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Il avait hurlé aux équipes des frontières de se réveiller et de se mettre en état d'alerte. Le Sicilien de Travis et un nommé Pinto rappliquaient par ici.

En une poignée de minutes, la maison se transforma en une forteresse inexpugnable. Sorvan plaça les hommes à tous les points stratégiques, à l'extérieur comme à l'intérieur. Il envoya les deux Français en reconnaissance dans le parc. Demanda à Rudolf de monter à l'étage et de tout scruter avec les jumelles russes à vision nocturne. La maison fut plongée dans le noir total et tous les rideaux tirés. Il n'avait rien dit à Dorsen, qui attendait patiemment au centre du salon. Dorsen avait tenté le coup. Il s'était approché de Sorvan qui mettait le nez à la fenêtre et regardait le spectacle des montagnes sous la lune, en écartant légèrement le rideau.

– Que dit Koesler exactement, où ils sont les mecs de Travis? avait soufflé Dorsen, précautionneusement.

– Quelque parrt dans le coin. Il me dirre qu'eux rrôder entrre la Serra Monchique et l'autrre là-bas, Caldoeirro… Il me rrappeler si eux revenirr vers Monchique.

Puis il avait tourné dix bonnes minutes au rez-de-chaussée en s'allumant un énorme cigare qu'on pouvait suivre à la trace.

Dorsen s'était posté à une fenêtre, sur une chaise, et s'était patiemment préparé. Il avait armé son Beretta et engagé une balle dans le canon de la kalachnikov à crosse repliable. Puis il avait patiemment attendu, l'œil fixé sur la forêt environnante et sur la petite route, qu'il apercevait comme un petit ruban crayeux et sinueux, plus bas sur la pente.

Une demi-heure plus tard, il entendit Sorvan souffler en s'arrêtant près de lui. Des volutes de fumée planaient dans tout le salon.

– Quoi foutrre Koesler, nom de dieu?

Dorsen s'était légèrement retourné et avait vu le colosse, le regard intense fixant la petite route, debout à ses côtés. Une petite route qui serpentait jusqu'à la vallée et où aucune lumière mobile ne venait dans leur direction.

– Y vont p'têt plus du tout vers Monchique, maintenant, se risqua Dorsen.

Le Bulgare lui jeta un vague coup d'œil, puis lui tourna le dos.

Il fonça comme un rhinocéros en furie vers le vestibule de l'entrée. La canne martela le parquet vitrifié de l'immense pièce. Dorsen l'entendit ouvrir le petit meuble où se trouvait la C.B. et les crachotements de l'appareil qu'on allumait.

– Allô, K-2? ici Kaiserr, vous m'entendrre, rugissait l'énorme voix de Sorvan.

Elle rugit pendant cinq bonnes minutes, sans discontinuer. Une pause de trente secondes. Une respiration haletante et des nuages de fumée qui s'enroulaient jusqu'au salon. Puis de nouveau sa voix avait tonné dans la maison, interrogeant le poste de radio et le vide interstellaire.

Puis Dorsen avait entendu le pas lourd de Sorvan revenir dans le salon.

– Dorrsen? Koesler ne répondrre pas. Il y a un prroblème…

Dorsen avait doucement fait face au colosse.

– Nous devoirr agirr.

Dorsen avait instinctivement compris que le Bulgare venait de l'engager d'office comme lieutenant et il avait passé le fusil d'assaut russe sur son épaule.

Sorvan semblait réfléchir intensément.

– Nous allons sorrtirr. Verrs cette sierra, là où Koesler dirre que le Sicilian allait. Nous parrtager les équipes. Toi, les deux Frrançais et moi on va sorrtirr, Antoon…

Son hurlement retentit dans toute la maison, jusqu'à la cuisine ou se trouvait ledit Anton.

L'homme accourut au pas de course. Anton était un des rares survivants des hommes de Sorvan, avec Rudolf et les deux Français. Il avait fait équipe avec un type de Koesler, à la frontière de Vila Real de Santo Antonio, et avait ainsi échappé au massacre. Les équipes de Badajoz et d'Albufeira étaient constituées d'hommes de Koesler.

Quant aux deux Portugais de Marvao, c'étaient des hommes du milieu local, qui avaient été visiblement mis sur le coup par leur mystérieux contact au Portugal.

