à vos genoux.

– Eh bien! soyez tranquille, mon enfant, dit la princesse, dès aujourd’hui vous vivrez parmi nous, et, lorsque vous nous aurez montré combien vous tenez à obtenir cette faveur; lorsque, par votre exemplaire conduite, à laquelle je m’attends, vous l’aurez méritée, ce jour-là vous appartiendrez au Seigneur et je vous réponds que nul ne vous enlèvera de Saint-Denis lorsque la supérieure veillera sur vous.

Lorenza se précipita aux pieds de sa protectrice, lui prodiguant les plus tendres, les plus sincères remerciements.

Mais tout à coup elle se releva sur un genou, écouta, pâlit, trembla.

– Oh! mon Dieu! dit-elle, mon Dieu! mon Dieu!

– Quoi? demanda Madame Louise.

– Tout mon corps tremble! Ne le voyez-vous pas? Il vient! Il vient!

– Qui cela?

– Lui! Lui qui a juré de me perdre.

– Cet homme?

– Oui, cet homme. Ne voyez-vous pas comme mes mains tremblent?

– En effet.

– Oh! s’écria-t-elle, le coup au cœur; il approche, il approche!

– Vous vous trompez.

– Non, non, Madame. Tenez, malgré moi, il m’attire, voyez; retenez-moi, retenez-moi.

Madame Louise saisit la jeune femme par le bras.

– Mais remettez-vous, pauvre enfant, dit-elle; fût-ce lui, mon Dieu, vous êtes ici en sûreté.

– Il approche, il approche, vous dis-je! s’écria Lorenza, terrifiée, anéantie, les yeux fixes, le bras étendu vers la porte de la chambre.

– Folie! Folie! dit la princesse. Est-ce que l’on entre ainsi chez Madame Louise de France?… Il faudrait que cet homme fût porteur d’un ordre du roi.

– Oh! Madame, je ne sais comment il est entré, s’écria Lorenza en se renversant en arrière; mais ce que je sais, ce dont je suis certaine, c’est qu’il monte l’escalier… c’est qu’il est à dix pas d’ici à peine… c’est que le voilà!

Tout à coup la porte s’ouvrit; la princesse recula, épouvantée malgré elle de cette coïncidence bizarre.

Une sœur parut.

– Qui est là? demanda Madame, et que voulez-vous?

– Madame, répondit la sœur, un gentilhomme vient de se présenter au couvent, qui veut parler à Votre Altesse royale.

– Son nom?

– Monsieur le comte de Fœnix.

– Est-ce lui? demanda la princesse à Lorenza, et connaissez-vous ce nom?

– Je ne connais pas ce nom; mais c’est lui, Madame, c’est lui.

– Que veut-il? demanda la princesse à la religieuse.

– Chargé d’une mission près du roi de France par Sa Majesté le roi de Prusse, il voudrait, dit-il, avoir l’honneur d’entretenir un instant Votre Altesse royale.

Madame Louise réfléchit un instant; puis, se retournant vers Lorenza:

– Entrez dans ce cabinet, dit-elle.

Lorenza obéit.

– Et vous, ma sœur, continua la princesse, faites entrer ce gentilhomme.

La sœur s’inclina et sortit.

La princesse s’assura que la porte du cabinet était bien close, et revint à son fauteuil, où elle s’assit, attendant, non sans une certaine émotion, l’événement qui allait s’accomplir.

Presque aussitôt, la sœur reparut. Derrière elle marchait cet homme que nous avons vu, le jour de la présentation, se faire annoncer chez le roi sous le nom du comte de Fœnix.

Il était revêtu du même costume, qui était un uniforme prussien, sévère dans sa coupe; il portait la perruque militaire et le col noir; ses grands yeux, si expressifs, s’abaissèrent en présence de Madame Louise, mais seulement pour donner au respect tout ce qu’un homme, si haut placé qu’il soit comme simple gentilhomme, doit de respect à une fille de France.

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