Il y eut un petit éclat de rire cristallin.
– Non, non, ne vous inquiétez pas Hugo. D'ailleurs il faut que je vous félicite pour votre intervention. La blessure se referme et la fracture était bénigne en fait. Dans une semaine je serai opérationnelle à cent pour cent.
– Tant mieux…
Il ne savait quoi dire d'autre. Le silence hachuré de parasites avala l'espace tout entier.
– Allô, Hugo?
Un petit éclat de rire.
La voix tintait comme du cristat la cabine téléphonique elle-même résonnait comme une coupe en baccarat.
Il réalisa qu'il n'était pas du tout dans son état normal et il fit un violent effort pour se concentrer sur la dure matérialité de la vie.
Il fallait reprendre la route.
– A ce soir.
Sa voix n'était plus qu'un feulement rauque, voilé d'une émotion nouvelle et particulièrement résistante.
Il raccrocha sans attendre et retourna s'asseoir au volant.
Il démarra et monta un peu le volume du lecteur de cassettes. Easy Riiiider tourbillonnait la voix de Hendrix dans des volutes de guitares en fusion.
Easy Riiiider…
Passé Faro il continua sur la 125 en direction de Vila Moura.
– Vous ne l'avez vraiment jamais entendu parler d'un terrain quelque part, d'un entrepôt, même à l'époque où vous alliez le voir à Vila Real?
– Non, non. Jamais. Il m'disait juste qu'il conseillait quelqu'un pour la fabrication d'un voilier, y m'avait même pas dit que c'était le sien…
– Je vois…
Hugo jeta un coup d' œil au rétroviseur.
– Je ne sais pas pourquoi il a voulu garder le secret, peut-être parce que le Grec était dans le coup…, reprit Pinto, comme s'il réfléchissait tout haut.
– Quais… Sinon revenons un peu au type du journal nautique, là. Vous avez aperçu sa voiture?
– Quais, répondit Pinto avec un large sourire. J'ai regardé par la fenêtre et y s'est arrêté un moment sur la route, en haut du chemin. Une Peugeot 405 crème, une MI 16. Une super-bagnole.
– Ah bon… C'était pas une Seat blanche…
– Non, une MI 16, j'suis sûr… pourquoi?
– Ben… c'est à cause de celle qui nous suit, depuis Tavira j'crois bien… Mais j'l'ai vraiment repérée qu'à la sortie de Faro..
Pinto ne se retourna pas. Il essaya d'apercevoir l'arrière de la voiture par le rétroviseur droit.
– Une Seat blanche?
– Quais. Mais il est assez loin derrière, maintenant…
– Qu'est-ce vous comptez faire?
– Pour le moment, rien, rouler…
– Et jusqu'où, Christus, jusqu'à la planque de Travis?
Le ton de sa voix n'était pas tendre.
– Non, jusqu'à la nuit… ça ne devrait plus trop tarder maintenant.
– La nuit? Vous avez un plan?
– Non, pas encore, mais d'ici là on aura trouvé une occasion, croyez-moi.
– Donc on roule?
– C'est ça, on roule.
L’opportunité se dévoila entre Albufeira et Silves, il vit une petite départementale, voire une communale qui s'enfonçait vers le nord, vers les contreforts des serras de Monchique et de Caldeirao. Au-dessus d'eux, le ciel était rose et des nuages bleu et violet couraient au-dessus des serras. Le soleil venait de disparaître sous la ligne d'horizon en jetant un ultime éclat orange. Il prit à droite toute, sans hésiter. Puis il décéléra pour adopter une conduite vraiment peinarde.
Dans le rétroviseur la Seat quittait la nationale à son tour pour s'enfonçer dans le paysage sec et rocheux, mais peuplé de bois à la végétation luxuriante, sur les flancs des collines.
– Bon maintenant, faut trouver un chemin de campagne, ou une toute petite route…
Il la trouva une dizaine de kilomètres plus loin, à une autre intersection, une piste caillouteuse qui partait, vers l'est, vers la Serra de Caldeirao, se perdant dans la nuit qui tombait sur les flancs des collines.
– Bon, je vais vous dire ce que nous allons faire. A un moment donné, je m'arrêterai et vous ferez tout ce que nous allons répéter maintenant, O.K.?
Pinto acquiesça, en silence.
