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– Monseigneur est bien Son Éminence le cardinal prince de Rohan, évêque de Strasbourg? demanda Fritz.

– Oui, mon ami.

– Alors, c’est bien monseigneur que M. le comte attend.

Et, allumant successivement les bougies de deux autres candélabres, Fritz s’inclina et sortit.

Cinq minutes s’écoulèrent pendant lesquelles le cardinal, en proie à une singulière émotion, regarda l’ameublement plein d’élégance de ce salon et les huit tableaux de maîtres suspendus à ses lambris.

La porte s’ouvrit et le comte de Fœnix parut sur le seuil.

– Bonsoir, monseigneur, dit-il simplement.

– On m’a dit que vous m’attendiez! s’écria le cardinal sans répondre à cette salutation, que vous m’attendiez ce soir? C’est impossible.

– J’en demande pardon à monseigneur, mais je l’attendais, répondit le comte. Peut-être doute-t-il de la vérité de mes paroles en voyant l’accueil indigne que je lui fais; mais, arrivé à Paris depuis quelques jours, je suis installé à peine. Que Son Éminence veuille donc m’excuser.

– Vous m’attendiez! Et qui vous a prévenu de ma visite?

– Vous-même, monseigneur.

– Comment cela?

– N’avez-vous pas arrêté votre voiture à la barrière Saint-Denis?

– Oui.

– N’avez-vous pas appelé votre valet de pied, qui est venu parler à Son Éminence à la portière de son carrosse?

– Oui.

– Ne lui avez-vous pas dit: «Rue Saint-Claude, au Marais, par le faubourg Saint-Denis et le boulevard», paroles qu’il a répétées au cocher?

– Oui. Mais vous m’avez donc vu? Vous m’avez donc entendu?

– Je vous ai vu, monseigneur, je vous ai entendu.

– Vous étiez donc là?

– Non, monseigneur, je n’étais pas là.

– Et où étiez-vous?

– J’étais ici.

– Vous m’avez vu, vous m’avez entendu d’ici?

– Oui, monseigneur.

– Allons donc!

– Monseigneur oublie que je suis sorcier.

– Ah! c’est vrai, j’oubliais, monsieur… Comment faut-il que je vous appelle? M. le baron Balsamo, ou M. le comte de Fœnix?

– Chez moi, monseigneur, je n’ai pas de nom: je m’appelle le Maître.

– Oui, c’est le titre hermétique. Ainsi donc, maître, vous m’attendiez?

– Je vous attendais.

– Et vous aviez chauffé votre laboratoire?

– Mon laboratoire est toujours chauffé, monseigneur.

– Et vous me permettrez d’y entrer?

– J’aurai l’honneur d’y conduire Votre Éminence.

– Et je vous y suivrai, mais à une condition.

– Laquelle?

– C’est que vous me promettrez de ne pas me mettre personnellement en rapport avec le diable. J’ai grand-peur de Sa Majesté Lucifer.

– Oh! monseigneur!

– Oui, d’ordinaire, on prend pour faire le diable de grands coquins de gardes-françaises réformés, ou des maîtres d’armes à plumet, qui, pour jouer au naturel le rôle de Satan, rouent les gens de chiquenaudes et de nasardes après avoir éteint les chandelles.

– Monseigneur, dit Balsamo en souriant, jamais mes diables à moi n’oublient qu’ils ont l’honneur d’avoir affaire à des princes, et ils se souviennent toujours du mot de M. de Condé, qui promit à l’un d’eux, s’il ne se tenait pas tranquille, de rosser si bien son fourreau, qu’il serait forcé d’en sortir, ou de s’y conduire plus décemment.

– Bien, dit le cardinal, voilà qui me ravit; passons au laboratoire.

– Votre Éminence veut-elle prendre la peine de me suivre?

– Marchons.

Chapitre LIX L’or

Le cardinal de Rohan et Balsamo enfilèrent un petit escalier qui conduisait, parallèlement au grand, dans les salons du premier étage. Là, sous une voûte, Balsamo trouva une porte qu’il ouvrit, et un corridor sombre apparut aux yeux du cardinal, qui s’y engagea résolument.

Balsamo referma la porte.

Au bruit que cette porte fit en se refermant, le cardinal regarda derrière lui avec une certaine émotion.

– Monseigneur, nous voici arrivés, dit Balsamo; nous n’avons plus qu’à ouvrir devant nous et à refermer derrière nous cette dernière porte; seulement, ne vous étonnez point du son étrange qu’elle rendra, elle est de fer.

Le cardinal, que le bruit de la première porte avait fait tressaillir, fut heureux d’avoir été prévenu à temps, car les grincements métalliques des gonds et de la serrure eussent fait vibrer désagréablement des nerfs moins susceptibles que les siens.

Il descendit trois marches et entra.

Un grand cabinet avec des solives nues au plafond, une vaste lampe et son abat-jour, force livres, beaucoup d’instruments de chimie et de physique, tel était l’aspect premier de ce nouveau logis.

Au bout de quelques secondes, le cardinal sentit qu’il ne respirait plus que péniblement.

– Que veut dire cela? demanda-t-il. On étouffe ici, maître, la sueur me coule. Quel est ce bruit?

– Voici la cause, monseigneur, comme dit Shakespeare, fit Balsamo en tirant un grand rideau d’amiante et en découvrant un vaste fourneau de briques, au centre duquel deux trous étincelaient comme les yeux du lion dans les ténèbres.

Ce fourneau tenait le centre d’une seconde pièce, d’une grandeur double de la première, et que le prince n’avait pas aperçue, masquée qu’elle était par le rideau d’amiante.

– Oh! oh! dit le prince en reculant, ceci est assez effrayant, ce me semble.

– C’est un fourneau, monseigneur.

– Oui, sans doute; mais vous avez cité Shakespeare; moi, je citerai Molière: il y a fourneau et fourneau; celui-ci a un air tout à fait diabolique, et son odeur ne me plaît pas; que diable cuit-on là dedans?

– Mais ce que Votre Éminence m’a demandé.

– Plaît-il?

– Sans doute, Votre Éminence m’a, je crois, fait la grâce d’accepter un échantillon de mon savoir-faire. Je devais ne me mettre à l’œuvre que demain soir, puisque Votre Éminence ne devait venir qu’après-demain; mais, Votre Éminence ayant changé d’avis, j’ai, aussitôt que je l’ai vue en route pour la rue Saint-Claude, allumé le fourneau et fait la mixtion; il en résulte que le fourneau bout et que dans dix minutes vous aurez votre or. Permettez que j’ouvre le vasistas pour établir un courant d’air.

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