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L'homme n'avait strictement rien laissé derrière lui mais Anita demanda qu'on relève les empreintes dans tout le pavillon.

Lorsqu'elle ressortit à l'extérieur elle vit que des nuages s'amoncelaient au sud-ouest, gagnant progressivement sur le ciel. La vision de ces cumulonimbus se formant sur la mer l'emplit d'une sorte d'anxiété mélancolique. Les choses ne tournaient pas tout à fait comme prévu. Rien ne semblait remonter avec le filet. La fouille de la Casa Azul n'amènerait sans doute rien, sinon mettre Eva Kristensen en alerte et lui permettre de disparaître.

De guerre lasse elle demanda à De Vries de leur ouvrir les portes de l'appentis.

L'appentis servait de débarras. Il était encombré d'un assemblage d'objets hétéroclites, tel un vieux grenier. Mais un grenier de luxe, débordant d'antiques baignoires de bronze, de fonte ou de faïence, aux canalisations chromées, style Art déco, de vieux rideaux de popeline roulés avec des tapis d'Orient couverts de poussière, d'antiques lits aux armatures de fer forgé, d'instruments de cuisine, de batteries complètes de casseroles en cuivre, de fers à repasser à vapeur datant des années vingt, de vieux meubles de télévision, dont certains contenaient encore d'antiques postes Thomson français des années soixante…

De Vries laissa Anita se couvrir de poussière en déambulant au milieu des objets entassés.

– M. Van Eidercke dit qu'il y a des objets très rares dans ce capharnaüm et il entreprend d'en restaurer les plus beaux…

Anita disparaissait progressivement vers le fond, franchissant un amoncellement de tapis et de caisses diverses.

Les deux flics portugais encadraient De Vries, impassibles, à l'entrée de la double porte grande ouverte.

Au bout d'un moment elle réapparut, les cheveux pleins de toiles d'araignées, le blouson et le pantalon couverts d'une poussière grise.

– Dites-moi, lança-t-elle vivement, il y a une espèce de trappe dans le fond, fermée par un cadenas neuf, vous pourriez me donner la clé?

De Vries figea ses traits en un masque d'incompréhension. Il vérifia soigneusement son trousseau de clés et releva la tête, d'un air penaud.

– Écoutez inspecteur, je ne comprends pas. Je ne possède pas la clé de cette… trappe. Je crois que personne d’ailleurs, il me semble que c'est une porte condamnée dont plus personne ne se sert.

– Pourquoi y a-t-il un cadenas neuf, alors?

Il répondit par une mimique désespérée qu'il ne savait vraiment pas.

– Bon. Ça n'aucune importance… Suivez-moi. Elle réussit à ouvrir le cadenas avec un de ses passes spéciaux et un des flics portugais tira l'anneau de fer vers lui. Elle remarqua qu'il n'y avait pas énormément de poussière sur l'épais carré de chêne.

La trappe découvrit un petit escalier de bois, rudimentaire, très raide, s'enfonçant dans un puits carré de deux mètres de profondeur environ, jusqu'à une porte de bois épaisse, solidement fermée par un autre cadenas. Elle alluma sa torche et un disque de lumière fit scintiller le métal. Elle promena le faisceau. Le puits était fait de pierres de taille, datant sans doute des origines de la maison.

– Vous n'avez pas de clé pour ouvrir cette porte non plus, je présume?

L'homme hocha négativement la tête, en silence.

Elle se glissa dans le trou, descendit les marches et se retrouva face à la porte.

Elle réussit à ouvrir le cadenas après quelques minutes de patiente recherche dans les dizaines de clés qui ornaient son trousseau de cambrioleur.

La porte se poussait et elle émit le couinement caractéristique de la rouille en tournant sur ses gonds.

La pièce était vide, à l'exception de quelques cartons empilés çà et là. Elle entra dans la petite salle plongée dans l'obscurité, au plafond bas. Elle entendit le bruit que faisait un des flics en descendant les marches derrière elle.

