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– Débarquons, messieurs, dit lady Henriette en allant chercher le bras que lui offrait Rochester, bien que Buckingham fût plus près d'elle et eût présenté le sien.

Alors Rochester, avec un orgueil mal dissimulé qui perça d'outre en outre le cœur du malheureux Buckingham, fit traverser à la princesse le petit pont que les gens de l'équipage avaient jeté du bateau royal sur la berge.

– Où va Votre Grâce? demanda Rochester.

– Vous le voyez, milord, vers ce bon Parry qui erre, comme disait milord Buckingham, et me cherche avec ses yeux affaiblis par les larmes qu'il a versées sur nos malheurs.

– Oh! mon Dieu! dit Rochester, que Votre Altesse est triste aujourd'hui, madame! nous avons, en vérité, l'air de lui paraître des fous ridicules.

– Parlez pour vous, milord, interrompit Buckingham avec dépit; moi, je déplais tellement à Son Altesse que je ne lui parais absolument rien.

Ni Rochester ni la princesse ne répondirent; on vit seulement lady Henriette entraîner son cavalier d'une course plus rapide. Buckingham resta en arrière et profita de cet isolement pour se livrer, sur son mouchoir, à des morsures tellement furieuses que la batiste fut mise en lambeaux au troisième coup de dents.

– Parry, bon Parry, dit la princesse avec sa petite voix, viens par ici; je vois que tu me cherches, et j'attends.

– Ah! madame, dit Rochester venant charitablement au secours de son compagnon, demeuré, comme nous l'avons dit, en arrière, si Parry ne voit pas Votre Altesse, l'homme qui le suit est un guide suffisant, même pour un aveugle; car, en vérité, il a des yeux de flamme; c'est un fanal à double lampe que cet homme.

– Éclairant une fort belle et fort martiale figure, dit la princesse décidée à rompre en visière à tout propos.

Rochester s'inclina.

– Une de ces vigoureuses têtes de soldat comme on n'en voit qu'en France, ajouta la princesse avec la persévérance de la femme sûre de l'impunité.

Rochester et Buckingham se regardèrent comme pour se dire: «Mais qu'a-t-elle donc?»

– Voyez, monsieur de Buckingham, ce que veut Parry, dit lady Henriette: allez.

Le jeune homme, qui regardait cet ordre comme une faveur, reprit courage et courut au-devant de Parry, qui, toujours suivi par d'Artagnan, s'avançait avec lenteur du côté de la noble compagnie. Parry marchait avec lenteur à cause de son âge. D'Artagnan marchait lentement et noblement, comme devait marcher d'Artagnan doublé d'un tiers de million, c'est-à-dire sans forfanterie, mais aussi sans timidité. Lorsque Buckingham, qui avait mis un grand empressement à suivre les intentions de la princesse, laquelle s'était arrêtée sur un banc de marbre, comme fatiguée des quelques pas qu'elle venait de faire, lorsque Buckingham, disons-nous, ne fut plus qu'à quelques pas de Parry, celui-ci le reconnut.

– Ah! milord, dit-il tout essoufflé, Votre Grâce veut-elle obéir au roi?

– En quoi, monsieur Parry? demanda le jeune homme avec une sorte de froideur tempérée par le désir d'être agréable à la princesse.

– Eh bien! Sa Majesté prie Votre Grâce de présenter Monsieur à lady Henriette Stuart.

– Monsieur qui, d'abord? demanda le duc avec hauteur.

D'Artagnan, on le sait, était facile à effaroucher; le ton de milord Buckingham lui déplut. Il regarda le courtisan à la hauteur des yeux, et deux éclairs brillèrent sous ses sourcils froncés. Puis, faisant un effort sur lui-même:

– Monsieur le chevalier d'Artagnan, milord, répondit-il tranquillement.

– Pardon, monsieur, mais ce nom m'apprend votre nom, voilà tout.

– C'est-à-dire?

– C'est-à-dire que je ne vous connais pas.

– Je suis plus heureux que vous, monsieur, répondit d'Artagnan, car, moi, j'ai eu l'honneur de connaître beaucoup votre famille et particulièrement milord duc de Buckingham, votre illustre père.

– Mon père? fit Buckingham. En effet, monsieur, il me semble maintenant me rappeler… M. le chevalier d'Artagnan, dites-vous?

D'Artagnan s'inclina.

– En personne, dit-il.

– Pardon, n'êtes-vous point l'un de ces Français qui eurent avec mon père certains rapports secrets?

– Précisément, monsieur le duc, je suis un de ces Français-là.

– Alors, monsieur, permettez-moi de vous dire qu'il est étrange que mon père, de son vivant, n'ait jamais entendu parler de vous.

– Non, monsieur, mais il en a entendu parler au moment de sa mort; c'est moi qui lui ai fait passer, par le valet de chambre de la reine Anne d'Autriche, l'avis du danger qu'il courait; malheureusement l'avis est arrivé trop tard.

– N'importe! monsieur, dit Buckingham, je comprends maintenant qu'ayant eu l'intention de rendre un service au père, vous veniez réclamer la protection du fils.

– D'abord, milord, répondit flegmatiquement d'Artagnan, je ne réclame la protection de personne. Sa Majesté le roi Charles II, à qui j'ai eu l'honneur de rendre quelques services (il faut vous dire, monsieur, que ma vie s'est passée à cette occupation), le roi Charles II, donc, qui veut bien m'honorer de quelque bienveillance, a désiré que je fusse présenté à lady Henriette, sa sœur, à laquelle j'aurai peut-être aussi le bonheur d'être utile dans l'avenir. Or, le roi vous savait en ce moment auprès de Son Altesse, et m'a adressé à vous, par l'entremise de Parry. Il n'y a pas d'autre mystère. Je ne vous demande absolument rien, et si vous ne voulez pas me présenter à Son Altesse, j'aurai la douleur de me passer de vous et la hardiesse de me présenter moi-même.

– Au moins, monsieur, répliqua Buckingham, qui tenait à avoir le dernier mot, vous ne reculerez pas devant une explication provoquée par vous.

– Je ne recule jamais, monsieur, dit d'Artagnan.

– Vous devez savoir alors, puisque vous avez eu des rapports secrets avec mon père, quelque détail particulier?

– Ces rapports sont déjà loin de nous, monsieur, car vous n’étiez pas encore né, et pour quelques malheureux ferrets de diamant que j'ai reçus de ses mains et rapportés en France, ce n'est vraiment pas la peine de réveiller tant de souvenirs.

– Ah! monsieur, dit vivement Buckingham en s'approchant de d'Artagnan et en lui tendant la main, c'est donc vous! vous que mon père a tant cherché et qui pouviez tant attendre de nous!

– Attendre, monsieur! en vérité, c'est là mon fort, et toute ma vie j'ai attendu.

Pendant ce temps, la princesse, lasse de ne pas voir venir à elle l'étranger, s'était levée et s'était approchée.

– Au moins, monsieur, dit Buckingham, n'attendrez-vous point cette présentation que vous réclamez de moi.

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