il convient qu’à son tour leur gloire brille ensemble.
La milice du Christ, dont le réarmement
devait coûter si cher, derrière son enseigne
s’ébranlait lentement, craintive et clairsemée,
lorsque cet Empereur dont le règne est sans fin
vint aider son armée en danger de se perdre,
de par sa seule grâce et sans qu’elle en fût digne,
et, comme on te l’a dit, secourut son épouse
avec ces deux guerriers dont le faire et le dire
du peuple dévoyé redressèrent la marche.
Là-bas, dans la contrée où naît le doux zéphyr
pour ouvrir les bourgeons de la feuille nouvelle
dont on voit au printemps se revêtir l’Europe,
assez près de l’endroit où se brisent les vagues
qui cachent pour un temps aux regards des humains
le soleil à la fin de sa carrière ardente [145],
est le pays où gît Calaruega l’heureuse,
sous la protection de ce superbe écu
qui porte le lion à la pointe et au chef [146].
C’est là qu’a vu le jour cet amant fortuné
de la foi des chrétiens, cet athlète sacré
qui fut doux pour les siens et dur pour l’ennemi.
Et dès qu’il fut créé, son esprit se trouva
si puissamment comblé des plus vives vertus,
qu’avant de naître il fit prophétiser sa mère [147].
Et lorsque entre lui-même et la foi fut conclu
le mariage saint [148] sur les fonts où tous deux
se promirent pour dot leur salut mutuel,
la femme qui pour lui donnait l’assentiment
dans un songe entrevit les admirables fruits
qui devaient provenir de lui comme des siens
et, pour qu’il fût de nom tel qu’il fut par nature,
une inspiration lui fit donner le nom
du possessif du maître auquel il appartient [149].
Il fut dit Dominique; et je parle de lui
comme du jardinier qu’avait choisi le Christ,
pour vaquer avec lui aux soins de son jardin.
Il était messager et compagnon du Christ,
car le premier amour qu’on a pu voir en lui
fut le premier conseil qu’avait donné le Christ [150].
Sa nourrice, souvent, le trouvait étendu
en silence, éveillé, contre la terre nue,
comme s’il avait dit: «Voilà pourquoi je viens [151]!»
Que son père vraiment fut bien nommé Félix!
Que sa mère vraiment mérita d’être Jeanne,
si, bien interprété, ce nom vaut ce qu’il dit [152]!
Et non pas pour le siècle, auquel pensent tous ceux
que font peiner en vain l’Ostiense ou Thaddée [153],
mais pour le seul amour de la manne réelle,
il devint grand docteur, après un bref délai,
tel qu’il se mit bientôt à travailler la vigne
qu’un mauvais vigneron réduit vite à néant.
Puis, au siège qui fut plus bénin autrefois
aux pauvres méritants (non pas lui, mais plutôt
celui qui l’occupait, et maintenant forligne) [154],
ce n’est pas un rabais de deux ou trois sixièmes,
ce n’est pas le premier bénéfice vacant,
pas plus que decimas, quae sunt pauperum Dei,
qu’il demanda; mais bien licence pour combattre
les erreurs de ce monde, au nom de la semence
dont vingt-quatre fleurons tournent autour de toi [155].
Puis; fort de sa doctrine et de sa volonté,
il est parti servir l’office apostolique,
comme un torrent jailli d’une veine puissante,
et il s’en fut porter aux déserts hérétiques
son cours impétueux, d’autant plus vivement
qu’avec plus de vigueur ceux-ci lui résistaient.
Divers autres ruisseaux découlèrent de lui [156],
qui vinrent arroser le jardin catholique,
fortifiant ainsi ses nombreux arbrisseaux.
Si telle est, dans le char, l’une de ces deux roues
qui de la sainte Église assurent la défense,
la faisant triompher dans la guerre civile,
je crois que maintenant tu dois voir clairement
l’excellence de l’autre, au sujet de laquelle
Thomas fut si courtois avant mon arrivée.
Cependant, le sillon qu’avait tracé le haut
de sa rondeur [157] se trouve à présent délaissé,
si bien qu’au lieu de tartre on n’a que moisissure [158];
car ses héritiers, qui jadis marchaient droit
tant qu’ils l’avaient suivi, cheminent en désordre,
le premier fourvoyant celui qui vient derrière.
Et l’on verra bientôt se lever la moisson
de ce mauvais labeur; et ce jour-là l’ivraie
réclamera le droit de rentrer au grenier.
Il n’est que naturel qu’en passant feuille à feuille
notre volume, on puisse y trouver quelque page
où l’on lise: «Je suis ce que je fus toujours»,
mais non pas dans Casal ni dans Acquasparta,
qui n’augmentent le livre que de mauvais feuillets,
l’un pour mieux l’éluder, l’autre pour le raidir [159].
Je suis l’âme, pour moi, de ce Bonaventure
de Bagnoreggio, qui, dans les grands offices,
ai toujours méprisé ce que faisait la gauche [160].
Augustin est là-bas, avec l’Illuminé [161],
qui des pauvres déchaux furent deux des premiers
dont le cordon gagna l’amitié de Dieu.
Tu vois aussi près d’eux Hugues de Saint-Victor
et Pierre le Mangeur et Pierre l’Espagnol,
qui brille encor chez vous grâce à ses douze livres [162];
le prophète Nathan et le métropolite
Chrysostome, et Anselme, ainsi que ce Donat
qui daigna s’occuper des rudiments de l’art [163];
Raban est avec nous et, à côté de moi,
tu vois briller l’abbé Joachim de Calabre [164],