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Chapitre LI Le comte de Fœnix

Pendant longtemps un silence profond laissa les deux femmes, l’une à ses méditations douloureuses, l’autre à son étonnement, facile à comprendre.

Enfin Madame Louise rompit la première le silence.

– Et vous n’avez rien fait pour faciliter cet enlèvement? dit-elle.

– Rien, Madame.

– Et vous ignorez comment vous êtes sortie du couvent?

– Je l’ignore.

– Cependant un couvent est bien fermé, bien gardé; il y a des barreaux aux fenêtres, des murs presque infranchissables, une tourière qui ne quitte pas ses clefs. Cela est ainsi, en Italie surtout, où les règles sont plus sévères encore qu’en France.

– Que vous dirai-je, Madame, quand moi-même depuis ce moment je m’abîme à creuser mes souvenirs sans y rien trouver?

– Mais vous lui reprochâtes votre enlèvement?

– Sans doute.

– Que vous répondit-il pour s’excuser?

– Qu’il m’aimait.

– Que lui dites-vous?

– Qu’il me faisait peur.

– Vous ne l’aimiez donc pas?

– Oh! non, non!

– En étiez-vous bien sûre?

– Hélas! Madame, c’était un sentiment étrange que j’éprouvais pour cet homme. Lui là, je ne suis plus moi, je suis lui; ce qu’il veut, je le veux; ce qu’il ordonne, je le fais; mon âme n’a plus de puissance, mon esprit plus de volonté: un regard me dompte et me fascine. Tantôt il semble pousser jusqu’au fond de mon cœur des pensées qui ne sont pas miennes, tantôt il semble attirer au dehors de moi des idées si bien cachées jusqu’alors à moi-même, que je ne les avais pas devinées. Oh! vous voyez bien, Madame, qu’il y a magie.

– C’est étrange, au moins, si ce n’est pas surnaturel, dit la princesse. Mais, après cet événement, comment viviez-vous avec cet homme?

– Il me témoignait une vive tendresse, un sincère attachement.

– C’était un homme corrompu peut-être?

– Je ne le crois pas; au contraire, il y a quelque chose de l’apôtre dans sa manière de parler.

– Allons, vous l’aimez, avouez-le.

– Non, non, Madame, dit la jeune femme avec une douloureuse volonté, non, je ne l’aime pas.

– Alors vous auriez dû fuir, vous auriez dû en appeler aux autorités, vous réclamer de vos parents.

– Madame, il me surveillait tellement, que je ne pouvais fuir.

– Que n’écriviez-vous?

– Nous nous arrêtions partout sur la route dans des maisons qui semblaient lui appartenir, où chacun lui obéissait. Plusieurs fois je demandai du papier, de l’encre et des plumes; mais ceux à qui je m’adressais étaient renseignés par lui; jamais aucun ne me répondit.

– Mais en route, comment voyagiez-vous?

– D’abord en chaise de poste; mais à Milan nous trouvâmes non plus une chaise de poste, mais une espèce de maison roulante dans laquelle nous continuâmes notre chemin.

– Mais enfin il était obligé parfois de vous laisser seule?

– Oui. Alors il s’approchait de moi; il me disait: «Dormez.» Et je m’endormais, et ne me réveillais qu’à son retour.

Madame Louise secoua la tête d’un air d’incrédulité.

– Vous ne désiriez pas fuir bien énergiquement, dit-elle; sans quoi, vous y fussiez parvenue.

– Hélas! il me semble cependant que si, Madame… Mais aussi peut-être étais-je fascinée!

– Par ses paroles d’amour, par ses caresses?

– Il me parlait rarement d’amour, Madame, et, à part un baiser sur le front le soir et un autre baiser au front le matin, je ne me rappelle point qu’il m’ait jamais fait d’autres caresses.

– Étrange, étrange, en vérité! murmura la princesse.

Cependant, sous l’empire d’un soupçon, elle reprit:

– Voyons, répétez-moi que vous ne l’aimez pas.

– Je vous le répète, Madame.

– Redites-moi que nul lien terrestre ne vous attache à lui.

– Je vous le redis.

– Que, s’il vous réclame, il n’aura aucun droit à faire valoir.

– Aucun!

– Mais enfin, continua la princesse, comment êtes-vous venue ici? Voyons, car je m’y perds.

– Madame, j’ai profité d’un violent orage qui nous surprit un peu au delà d’une ville qu’on appelle, je crois, Nancy. Il avait quitté sa place près de moi; il était entré dans le second compartiment de sa voiture, pour causer avec un vieillard qui habitait ce second compartiment, je sautai sur son cheval et je m’enfuis.

– Et qui vous fit donner la préférence à la France, au lieu de retourner en Italie?

– Je réfléchis que je ne pouvais retourner à Rome, puisque bien certainement on devait croire que j’avais agi de complicité avec cet homme; j’y étais déshonorée, mes parents ne m’eussent point reçue.

«Je résolus donc de fuir à Paris et d’y vivre cachée, ou bien de gagner quelque autre capitale où je pusse me perdre à tous les regards et aux siens surtout.

«Quand j’arrivai à Paris, toute la ville était émue de votre retraite aux Carmélites, Madame; chacun vantait votre piété, votre sollicitude pour les malheureux, votre compassion pour les affligés. Ce me fut un trait de lumière, Madame; je fus frappée de cette conviction que vous seule étiez assez généreuse pour m’accueillir, assez puissante pour me défendre.

– Vous en appelez toujours à ma puissance, mon enfant; il est donc bien puissant, lui?

– Oh! oui.

– Mais qui est-il? Voyons! Par délicatesse, j’ai jusqu’à présent tardé à vous le demander; cependant, si je dois vous défendre, faut-il encore que je sache contre qui.

– Oh! Madame, voilà encore en quoi il m’est impossible de vous éclairer. J’ignore complètement qui il est et ce qu’il est: tout ce que je sais, c’est qu’un roi n’inspire pas plus de respect, un dieu plus d’adorations que n’en ont pour lui les gens auxquels il daigne se révéler.

– Mais son nom? comment s’appelle-t-il?

– Madame, je l’ai entendu appeler de bien des noms différents. Cependant, deux seulement me sont restés dans la mémoire. L’un est celui que lui donne ce vieillard dont je vous ai déjà parlé et qui fut notre compagnon de voyage depuis Milan jusqu’à l’heure où je l’ai quitté: l’autre est celui qu’il se donnait lui-même.

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