Il n'y avait aucun interrupteur dans la pièce. Rien qu'une cave voûtée munie d'un minuscule soupirail, donnant de l'autre côté de l'appentis. Les cartons étaient soigneusement fermés par de larges bandeaux de Scotch brun. Elle s'approcha précautionneusement d'une des caisses marron. De la pointe du canif elle déchira un des bandeaux et ouvrit légèrement l'espace entre deux pans de carton.

Sa torche éclaira le plastique noir et scintillant d'un boîtier de cassette vidéo.

Elle tressaillit et ouvrit plus largement le carton.

Il y avait plusieurs dizaines de cassettes. Des cassettes analogues aux programmes audiovisuels de l'institut. Cela ressemblait à une collection spéciale, de prestige, avec une petite sirène rouge dans un disque doré, sur la tranche des cassettes.

New Life Pictures, écrit en délicates elzévir.

Elle sortit un gant de soie de sa poche et le mit à sa main droite. Elle extirpa une des boîtes du lot et l'observa à la lumière de sa torche.

The Power of Transformation.

Le jeune flic s'accroupissait à côté d'elle.

– Qu'est-ce que c'est?

– Je ne sais pas, justement, souffla-t-elle. Elle se releva et observa la petite dizaine de cartons entassés aux quatre coins de la pièce.

– Il faut visionner ça tout de suite.

Dix minutes plus tard, les cartons s'entreposaient dans l'ancienne buanderie. De Vries fixait la scène, comme halluciné, les six magnétoscopes en ligne diffusant des images de jacuzzis et d'océans à un rythme effréné, s'arrêtèrent. Anita prit six des nouvelles bandes et les fit placer dans la gueule noire des appareils.

Elle attendit patiemment que les images apparaissent.

Elle avait trouvé cinq titres différents, et l'un d'entre eux était diffusé en double à chaque extrémité du mur d'écrans. The Power of Transformation, donc, encadra Chaud et rouge comme la vie, Sister Full Moon, La fête des ténèbres et Le culte de la tronçonneuse.

Six longues séries d'atrocités filmées défilèrent, comme d'odieux vidéoclips, tournés au cœur de l'enfer.

Il fallut baisser le son des télévisions, tellement les hurlements et les plaintes s'avérèrent insoutenables. Certaines soufflées dans des langues étrangères que personne ne sembla reconnaître. Peut-être slaves, pensait Anita, pétrifiée devant l'abomination cathodique. Des jeunes filles, parfois très jeunes, vraiment. Quatorze, quinze ans…

L'étendue des supplices que peut recevoir un corps humain est sans limites. Sur chacun des films elle assista à plusieurs exécutions précédées de longues séances de tortures et de mutilations. Les images étaient nettes, avec un piqué dense, profond et régulier. Filmées de manière professionnelle sans aucun doute. De beaux effets de lumière, des fumigènes. Et de la musique. Du classique, ou du jazz des années 30 et 40. En contrepoint aux suppliques et aux hurlements animaux.

Anita comprit quelque chose, pétrifiée, devant le spectacle intolérable.

Dans La fête des ténèbres, par exemple, les tortionnaires étaient au nombre d'une bonne douzaine, tous masqués, hommes et femmes, et ils buvaient le sang de leurs victimes, suspendues par les pieds, dans de splendides coupes de cristal, comme les deux couples de Chaud et rouge. comme la vie.

Dans Le culte de la tronçonneuse, quatre adolescentes venant de pays divers, Europe de l'Est, Asie du Sud-Est et Moyen-Orient étaient violées et dépecées vivantes par deux hommes et une femme, aux visages cachés par des cagoules de cuir.

Dans Sister Full Moon, un groupe, composé exclusivement de femmes voilées de rouge, mutilaient longuement deux jeunes adolescents aux traits orientaux, peut-être hindous, ou pakistanais, ainsi que deux femmes noires et une petite adolescente maigrichonne, aux cheveux roux.

Ce qu'elle lisait sur les visages autour d'elle, à part l'effarement et le dégoût, c'était comme une lueur de pitié et de compassion pour les victimes.

Certains regards, noirs et intenses, fixaient De Vries, qui lui contemplait ses pieds…

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