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À ce moment, un coup de feu déchire la nuit, suivi du cri de la mort! Ah! revoilà le cri, le cri de la galerie inexplicable! Mes cheveux se dressent sur ma tête et Rouletabille chancelle comme s’il venait d’être frappé lui-même!…

Et puis, il bondit à la fenêtre ouverte et une clameur désespérée emplit la forteresse: Maman! Maman! Maman!

XI L’attaque de la Tour Carrée.

J’avais bondi derrière lui, je l’avais pris à bras le corps, redoutant tout de sa folie. Il y avait dans ses cris: «Maman! Maman! Maman!» une telle fureur de désespoir, un appel ou plutôt une annonce de secours tellement au-dessus des forces humaines que je pouvais craindre qu’il n’oubliât qu’il n’était qu’un homme, c’est-à-dire incapable de voler directement de cette fenêtre à cette tour, de traverser comme un oiseau ou comme une flèche cet espace noir qui le séparait du crime et qu’il remplissait de son effrayante clameur. Tout à coup, il se retourna, me renversa, se précipita, dévala, dégringola, roula, se rua à travers couloirs, chambres, escaliers, cours, jusqu’à cette tour maudite qui venait de jeter dans la nuit le cri de mort de la galerie inexplicable!

Et moi, je n’avais encore eu que le temps de rester à la fenêtre, cloué sur place par l’horreur de ce cri. J’y étais encore quand la porte de la Tour Carrée s’ouvrit et quand, dans son cadre de lumière, apparut la forme de la Dame en noir! Elle était toute droite et bien vivante, malgré le cri de la mort, mais son pâle et spectral visage reflétait une terreur indicible. Elle tendit les bras vers la nuit et la nuit lui jeta Rouletabille, et les bras de la Dame en noir se refermèrent et je n’entendis plus que des soupirs et des gémissements, et encore ces deux syllabes que la nuit répétait indéfiniment: «Maman! Maman!»

Je descendis à mon tour dans la cour, les tempes battantes, le cœur désordonné, les reins rompus. Ce que j’avais vu sur le seuil de la Tour Carrée ne me rassurait en aucune façon. C’est en vain que j’essayais de me raisonner: Eh! quoi, au moment même où nous croyions tout perdu, tout, au contraire, n’était-il point retrouvé? Le fils n’avait-il point retrouvé la mère? La mère n’avait-elle point enfin retrouvé l’enfant?… Mais pourquoi… pourquoi ce cri de mort quand elle était si vivante? Pourquoi ce cri d’angoisse avant qu’elle apparût, debout, sur le seuil de la tour?

Chose extraordinaire, il n’y avait personne dans la Cour du Téméraire quand je la traversai. Personne n’avait donc entendu le coup de feu? Personne n’avait donc entendu les cris? Où se trouvait M. Darzac? Où se trouvait le vieux Bob? Travaillaient-ils encore dans la batterie basse de la Tour Ronde? J’aurais pu le croire, car j’apercevais, au niveau du sol de cette tour, de la lumière. Et Mattoni? Mattoni, lui non plus, n’avait donc rien entendu?… Mattoni qui veillait sous la poterne du jardinier? Eh bien! Et Bernier! et la mère Bernier! Je ne les voyais pas. Et la porte de la Tour Carrée était restée ouverte! Ah! le doux murmure: «Maman! Maman! Maman!» Et je l’entendais, elle, qui ne disait que cela en pleurant: «Mon petit! mon petit! mon petit!» Ils n’avaient même pas eu la précaution de refermer complètement la porte du salon du vieux Bob. C’est là encore qu’elle avait entraîné, qu’elle avait emporté son enfant!