Anton était un jeune élève officier de la police bulgare qui avait dû fuir avec le colosse en 1991.

C'est en bulgare que le colosse s'adressa à son congénère.

– Anton, toi et Rudolf vous allez rrester ici et vous coordonnerrez deux équipes, à l'intérieurr… Nous allons devoir sorrtirr pour retrrouver Koesler et le Sicilian. Nous resterrons en contact rradio. Si vous voyez des lumièrres vous nous appelez. Ne faites rrien. Laissez-les s'apprrocher et même entrrer dans la maison. Serrez-les à l'intérrieur, comprris? Ne tirrez pas. Si nous arrivons avant eux nous procéderons de la même manière, bien compris?

Anton hochait à peine la tête.

– Bon, rrappelle les Frrançais au talkie.

Il se tournait déjà vers Dorsen, alors qu'Anton marchait d'un pas vif vers l'entrée en collant un rectangle noir, gainé de cuir à son oreille.

– Je n'aime pas ça, que Koesler ne pas répondrre, reprenait le Bulgare dans son néerlandais approximatif.

Dorsen ne répondit rien. Lui non plus il n'aimait pas ça. C'était Koesler qui l'avait embauché sur ce coup, en lui promettant un boulot sans trop de risques et il connaissait maintenant assez bien cet ancien broussard des unités antiguérillas de la police sud-africaine. Koesler était sans pareil pour traquer des gens sans relâche, nuit et jour, dans à peu près n'importe quelles conditions. Il savait faire ça discrètement et sans une seconde de distraction. Il avait ainsi rendu différents services pas très clairs pour des officines privées peu recommandables, et d'après ce que savait Dorsen c'était par une de ces officines qu'il avait rencontré Vondt, puis cette femme pour qui ils travaillaient tous désormais, cette Mme Cristobal, qui payait si largement. Koesler ne se serait pas laissé surprendre, pensait-il, mais cette idée n'arrivait pas vraiment à faire surface, elle sonnait faux.

Dorsen avait pris le volant, avec Sorvan à ses côtés et les deux Français à l'arrière. Ils avaient pris une des deux grosses Opel Vectra et Dorsen avait suivi consciencieusement les indications que Sorvan lui donnait, la carte grande ouverte sur les genoux, masquant ses jambes et la canne.

Ils plongèrent dans la vallée et foncèrent en direction de l'est. Trente bornes plus loin, Sorvan lui dit de prendre la petite route qui menait à la N124. Il surveillait attentivement la carte, l'index plaqué sur un coin précis du réseau, l'œil guettant le moindre panneau indicateur. À un moment donné Sorvan lui ordonna à nouveau de tourner sur une petite piste qui s'enfonçait vers la Serra de Caldoeiro.

– Voilà, c'est quand eux prrendrre cette rroute que Koesler envoyer son derrnier message.

Dorsen ralentit et mit les feux en veilleuse.

Ses yeux se plissèrent pour discerner la voie blanchâtre qui s'enfonçait vers les versants des hautes buttes boisées, aux contours découpés, là-bas à l'horizon.

C'est dans cette montagne boisée qu'ils tombèrent sur la voiture de Koesler.

La voiture n'était pas du tout à la bonne place.

Elle se dressait sur le côté de la piste, en contre-bas d'une pente caillouteuse couverte de pins et de cèdres, posée étrangement en équilibre sur le côté. La voiture était complètement défoncée et sous le rayonnement de la lune, on pouvait voir nettement la travée qu'elle avait tracée dans la broussaille et les arbustes, sur cette pente, au-dessus de laquelle la route passait après s'être enlacée autour de ce pan de montagne, un peu plus loin. Putain, on avait jeté la caisse de Koesler du haut de la pente, et elle avait achevé sa chute ici, sur la route, juste devant eux. Il stoppa la voiture et jeta un coup d'œil en coin vers sa droite. Sorvan contemplait la sculpture de métal sans dire un mot, les mâchoires fermées, le regard plein d'un feu intense.

Il s'extirpa de la voiture, s'appuya sur sa canne et marcha de son pas claudicant vers la Seat renversée.

Dorsen sortit à son tour, puis les deux Français, chacun de son côté.

Ils entourèrent la voiture et promenèrent les faisceaux de leurs torches de part et d'autre de la route, sur la pente du haut en en contrebas, à la recherche du corps de Koesler. Mais personne ne vit rien.

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