Koesler n'arrivait pas à joindre Vondt, et c'est ça qui l'avait rendu nerveux, se dirait-il plus tard en repensant à tout ça. Vondt était avec Eva Kristensen, quelque part en Algarve, peut-être au large, personne ne connaissait la fréquence spéciale utilisée par Eva K. lors de ses déplacements en mer et il doutait même qu'on puisse la joindre avec ce simple poste de C.B.
De toute façon, Vondt lui avait ordonné expressément de ne jamais essayer de le joindre quand il était en rendez-vous «physique» avec Mme Kristensen, et Koesler fixait le petit appareil de radio suspendu sous le tableau de bord, avec une impatience mal contenue. C'est pour cela qu'il faillit ne pas voir les deux types prendre à droite, vers le nord.
Putain, réagit-il en allumant son clignotant. Ils vont droit vers la Serra de Monchique!
Il sentit une boule se former dans son estomac.
Les deux types seraient sur la piste de la maison?
Putain mais comment auraient-ils pu découvrir…
Vondt.
Vondt était passé voir ce mec, Pinto, dans l'après-midi, aux entrepôts Corlao puis lui avait dit de rappliquer. Koesler n'était pas arrivé depuis une demi-heure quand Pinto était ressorti, avec un type, brun, portant des lunettes noires, et une sorte de blouson militaire de cuir noir.
Koesler avait eu Vondt, qui se rendait vers Sagrès. Vondt lui avait demandé de s'accrocher aux basques des mecs et de ne les lâcher sous aucun prétexte. Il le joindrait tout de suite après son entrevue avec Mme K. Koesler lui avait demandé:
– Qui c'est à votre avis ce mec-là?
– Je sais pas, avait craché la voix métallique de Vondt dans le haut-parleur.
– Vous pensez pas que ça pourrait être le gars en question? Le Sicilien de Travis? Le tireur de l'hôtel?
– Putain, Koesler… heu Gustav, j'en sais foutrement rien, vous m'avez tous dit n'avoir vu qu'une putain d'ombre avec des cheveux couleur de métal. O.K? Et là, en plus tu m'parles d'un type brun, alors j'te dis, j'en sais foutrement rien. Ce que je veux c'est que tu ne perdes pas de vue un seul instant leurs feux arrière.
Et ce fils de pute avait coupé la communication. Mais voilà c'était à cause de Vondt si les mecs se rendaient vers Monchique. Il s'était fait repérer, ce con, et d'une manière ou d'une autre ça signifiait que les types étaient sur les traces du groupe.
Vondt lui avait dit expressément ne rien faire d'autre que suivre les mecs et attendre son appel.
Mais si Pinto et le tueur sicilien trouvaient la planque des gars, alors là on était cuits pour de bon, pensait-il avec fébrilité.
Il hésita longtemps puis finit par appeler la maison, où il tomba sur Dorsen.
– Quais, Dorsen.
– C'est moi Koesler. Bon y a du nouveau…
– J't'écoute.
– Pinto, le mec que Vondt est allé voir à Tavira, il est avec le Sicilien d'Évora alors j'les suis, O.K?
– Quais, O.K Et alors?
– Et alors, y's'dirigent droit vers la Serra de Monchique.
Un silence.
– Tu as appelé Vondt?
– Non il est pas joignable pour le moment.
– Qu'est-ce que tu proposes?
– Parles-en à Sorvan et tenez-vous sur vos gardes.
– Qu'est-ce ça veut dire ça? J'te demande c' qu'on fait si les mecs rappliquent par ici…
– Tu sais aussi bien que moi que j'peux donner aucun ordre. Je ne peux en recevoir que de Vondt, mais je n'peux en donner à personne, alors t'en parles à Sorvan et lui y décide. Et toi tu me rappelles.
Il coupa sèchement la communication. Putain les mecs n'étaient plus sur la départementale, bordel… Ah si, il apercevait leurs lumières s'enfonçant dans cette petite route défoncée et caillouteuse qui partait vers des massifs rocheux à l'est, s'éloignant de Monchique.
Il fut obligé de piler sèchement pour ne pas rater le croisement.
Il apercevait les plots rouges et les faisceaux blancs des phares, par intermittence, entre les flancs des collines. Il se maintint à bonne distance pour ne pas se faire repérer.