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– Monsieur, dit le cardinal en tressaillant, vous faites allusion, je crois, à quelques paroles que vous m’avez déjà dites chez la princesse.

– Oui, je l’avoue, monseigneur.

– Monsieur, alors vous vous êtes trompé et vous vous trompez encore maintenant.

– Oubliez-vous, monseigneur, que je vois aussi clairement dans votre cœur ce qui s’y passe en ce moment, que j’ai vu clairement votre carrosse sortir des Carmélites de Saint-Denis, dépasser la barrière, prendre le boulevard et s’arrêter sous les arbres, à cinquante pas de ma maison?

– Alors expliquez-vous et dites-moi quelque chose qui me frappe.

– Monseigneur, il a toujours fallu aux princes de votre maison un amour grand et hasardeux; vous ne dégénérez pas. C’est la loi.

– Je ne sais ce que vous voulez dire, comte, balbutia le prince.

– Au contraire, vous me comprenez à merveille. J’aurais pu toucher plusieurs des cordes qui vibrent en vous; mais pourquoi l’inutile? J’ai été droit à celle qu’il faut attaquer; oh! celle-là vibre profondément, j’en suis sûr.

Le cardinal releva la tête, et, par un dernier effort de défiance, interrogea le regard si clair et si assuré de Balsamo.

Balsamo souriait avec une telle expression de supériorité, que le cardinal baissa les yeux.

– Oh! vous avez raison, monseigneur, vous avez raison, ne me regardez point; car alors je vois trop clairement ce qui se passe dans votre cœur; car votre cœur est comme un miroir qui garderait la forme des objets qu’il a réfléchis.

– Silence, comte de Fœnix; silence, dit le cardinal subjugué.

– Oui, vous avez raison, silence, car le moment n’est pas encore venu de laisser voir un pareil amour.

– Pas encore, avez-vous dit?

– Pas encore.

– Cet amour a donc un avenir?

– Pourquoi pas?

– Et vous pourriez me dire, vous, si cet amour n’est pas insensé, comme je l’ai cru moi-même, comme je le crois encore, comme je le croirai jusqu’au moment où une preuve du contraire me sera donnée?

– Vous demandez beaucoup, monseigneur; je ne puis rien vous dire sans être mis en contact avec la personne qui vous inspire cet amour, ou avec quelque objet venant d’elle.

– Et quel objet faudrait-il pour cela?

– Une tresse de ses beaux cheveux dorés, si petite qu’elle soit, par exemple.

– Oh! oui vous êtes un homme profond! Oui, vous l’avez dit, vous lisez dans les cœurs comme je lirais, moi, dans un livre.

– Hélas! c’est ce que me disait votre pauvre arrière-grand-oncle, le chevalier Louis de Rohan, lorsque je lui fis mes adieux sur la plate-forme de la Bastille, au pied de l’échafaud sur lequel il monta si courageusement.

– Il vous dit cela… que vous étiez un homme profond?

– Et que je lisais dans les cœurs. Oui, car je l’avais prévenu que le chevalier de Préault le trahirait, il ne voulut pas me croire, et le chevalier de Préault le trahit.

– Quel singulier rapprochement faites-vous entre mon ancêtre et moi? dit le cardinal en pâlissant malgré lui.

– C’est uniquement pour vous rappeler qu’il s’agit d’être prudent, monseigneur, en vous procurant des cheveux qu’il vous faudra couper sous une couronne.

– N’importe où il faudra les aller prendre, vous les aurez, monsieur.

– Bien, maintenant voici votre or, monseigneur; j’espère que vous ne doutez plus que ce soit bien de l’or.

– Donnez-moi une plume et du papier.

– Pour quoi faire, monseigneur?

– Pour vous faire un reçu des cent mille écus que vous me prêtez si gracieusement.

– Y pensez-vous, monseigneur? un reçu à moi, et pour quoi faire?

– J’emprunte souvent, mon cher comte, dit le cardinal; mais je vous préviens que je ne reçois jamais.

– Comme il vous plaira, mon prince.

Le cardinal prit une plume sur la table, et écrivit d’une énorme et illisible écriture un reçu dont l’orthographe ferait peur à la gouvernante d’un sacristain d’aujourd’hui.

– Est-ce bien cela? demanda-t-il en le présentant à Balsamo.

– Parfaitement, répliqua le comte, le mettant dans sa poche sans même jeter les yeux dessus.

– Vous ne le lisez pas, monsieur?

– J’avais la parole de Votre Éminence, et la parole des Rohan vaut mieux qu’un gage.

– Monsieur le comte de Fœnix, dit le cardinal avec un demi-salut bien significatif de la part d’un homme de cette qualité, vous êtes un galant homme, et, si je ne puis vous faire mon obligé, vous me permettrez d’être heureux de demeurer le vôtre.

Balsamo s’inclina à son tour et tira une sonnette, au bruit de laquelle Fritz apparut.

Le comte lui dit quelques mots en allemand.

Fritz se baissa, et, comme un enfant qui emporterait huit oranges, un peu embarrassé, mais nullement courbé ou retardé, il enleva les huit lingots d’or dans leur enveloppe d’étoupe.

– Mais c’est un Hercule que ce gaillard-là! dit le cardinal.

– Il est assez fort, oui, monseigneur, répondit Balsamo; mais il est vrai de dire que, depuis qu’il est à mon service, je lui laisse boire chaque matin trois gouttes d’un élixir composé par mon savant ami le docteur Althotas; aussi le voilà qui commence à profiter; dans un an, il portera les cent marcs d’une seule main.

– Merveilleux! incompréhensible! murmura le cardinal. Oh! je ne pourrai résister au désir de parler de tout cela!

– Faites, monseigneur, faites, répondit Balsamo en riant; mais n’oubliez pas que parler de tout cela, c’est prendre l’engagement de venir éteindre vous-même la flamme de mon bûcher, si par hasard il prenait envie au Parlement de me faire rôtir en place de Grève.

Et ayant escorté son illustre visiteur jusque sous la porte cochère, il prit congé de lui avec un salut respectueux.

– Mais votre valet, le seigneur Fritz, je ne le vois pas, dit le cardinal.

– Il est allé porter l’or dans votre voiture, monseigneur.

– Il sait donc où elle est?

– Sous le quatrième arbre à droite en tournant le boulevard. C’est cela que je lui disais en allemand, monseigneur.

Le cardinal leva les mains au ciel et disparut dans l’ombre.

Balsamo attendit que Fritz fût rentré, et remonta chez lui en fermant toutes les portes.

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