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– Bah! Colbert, le petit Colbert?

– Oui, Colbert, le petit Colbert.

– Le factotum de M. de Mazarin?

– Justement.

– Eh bien! que voyez-vous là d'effrayant, chère marquise? Le petit Colbert intendant, c'est étonnant, j'en conviens, mais ce n'est pas terrible.

– Croyez-vous que le roi ait donné, sans motifs pressants, une pareille place à celui que vous appelez un petit cuistre?

– D'abord, est-ce bien vrai que le roi la lui ait donnée.

– On le dit.

– Qui le dit?

– Tout le monde.

– Tout le monde, ce n'est personne; citez-moi quelqu’un qui puisse être bien informé et qui le dise.

– Mme Vanel.

– Ah! vous commencez à m'effrayer, en effet, dit Fouquet en riant; le fait est que si quelqu'un est bien renseigné, ou doit être bien renseigné, c'est la personne que vous nommez.

– Ne dites pas de mal de la pauvre Marguerite, monsieur Fouquet, car elle vous aime toujours.

– Bah! vraiment? C'est à ne pas croire. Je pensais que ce petit Colbert, comme vous disiez tout à l'heure, avait passé par-dessus cet amour-là et l'avait empreint d'une tache d'encre ou d'une couche de crasse.

– Fouquet, Fouquet, voilà donc comme vous êtes pour celles que vous abandonnez?

– Allons, n'allez-vous pas prendre la défense de Mme Vanel, marquise?

– Oui, je la prendrai; car, je vous le répète, elle vous aime toujours, et la preuve, c'est qu'elle vous sauve.

– Par votre entremise, marquise; c'est adroit à elle. Nul ange ne pourrait m'être plus agréable, et me mener plus sûrement au salut. Mais d'abord, comment connaissez-vous Marguerite?

– C'est mon amie de couvent.

– Et vous dites donc qu'elle vous a annoncé que M. Colbert était nommé intendant?

– Oui.

– Eh bien! éclairez-moi, marquise; voilà M. Colbert intendant, soit. En quoi un intendant, c'est-à-dire mon subordonné, mon commis, peut-il me porter ombrage ou préjudice, fût-ce M. Colbert?

– Vous ne réfléchissez pas, monsieur, à ce qu'il paraît, répondit la marquise.

– À quoi?

– À ceci: que M. Colbert vous hait.

– Moi! s'écria Fouquet. Eh! mon Dieu! marquise, d'où sortez-vous donc? Mais, tout le monde me hait, celui-là comme les autres.

– Celui-là plus que les autres.

– Plus que les autres, soit.

– Il est ambitieux.

– Qui ne l'est pas, marquise?

– Oui; mais à lui son ambition n'a pas de borne.

– Je le vois bien, puisqu'il a tendu à me succéder près de Mme Vanel.

– Et qu'il a réussi; prenez-y garde.

– Voudriez-vous dire qu'il a la prétention de passer d'intendant surintendant?

– N'en avez-vous pas eu déjà la crainte?

– Oh! oh! fit Fouquet, me succéder près de Mme Vanel, soit; mais près du roi, c'est autre chose. La France ne s'achète pas si facilement que la femme d'un maître des comptes.

– Eh! monsieur, tout s'achète; quand ce n'est point par l'or, c'est par l'intrigue.

– Vous savez bien le contraire, vous, madame, vous à qui j'ai offert des millions.

– Il fallait, au lieu de ces millions, Fouquet, m'offrir un amour vrai, unique, absolu; j'eusse accepté. Vous voyez bien que tout s’achète, si ce n'est pas d'une façon, c'est de l'autre.

– Ainsi M. Colbert, à votre avis, est en train de marchander ma place de surintendant? Allons, allons, marquise, tranquillisez-vous, il n'est pas encore assez riche pour l'acheter.

– Mais s'il vous la vole?

– Ah! ceci est autre chose. Malheureusement, avant que d'arriver à moi, c'est-à-dire au corps de la place, il faut détruire, il faut battre en brèche les ouvrages avancés, et je suis diablement bien fortifié, marquise.

– Et ce que vous appelez vos ouvrages avancés, ce sont vos créatures, n'est-ce pas, ce sont vos amis?

– Justement.

– Et M. d'Emerys est-il de vos créatures?

– Oui.

– M. Lyodot est-il de vos amis?

– Certainement.

– M. de Vanin?

– Oh! M. de Vanin, qu'on en fasse ce que l'on voudra, mais…

– Mais?…

– Mais qu'on ne touche pas aux autres.

– Eh bien! si vous voulez qu'on ne touche point à MM. d'Emerys et Lyodot, il est temps de vous y prendre.

– Qui les menace?

– Voulez-vous m'entendre maintenant?

– Toujours, marquise.

– Sans m'interrompre?

– Parlez.

– Eh bien! ce matin, Marguerite m'a envoyé chercher.

– Ah!

– Oui.

– Et que vous voulait-elle?

– «Je n'ose voir M. Fouquet moi-même», m'a-t-elle dit.

– Bah! pourquoi? pense-t-elle que je lui eusse fait des reproches? Pauvre femme, elle se trompe bien, mon Dieu!

– «Voyez-le, vous, et dites-lui qu'il se garde de M. de Colbert.»

– Comment, elle me fait prévenir de me garder de son amant?

– Je vous ai dit qu'elle vous aime toujours.

– Après, marquise?

– «M. de Colbert, a-t-elle ajouté, est venu il y a deux heures m'annoncer qu'il était intendant.»

– Je vous ai déjà dit, marquise, que M. de Colbert n'en serait que mieux sous ma main.

– Oui, mais ce n'est pas le tout: Marguerite est liée, comme vous savez, avec Mme d'Emerys et Mme Lyodot.

– Oui.

– Eh bien! M. de Colbert lui a fait de grandes questions sur la fortune de ces deux messieurs, sur le degré de dévouement qu'ils vous portent.

– Oh! quant à ces deux-là, je réponds d'eux; il faudra les tuer pour qu'ils ne soient plus à moi.

– Puis, comme Mme Vanel a été obligée, pour recevoir une visite, de quitter un instant M. Colbert, et que M. Colbert est un travailleur, à peine le nouvel intendant est-il resté seul, qu'il a tiré un crayon de sa poche, et, comme il y avait du papier sur une table, s'est mis à crayonner des notes.

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