… Et ils y étaient seuls, dans cette pièce, à s’étreindre, à se répéter: «Maman! Mon petit!…» Et puis ils se dirent des choses entrecoupées, des phrases sans suite… des stupidités divines… «Alors, tu n’es pas mort!»… Sans doute, n’est-ce pas? Eh bien, c’était suffisant pour les faire repartir à pleurer… Ah! ce qu’ils devaient s’embrasser, rattraper le temps perdu! Ce qu’il devait le respirer, lui, le parfum de la Dame en noir!… Je l’entendis qui disait encore: «Tu sais, maman, ce n’est pas moi qui avais volé!…» Et l’on aurait pensé, au son de sa voix, qu’il avait encore neuf ans en disant ces choses, le pauvre Rouletabille. «Non! mon petit!… non, tu n’as pas volé!… Mon petit! mon petit!…» Ah! ce n’était pas ma faute si j’entendais… mais j’en avais l’âme toute chavirée… C’était une mère qui avait retrouvé son petit, quoi!…

Mais où était Bernier? J’entrai à gauche dans la loge, car je voulais savoir pourquoi on avait crié et qui est-ce qui avait tiré.

La mère Bernier se tenait au fond de la loge qu’éclairait une petite veilleuse. Elle était un paquet noir sur un fauteuil. Elle devait être au lit quand le coup de feu avait éclaté et elle avait jeté sur elle, à la hâte, quelque vêtement. J’approchai la veilleuse de son visage. Les traits étaient décomposés par la peur.

«Où est le père Bernier? demandai-je.

– Il est là, répondit-elle en tremblant.

– Là?… Où, là?…»

Mais elle ne me répondit pas.

Je fis quelques pas dans la loge et je trébuchai. Je me penchai pour savoir sur quoi je marchais; je marchais sur des pommes de terre. Je baissai la veilleuse et j’examinai le parquet. Le parquet était couvert de pommes de terre; il en avait roulé partout. La mère Bernier ne les avait donc pas ramassées depuis que Rouletabille avait vidé le sac?

Je me relevai, je retournai à la mère Bernier:

«Ah çà! fis-je, on a tiré!… Qu’est-ce qu’il y a eu?

– Je ne sais pas», répondit-elle.

Et, aussitôt, j’entendis qu’on refermait la porte de la tour, et le père Bernier apparut sur le seuil de la loge.

«Ah! c’est vous, monsieur Sainclair?

– Bernier!… Qu’est-il arrivé?

– Oh! rien de grave, monsieur Sainclair, rassurez-vous, rien de grave… (Et sa voix était trop forte, trop «brave» pour être aussi assurée qu’elle le voulait paraître.) Un accident sans importance… M. Darzac, en posant son revolver sur sa table de nuit, l’a fait partir. Madame a eu peur, naturellement, et elle a crié; et, comme la fenêtre de leur appartement était ouverte, elle a bien pensé que M. Rouletabille et vous aviez entendu quelque chose, et elle est sortie tout de suite pour vous rassurer.

– M. Darzac était donc rentré chez lui?…

– Il est arrivé ici presque aussitôt que vous avez eu quitté la tour, monsieur Sainclair. Et le coup de feu est parti presque aussitôt qu’il est entré dans sa chambre. Vous pensez que, moi aussi, j’ai eu peur! Ah! je me suis précipité!… M. Darzac m’a ouvert lui-même. Heureusement, il n’y avait personne de blessé.

– Aussitôt mon départ de la tour, Mme Darzac était donc rentrée chez elle?

– Aussitôt. Elle a entendu M. Darzac qui arrivait à la tour et elle l’a suivi dans leur appartement. Ils y sont allés ensemble.

– Et M. Darzac? Il est resté dans sa chambre?

– Tenez, le voilà!…»

Je me retournai; je vis Robert Darzac; malgré le peu de clarté de l’appartement, je vis qu’il était atrocement pâle. Il me faisait signe. Je m’approchai de lui et il me dit:

«Écoutez, Sainclair! Bernier a dû vous raconter l’accident. Ce n’est pas la peine d’en parler à personne, si l’on ne vous en parle pas. Les autres n’ont peut-être pas entendu ce coup de revolver. C’est inutile d’effrayer les gens, n’est-ce pas?… Dites-donc! J’ai un service personnel à vous demander.

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