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Une confrontation épique a lieu dans le cabinet de M. Espierre, le juge d’instruction chargé de l’affaire.

«Voyons, mon cher Furet, dit Ballmeyer au négociant ahuri, je suis désolé de vous accuser, mais vous devez la vérité à la justice. C’est une affaire qui ne tire pas à conséquence: avouez donc! Vous avez eu besoin de quarante mille francs pour liquider une petite dette au salon des courses, et vous les avez fait payer à votre maison. C’est vous qui avez téléphoné.

– Moi! moi! balbutiait M. Edmond Furet, anéanti.

– Avouez donc, vous savez bien qu’on a reconnu votre voix.»

Le malheureux volé coucha bel et bien à Mazas pendant huit jours et la police fournit sur lui un rapport épouvantable; si bien que M. Cruppi, alors avocat général, aujourd’hui ministre du Commerce, dut présenter à M. Furet les excuses de la justice. Quant à Rivard, il était condamné par contumace à vingt ans de travaux forcés!

On pourrait raconter vingt traits de ce genre sur Ballmeyer. En vérité, à ce moment-là, avant de s’adonner au drame, il jouait la comédie, et quelle comédie! Il faut connaître tout au long l’histoire d’une de ses évasions. Rien de plus prodigieusement comique que l’aventure de ce prisonnier rédigeant un long mémoire insipide, uniquement pour pouvoir l’étaler sur la table du juge, M. Villers, et, en bouleversant les imprimés, jeter un coup d’œil sur la formule des ordres de mises en liberté.

Rentré à Mazas, le filou écrivit une lettre signée «Villers», dans laquelle, selon la formule surprise, M. Villers priait le directeur de la prison de mettre le détenu Ballmeyer en liberté sur-le-champ. Mais il manquait au papier le timbre du juge.

Ballmeyer ne s’embarrassa pas pour si peu. Il reparut le lendemain à l’instruction, dissimulant sa lettre dans sa manche, protesta de son innocence, feignit une grande colère, et, en gesticulant avec le cachet déposé sur la table, il fit tout à coup tomber l’encrier sur le pantalon bleu du garde qui l’accompagnait.

Pendant que le pauvre Pandore, entouré du magistrat et du greffier, qui compatissaient à son malheur, épongeait tristement son «numéro un», Ballmeyer profitait de l’inattention générale pour appliquer un fort coup de tampon sur l’ordre de mise en liberté et se confondait à son tour en excuses.

Le tour était joué. L’escroc sortit en jetant négligemment le papier signé et timbré aux gardes de la souricière.

«À quoi donc pense M. Villers, fit-il, de me faire porter ses papiers! Me prend-il pour son domestique?»

Les gardes ramassèrent précieusement l’imprimé, et le brigadier de service le fit porter à son adresse, à Mazas. C’était l’ordre de mettre sur-le-champ en liberté le nommé Ballmeyer. Le soir même, Ballmeyer était libre.

C’était sa seconde évasion. Arrêté pour le vol Furet, il s’était échappé une première fois en passant la jambe et en jetant du poivre au garde qui l’amenait au dépôt, et le soir même il assistait, cravaté de blanc, à une première de la Comédie-Française. Déjà, à l’époque où il avait été condamné par le conseil de guerre à cinq ans de travaux publics pour avoir volé la caisse de sa compagnie, il avait failli sortir du Cherche-Midi en se faisant enfermer par ses camarades dans un sac de papiers de rebut. Un contre-appel imprévu fit échouer ce plan si bien conçu.

… Mais on n’en finirait point s’il fallait raconter ici les étonnantes aventures du premier Ballmeyer.

Tour à tour comte de Maupas, vicomte Drouet d’Erlon, comte de Motteville, comte de Bonneville , élégant, beau joueur, faisant la mode, il parcourt les plages et les villes d’eaux: Biarritz, Aix-les-Bains, Luchon, perdant au cercle jusqu’à dix mille francs dans sa soirée, entouré de jolies femmes qui se disputent ses sourires; car cet escroc émérite est doublé d’un séducteur. Au régiment, il avait fait la conquête, platonique heureusement, de la fille de son colonel!… Connaissez-vous le «type» maintenant?

Eh bien, c’est cet homme que Joseph Rouletabille allait combattre!

Je crus bien, ce soir-là, avoir suffisamment édifié Mrs. Edith sur la personnalité du célèbre bandit. Elle m’écoutait dans un silence qui finit par m’impressionner et alors, me penchant sur elle, je m’aperçus qu’elle dormait. Cette attitude aurait pu ne point me donner une grande idée de cette petite personne. Mais, comme elle me permit de la contempler à loisir, il en résulta au contraire pour moi des sentiments que je voulus plus tard en vain chasser de mon cœur.

La nuit se passa sans surprise. Quand le jour arriva, je le saluai avec un grand soupir de soulagement. Tout de même Rouletabille ne me permit de m’aller coucher qu’à huit heures du matin quand il eut réglé son service de jour. Il était déjà au milieu des ouvriers qu’il avait fait venir et qui travaillaient activement à la réparation de la brèche de la tour B. Les travaux furent menés si judicieusement et si promptement que le château fort d’Hercule se trouva le soir même aussi hermétiquement clos dans la nature, avec toutes ses enceintes, qu’il l’est linéairement parlant sur le papier. Assis sur un gros moellon, ce matin-là, Rouletabille commençait déjà à dessiner sur son calepin le plan que j’ai soumis au lecteur, et il me disait, cependant que, fatigué de ma nuit, je faisais des efforts ridicules pour ne point fermer les yeux:

«Voyez-vous, Sainclair! Les imbéciles vont croire que je me fortifie pour me défendre. Eh bien, ce n’est là qu’une pauvre partie de la vérité: car je me fortifie surtout pour raisonner. Et, si je bouche des brèches, c’est moins pour que Larsan ne puisse s’y introduire que pour épargner à ma raison l’occasion d’une «fuite»! Par exemple, je ne pourrais raisonner dans une forêt! Comment voulez-vous raisonner dans une forêt? La raison fuit de toutes parts, dans une forêt! Mais dans un château fort bien clos! Mon ami, c’est comme dans un coffre-fort bien fermé: si vous êtes dedans, et que vous ne soyez point fou, il faut bien que votre raison s’y retrouve!

– Oui, oui! répétai-je en branlant la tête, il faut bien que votre raison s’y retrouve!…

– Eh bien, là-dessus, me fit-il, allez vous coucher, mon ami, car vous dormez tout debout.

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