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XV

27juinet (plus tard).

La bonne du maréchal-ferrant, qu'on nommait Nëzrouge, couchait dans sa soupente au-dessus de la forge, avec l'apprenti du moment. L'apprenti crevait souvent, mais la bonne, dure au travail, tenait bon, surtout depuis que le maréchal s'abstenait de s'infiltrer dans son lit à l'instar d'une rivière résurgente. L'apprenti, pas question. Vanné comme il était, rien à faire. Une pauvre chiffe molle, un pas couchable. Il dormait juste. En ce moment, il ne dormait pas, non. Il était à la forge et il entretenait le feu. Jacquemort le vit en arrivant et pénétra dans l'atelier, crasseux de suie malgré le travail de Nëzrouge.

– Bonjour, apprenti, dit Jacquemort.

L'apprenti murmura bonjour en se gardant la gueule du coin du bras, car c'était la joviale coutume des visiteurs que de lui en assener un au passage: cet apprenti tapait sur la ferraille et il était juste qu'il encaissât en retour.

– Ton patron n'est pas là, dit positivement Jacquemort.

– Pas là, contrôla le jeune.

– Eh bien! alors je m'en vais, dit Jacquemort.

Il sortit et prit à gauche, tourna la maison, entra dans la cour, monta l'escalier de bois contre la maison, et se trouva dans un vague couloir de planches brutes. A droite, sous la pente du toit, c'était la chambre de Nëzrouge. Devant, il y avait une haute porte, et c'est là que logeait le patron. A gauche, le mur marquait un retour de la chambre du patron qui tenait les trois quarts de l'étage et se trouvait, par la cloison de droite, contiguë à la chambre de Nëzrouge, disposition simple mais pratique.

Jacquemort entra sans frapper. La fille, assise sur son lit, lisait un journal de sept ans plus tôt. Les nouvelles mettaient longtemps à parvenir au village.

– Alors, dit le psychiatre, on se cultive?

Il affectait un air bon enfant aussi naturel que des guêtres sur une pompe à purin.

– J'ai bien l' droit d' lire, dit Nëzrouge agressive.

Que ces paysans sont difficiles à manier, pensa Jacquemort.

La chambre de Nëzrouge présentait peu de confort. Il y avait le plancher lessivé, les murs nus chaulés et les poutres du toit, elles-mêmes croisillonnées de chevrons, lesquels, entrecoupés de voliges, soutenaient des petits schistes. Le tout, efficacement poussiéreux. Meubles: lit, et table sur laquelle un seau d'eau servait à tout. Un coffre dans un coin pour les affaires, en nombre restreint, de la fille.

Cette simplicité monacale titillait en Jacquemort l'athée lubrique épris de chair brute qu'il aurait pu être en y réfléchissant bien.

Il alla s'asseoir près d'elle sur le lit de fer qui grinça… Pas d'autre endroit.

– Qu'est-ce que tu as fait de beau depuis la dernière fois? demanda-t-il.

– Ben rien, dit-elle.

Elle continuait à lire, termina sa page, et replia son journal qu'elle mit sous l'oreiller.

– Déshabille-toi et étends-toi sur ce lit, dit Jacquemort.

– Ah! zut, dit la fille, et si mon patron rentre, il faudra que je me rhabille pour faire la soupe.

– Pas à cette heure-ci, dit Jacquemort. Et puis ton patron n'est pas là, il est chez la couturière.

– Alors, il va sûrement rentrer après, dit-elle. Réfléchissant, elle ajouta:

– Mais on sera tranquilles.

– Pourquoi? interrogea Jacquemort.

– Toujours, quand il revient de là, dit la fille. Mais pourquoi voulez-vous donc que je me déshabille?

– C'est la base indispensable d'une bonne psychanalyse…, dit Jacquemort pédant.

Elle rougit. Sa main se serra sur son petit col en pointe.

– Oh!… dit-elle en baissant les yeux. Même mon patron n'a jamais osé le faire avec moi.

Jacquemort fronça le sourcil. Qu'est-ce qu'elle comprenait? Mais comment le lui demander?

– Euh…, murmura-t-elle. Je ne sais pas si je suis tellement propre pour ça… vous n'allez pas aimer ça…

Jacquemort entrevit… Du langage chiffré.

– La psychanalyse…, commença-t-il.

– Attendez…, murmura-t-elle. Pas maintenant.

La chambre était éclairée par une lucarne en pente. Elle se leva et, en quelques secondes, tira du coffre un vieux rideau qu'elle assujettit devant la petite vitre rectangulaire. Le jour traversait un peu le tissu bleuâtre et donnait un aspect de caverne à la soupente.

