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Chapitre XLV La mansarde de M. Jacques

L’escalier, déjà étroit et difficile au bout de l’allée, à la place où Gilbert en avait heurté la première marche, devenait de plus en plus difficile et de plus en plus étroit à partir du troisième étage, qu’habitait Jacques. Celui-ci et son protégé arrivèrent donc péniblement à un vrai grenier. Cette fois, c’était Thérèse qui avait eu raison; c’était bien un vrai grenier coupé en quatre compartiments, dont trois étaient inhabités.

Il est vrai de dire que tous, même celui destiné à Gilbert, étaient inhabitables.

Le toit s’abaissait si rapidement à partir du comble, qu’il formait avec le plancher un angle aigu. Au milieu de cette pente, une lucarne fermée d’un mauvais châssis sans vitres donnait le jour et l’air: le jour chichement, l’air à profusion, surtout par les vents d’hiver.

Heureusement que l’on touchait à l’été, et cependant, malgré le doux voisinage de la chaude saison, la chandelle que tenait Jacques faillit s’éteindre lorsqu’ils pénétrèrent dans le grenier.

La paillasse dont avait fastueusement parlé Jacques gisait en effet à terre et s’offrait tout d’abord aux regards comme le meuble principal de la chambre. Çà et là des piles de vieux papiers imprimés, jaunis sur leurs tranches, s’élevaient au milieu d’un amas de livres rongés par les rats.

À deux cordes placées transversalement, et à la première desquelles faillit s’étrangler Gilbert, crépitaient en dansant au vent de la nuit des sacs de papier renfermant des haricots séchés dans leurs gousses, des herbes aromatiques et des linges de ménage mêlés à de vieilles hardes de femme.

– Ce n’est pas beau, dit Jacques; mais le sommeil et l’obscurité rendent égaux aux plus somptueux palais les plus pauvres chaumières. Dormez comme on dort à votre âge, mon jeune ami, et rien ne vous empêchera de croire demain matin que vous avez dormi dans le Louvre. Mais surtout prenez bien garde au feu!

– Oui, monsieur, dit Gilbert un peu étourdi de tout ce qu’il venait de voir et d’entendre.

Jacques sortit en lui souriant, puis il revint.

– Demain nous causerons, dit-il. Je pense que vous ne répugnerez point à travailler, n’est-ce pas?

– Vous savez, monsieur, répondit Gilbert, que travailler, au contraire, est tout mon désir.

– Voilà qui est bien.

Et Jacques fit de nouveau un pas vers la porte.

– Travail digne, bien entendu, répondit le pointilleux Gilbert.

– Je n’en connais pas d’autre, mon jeune ami. Ainsi donc, à demain.

– Bonsoir et merci, monsieur, dit Gilbert.

Jacques sortit, ferma la porte en dehors, et Gilbert resta seul dans son galetas.

D’abord émerveillé, puis pétrifié d’être à Paris, il se demanda si c’était bien Paris, cette ville où l’on voyait des chambres pareilles à la sienne.

Puis il réfléchit qu’au bout du compte M. Jacques lui faisait l’aumône, et comme il avait vu faire l’aumône à Taverney, non seulement il ne s’étonna plus, mais l’étonnement commença de faire place à la reconnaissance.

Sa chandelle à la main, il parcourut, en prenant les précautions recommandées par Jacques, tous les coins du galetas, s’occupant peu des habits de Thérèse, dont il ne voulut pas même distraire une vieille robe pour se faire une couverture.

Il s’arrêta aux piles de papiers imprimés qui éveillaient au dernier point sa curiosité.

Elles étaient ficelées; il n’y toucha point.

Le cou tendu, l’œil avide, il passa des liasses ficelées aux sacs de haricots.

Les sacs de haricots étaient faits d’un papier fort blanc, toujours imprimé, joint avec des épingles.

Dans un mouvement un peu brusque qu’il fit, Gilbert toucha la corde avec sa tête: un des sacs tomba.

Plus pâle, plus effaré que s’il eût forcé la serrure d’un coffre-fort, le jeune homme se hâta de ramasser les haricots épars sur le plancher et de les remettre dans le sac.

En se livrant à cette opération, il regarda machinalement le papier, machinalement encore ses yeux lurent quelques mots; ces mots attirèrent son attention. Il repoussa les haricots, et, s’asseyant sur sa paillasse, il lut, car ces mots étaient si parfaitement en harmonie avec sa pensée et surtout avec son caractère, qu’ils semblaient écrits, non seulement pour lui, mais encore par lui.

Les voici:

«D’ailleurs, des couturières, des filles de chambre, de petites marchandes ne me tentaient guère; il me fallait des demoiselles. Chacun a ses fantaisies; ç’a toujours été la mienne, et je ne pense pas comme Horace sur ce point-là. Ce n’est pourtant pas du tout la vanité de l’état et du rang qui m’attire, c’est un teint mieux conservé, de plus belles mains, une parure plus gracieuse, un air de délicatesse et de propreté sur toute la personne, plus de goût dans la manière de se mettre et de s’exprimer, une robe plus fine et mieux faite, une chaussure plus mignonne, des rubans, de la dentelle, des cheveux mieux ajustés. Je préférerais toujours la moins jolie, ayant tout cela. Je trouve moi même cette préférence fort ridicule, mais mon cœur la donne malgré moi.» [1]

Gilbert tressaillit et la sueur lui monta au front; il était impossible de mieux exprimer sa pensée, de mieux définir ses instincts, de mieux analyser son goût. Seulement, Andrée n’était pas la moins jolie ayant tout cela. Andrée avait tout cela et était la plus belle.

Gilbert continua donc avidement.

À la suite des lignes que nous avons citées venait une charmante aventure d’un jeune homme avec deux jeunes filles; l’histoire d’une cavalcade accompagnée de ces petits cris charmants qui rendent les femmes plus charmantes encore, parce qu’ils trahissent leur faiblesse; d’un voyage en croupe derrière l’une d’elles, et d’un retour nocturne plus charmant et plus délicieux encore.

L’intérêt allait gagnant; Gilbert avait déplié le sac et avait lu tout ce qu’il y avait d’imprimé sur le sac avec un certain battement de cour; il interrogea la pagination et se mit à chercher si les autres pages n’y faisaient pas suite. La pagination était interrompue, mais il retrouva sept ou huit sacs qui paraissaient se suivre. Il en ôta les épingles, vida les haricots sur le plancher, les assembla et lut.

Cette fois, c’était bien autre chose encore. Ces nouvelles pages contenaient les amours d’un jeune homme pauvre, inconnu, avec une grande dame. La grande dame était descendue jusqu’à lui, ou plutôt il était monté jusqu’à elle, et la grande dame l’avait accueilli comme s’il eût été son égal, et elle en avait fait son amant, l’initiant à tous les mystères du cœur, rêves de l’adolescence qui ont une si courte réalité, qu’arrivés de l’autre côté de la vie ils ne nous apparaissent plus que comme un de ces météores brillants, mais fugitifs, qui glissent au milieu d’un ciel étoilé de printemps.

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[1] «Les Confessions», livre IV.

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