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– J'écoute.

– Les rois ne sont pas semés tellement dru sur la terre que les peuples en trouvent là où ils en ont besoin. Or ce roi sans royaume est à mon avis une graine réservée qui doit fleurir en une saison quelconque, pourvu qu'une main adroite, discrète et vigoureuse, la sème bel et bien, en choisissant sol, ciel et temps.

Planchet approuvait toujours de la tête, ce qui prouvait qu'il ne comprenait toujours pas.

– Pauvre petite graine de roi! me suis-je dit, et réellement j'étais attendri, Planchet, ce qui me fait penser que j'entame une bêtise. Voilà pourquoi j'ai voulu te consulter, mon ami.

Planchet rougit de plaisir et d'orgueil.

– Pauvre petite graine de roi! je te ramasse, moi, et je vais te jeter dans une bonne terre.

– Ah! mon Dieu! dit Planchet en regardant fixement son ancien maître, comme s'il eût douté de tout l'éclat de sa raison.

– Eh bien! quoi? demanda d'Artagnan, qui te blesse?

– Moi, rien, monsieur.

– Tu as dit: «Ah! mon Dieu!»

– Vous croyez?

– J'en suis sûr. Est-ce que tu comprendrais déjà?

– J'avoue, monsieur d'Artagnan, que j'ai peur…

– De comprendre?

– Oui.

– De comprendre que je veux faire remonter sur le trône le roi Charles II, qui n'a plus de trône? Est-ce cela?

Planchet fit un bond prodigieux sur sa chaise.

– Ah! Ah! dit-il tout effaré; voilà donc ce que vous appelez une restauration, vous!

– Oui, Planchet, n'est-ce pas ainsi que la chose se nomme?

– Sans doute, sans doute. Mais avez-vous bien réfléchi?

– À quoi?

– À ce qu'il y a là-bas?

– Où?

– En Angleterre.

– Et qu'y a-t-il, voyons, Planchet?

– D'abord, monsieur, je vous demande pardon si je me mêle de ces choses-là, qui ne sont point de mon commerce; mais puisque c'est une affaire que vous me proposez… car vous me proposez une affaire, n'est-ce pas?

– Superbe, Planchet.

– Mais puisque vous me proposez une affaire, j'ai le droit de la discuter.

– Discute, Planchet; de la discussion naît la lumière.

– Eh bien! puisque j'ai la permission de Monsieur, je lui dirai qu'il y a là-bas les parlements d'abord.

– Eh bien! après?

– Et puis l'armée.

– Bon. Vois-tu encore quelque chose?

– Et puis la nation.

– Est-ce tout?

– La nation, qui a consenti la chute et la mort du feu roi, père de celui-là, et qui ne se voudra point démentir.

– Planchet, mon ami, dit d'Artagnan, tu raisonnes comme un fromage. La nation… la nation est lasse de ces messieurs qui s'appellent de noms barbares et qui lui chantent des psaumes. Chanter pour chanter, mon cher Planchet, j'ai remarqué que les nations aimaient mieux chanter la gaudriole que le plain-chant. Rappelle-toi la Fronde; a-t-on chanté dans ces temps-là! Eh bien! c'était le bon temps.

– Pas trop, pas trop; j'ai manqué y être pendu.

– Oui, mais tu ne l'as pas été?

– Non.

– Et tu as commencé ta fortune au milieu de toutes ces chansons-là?

– C'est vrai.

– Tu n'as donc rien à dire?

– Si fait! j'en reviens à l'armée et aux parlements.

– J'ai dit que j'empruntais vingt mille livres à M. Planchet, et que je mettais vingt mille livres de mon côté; avec ces quarante mille livres je lève une armée.

Planchet joignit les mains; il voyait d'Artagnan sérieux, il crut de bonne foi que son maître avait perdu le sens.

– Une armée!… Ah! monsieur, fit-il avec son plus charmant sourire, de peur d'irriter ce fou et d'en faire un furieux. Une armée… nombreuse?

– De quarante hommes, dit d'Artagnan.

– Quarante contre quarante mille, ce n'est point assez. Vous valez bien mille hommes à vous tout seul, monsieur d'Artagnan, je le sais bien; mais où trouverez-vous trente-neuf hommes qui vaillent autant que vous? ou, les trouvant, qui vous fournira l'argent pour les payer?

– Pas mal, Planchet… Ah! diable! tu te fais courtisan.

– Non, monsieur, je dis ce que je pense, et voilà justement pourquoi je dis qu'à la première bataille rangée que vous livrerez avec vos quarante hommes, j'ai bien peur…

– Aussi ne livrerai-je pas de bataille rangée, mon cher Planchet, dit en riant le Gascon. Nous avons, dans l'Antiquité, des exemples très beaux de retraites et de marches savantes qui consistaient à éviter l’ennemi au lieu de l'aborder. Tu dois savoir cela, Planchet, toi qui as commandé les Parisiens le jour où ils eussent dû se battre contre les mousquetaires, et qui as si bien calculé les marches et les contremarches, que tu n'as point quitté la place Royale.

Planchet se mit à rire.

– Il est de fait, répondit-il, que si vos quarante hommes se cachent toujours et qu'ils ne soient pas maladroits, ils peuvent espérer de n’être pas battus; mais enfin, vous vous proposez un résultat quelconque?

– Sans aucun doute. Voici donc, à mon avis, le procédé à employer pour replacer promptement Sa Majesté Charles II sur le trône.

– Bon! s’écria Planchet en redoublant d'attention, voyons ce procédé. Mais auparavant il me semble que nous oublions quelque chose.

– Quoi?

– Nous avons mis de côté la nation, qui aime mieux chanter des gaudrioles que des psaumes, et l'armée, que nous ne combattons pas; mais restent les parlements, qui ne chantent guère.

– Et qui ne se battent pas davantage. Comment, toi, Planchet, un homme intelligent, tu t'inquiètes d'un tas de braillards qui s'appellent les croupions et les décharnés! Les parlements ne m'inquiètent pas, Planchet.

– Du moment où ils n'inquiètent pas Monsieur, passons outre.

– Oui, et arrivons au résultat. Te rappelles-tu Cromwell, Planchet?

– J'en ai beaucoup ouï parler, monsieur.

– C'était un rude guerrier.

– Et un terrible mangeur, surtout.

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