– Le lit va grincer, dit Jacquemort décidant de remettre sa psychanalyse à un peu plus tard. On peut mettre ta paillasse par terre, plutôt.

– Oui…, dit-elle excitée.

Il sentait sa sueur parfumer la pièce. Elle devait être toute moite. Ça ne serait pas désagréable.

XVI

27 juinet (encore après).

Le pas pesant sur l'escalier de bois les tira de leur torpeur. Jacquemort se ressaisit rapidement et se désenchevêtra de la fille mi-partie sur la paillasse, mi-partie sur le sol.

– C'est lui…, souffla-t-il.

– Il ne viendra pas ici, murmura-t-elle seulement. Il va dans sa chambre.

Elle remua un peu.

– Lâche ça! protesta Jacquemort. Je n'en peux plus. Elle obéit.

– Vous reviendrez encore me psy… choser, dit-elle la voix rauque. J'aime ça. Ça fait du bien.

– Oui, oui, dit Jacquemort, plus excité du tout. Il fallait quand même dix minutes pour que l'envie revienne. Les femmes n'ont aucune délicatesse.

Les pas du patron, tout proches, ébranlèrent le couloir. La porte de sa chambre s'ouvrit en grinçant. et claqua. Jacquemort à genoux, prêta l'oreille. À quatre pattes, il se rapprocha doucement du mur. Soudain, un petit rayon de lumière lui perça l'œil. Un nœud du bois devait manquer dans la cloison. Progressant vers la source du rayon qu'il suivit avec la main, il trouva aussitôt le trou dans la planche et y colla son œil, non sans une légère hésitation; il recula aussitôt. Il avait l'impression d'être vu aussi bien qu'il voyait. Mais il se rassura par la raison et se remit à son poste d'observation.

Le lit du maréchal-ferrant se trouvait juste en dessous. Un lit bas, chose étrange, et démuni de couvertures. Un matelas et un drap bien tendu, à l'exclusion de l'immuable édredon mamelu à peau rouge que l'on trouvait sur tous les lits du pays, en constituaient l'essentiel.

Accommodant sur le reste de la chambre, il vit d'abord le maréchal torse nu et de dos. Il paraissait affairé à quelque tâche délicate. On ne distinguait pas ses mains. Puis elles s'élevèrent et firent le geste de tapoter quelque chose sur quelqu'un. Elles revinrent à sa propre ceinture et il défit la boucle, qui céda; son pantalon tomba, découvrant ses jambes énormes et noueuses, velues comme des jambes de palmier. Il avait un caleçon de coton sale qui chut à son tour. Jacquemort entendait un murmure. Mais il ne pouvait à la fois voir et prêter l'oreille.

Le forgeron dégagea ses pieds nus du caleçon et du pantalon, et, les bras ballants, se détourna et marcha vers le lit. Il s'assit. Encore une fois, Jacquemort avait eu un mouvement de recul en le voyant approcher. Mais n'y tenant plus, il recolla immédiatement son œil à l'ouverture. Il ne bougea même pas en sentant Nëzrouge s'approcher de lui et se dit qu'elle allait prendre un bon coup de pied dans la poire si elle le faisait suer. Et puis il ne se dit plus rien car son cœur s'arrêtait. Devant lui, il voyait maintenant ce que le dos du forgeron lui avait caché jusqu'ici. C'était, vêtu d'une robe de piqué blanc, un merveilleux androïde de bronze et d'acier, ciselé à l'image de Clémentine, et qui marchait vers le lit d'un pas irréel. La lueur de la lampe, invisible pour Jacquemort, tirait des reflets de ses traits délicats, et le métal luisant des mains, poli jusqu'à la douceur du satin, scintillait comme un bijou sans prix.

L'automate s'arrêta. Jacquemort voyait le maréchal haleter d'impatience. D'un geste aisé, les mains de métal se portèrent au col de la robe qu'elles arrachèrent sans effort.

L'étoffe blanche en lambeaux tomba sur le sol. Jacquemort, fasciné, détaillait les seins de peau souple, les hanches flexibles et les articulations miraculeuses des genoux et des épaules. Doucement, l'androïde s'étendit sur le lit. Jacquemort se rejeta en arrière. À tâtons, il écarta brutalement la bonne qui s'efforçait de le remettre en train et il chercha fiévreusement son pantalon. Il avait laissé son bracelet-montre dans sa poche. À la lueur vague de la lucarne, il regarda: cinq heures moins le quart.

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