Le viseur se stabilisa sur l'homme dans l'escalier alors que les flammes trouaient la nuit. Il vit la silhouette s'aplatir contre le mur, ombre verte sur un simple décor gris verdâtre. Le bruit de son corps resonna lourdement sur les marches. L'homme qui l'accompagnait se jeta à plat ventre sur les marches alors que les impacts dévoraient le mur.
Son premier chargeur était vide. Il le dégagea vivement et le retourna d'un geste avant d'enclencher son double scotché dans un claquement sec.
Il arma la culasse.
C'est à ce moment-là qu'il se passa quelque chose d'étrange dans le couloir. Le grand type ne tirait plus vers lui, il tirait vers l'autre extrémité du couloir, d'ailleurs n'avait-il pas vu une porte s'ouvrir à la périphérie de sa vision alors qu'il plombait le type de l'escalier? Oui, la porte du fond en face de la sienne s'était ouverte et une silhouette verte avait gueulé en brandissant quelque chose. Et là, le grand type venait de se retourner et de tirer vers cette silhouette qui se courba en deux puis s'effondra. Qui c'était ça, bon dieu? Hugo dirigea le viseur vers la grande silhouette couchée, et les flammes trouèrent la nuit à nouveau mais l'ombre roulait vers le mur du couloir où elle s'aplatissait, disparaissant à sa vue. Un sérieux celui-là. Des coups de feu retentissaient déjà dans l'escalier. Et d'autres là, encore une fois au fond du couloir. Et merde, l'autre gars de l'escalier rappliquait à nouveau et vidait un chargeur plein en direction de sa chambre. Un automatique. Des balles fusèrent autour de lui. Très proches. L'homme avait dû repérer les flammes. Et un type apparaissait derrière lui avec un fusil à pompe. Il cala le viseur entre eux deux et arrosa la cage. Le type au fusil déboulait les marches en poussant une plainte étouffée. Le grand planqué contre le mur du couloir continuait de tirer, putain… Hugo roula sur le côté et passa sous le lit pour ramper jusqu'à la porte. Mais d'autres coups de feu retentissaient déjà du fond du couloir et Hugo entendit un juron dans une langue rugueuse qu'il ne connaissait pas. Des détonations encore… Il se retrouva près du chambranle de la porte à plat ventre. Il s'accroupit et ajusta le viseur sur le décor du couloir. Il vit que la grande silhouette semblait touchée et descendait l'escalier à reculons, en tirant au jugé dans sa chambre et un peu partout, plus généralement, protégé par le deuxième homme de l'escalier qui plombait l'espace avec deux flingues maintenant. La rambarde de l'étage semblait dévorée par une race particulièrement tonique de termites. Dans l'escalier, un autre homme arrivait avec un fusil lui aussi, et un autre encore avec un petit PM israélien à canon ultra-court, nom de dieu. Les types montèrent à l'assaut de l'escalier en ouvrant le feu. Des balles et de la grosse mitraille s'étoilèrent partout dans la chambre, sur les murs. Hugo stabilisa vaguement le viseur sur les silhouettes verdâtres. Les flammes trouèrent la nuit à nouveau et les impacts dévorèrent la cage d'escalier. Il vit qu'il avait fait mouche. Le type aux deux flingues avait morflé et l'homme au PM aussi, dévalant les marches. Le type au fusil se jeta très professionnellement au bas de l'escalier et empoigna au passage la lourde silhouette qui traînait la jambe, à l'entresol. Ils réussirent par miracle à échapper à l'essaim de balles qui pilonna la cage jusqu'à ce que son chargeur soit vide.
Le bruit du percuteur agaça son oreille.
Il reprit son souffle et essuya la sueur qui lui dégoulinait de partout sur le visage et dans le cou.
Il entendit leur course au rez-de-chaussée, la porte du hall s'ouvrir et des cris résonner dans l'espace. Des ordres brefs. Il les entendit sortir de l'hôtel, à toute vitesse, puis courir sur le gravier. Il entendit presque aussitôt les moteurs démarrer et es portières claquer. Puis le crissement des pneus.
Il fut surpris de constater qu'aucune sirène de police ne hululait dans la nuit.
Seigneur dieu. Cela faisait trois bonnes semaines qu'il n'avait pas eu aussi peur. Il était couvert d'un film moite et glacé. Quand il avait compris qu'ils étaient une bonne dizaine il s'était dit que le siège serait plus difficile à tenir que prévu. Mais, bon, ça avait marché. Bon sang… il n'aurait jamais cru pouvoir tuer six ou sept hommes aussi rapidement, là, en quoi? Allez… deux ou trois minutes?
Les silhouettes avachies en travers de la porte et le poids du PM dans le creux de sa main lui montraient toute la matérialité du phénomène.
Il ne fallait pas rester. Il courut jusqu'au cabinet et lança d'une voix étouffée:
– Alice c'est moi, Hugo. Tu peux sortir. C'est fini, maintenant.
Il entendit le verrou qu'on poussait puis le battant pivota, la découvrant, le visage anxieux et proprement défait.
Hugo tenait négligemment l'arme vers le sol, il gérait l'urgence et avait oublié momentanément le long terme. On avait tiré une deuxième fois du fond du couloir, après que l'homme de la chambre avait été abattu par la grande silhouette. C'était même sûrement ces coups de feu qui avaient atteint le chef des ombres.
Il était juste en train d'y penser lorsqu'il vit le visage d'Alice fixer un point derrière lui. Son visage exprimait une émotion indicible. Un mélange d'incompréhension, d'étonnement total et d'émerveillement. Bouche bée, le regard perdu par-dessus son épaule.
Il se retournait lorsque la voix avait éclaté, extrêmement sèchement.
– Policia. Polizei. Police, puis en portugais: ne faites aucun geste et laissez tomber votre jouet.
Du coin de l'œil Hugo vit une élégante silhouette s'encadrer dans l'ouverture. Des cheveux longs, fauves, presque roux, qui tombaient sur ses épaules. Un simple polo noir et un blue-jean. Oui, bien sûr, la voix avait été si totalement féminine.
Il fit doucement face à la silhouette qui avançait vers lui, une des ses mains braquant le flingue vers lui, tout à fait professionnellement.
L'autre pendait mollement le long de son corps. Malgré l'obscurité, il put discerner des reflets gras dans le haut du bras. Et des rigoles noires suintant sur son poignet blafard.
– Ne faites rien de regrettable, et laissez tomber votre jouet. Je suis droitière.
Elle voulait sûrement dire par là qu'elle tenait son petit automatique de la main la mieux entraînée, se dit Hugo. Son regard se portait maintenant sur Alice.
Celle-ci totalement paralysée lâcha péniblement, en hollandais:
– Ma… Madame Van Dyke…
La femme-flic fit un sourire à l'enfant tout en continuant de braquer son petit automatique sur la figure d'Hugo. Manières qu'il trouvait tout à fait détestables et manquant de courtoisie.
Van Dyke? pensait-il, cette fille serait une flic hollandaise?
– Posez ce machin, laissa-t-elle tomber, toujours en portugais, nullement résignée par son obstination. Et levez les mains.
Puis en néerlandais, ce que nota immédiatement Hugo:
– Viens ici Alice.
D'un geste rapide du pistolet, mais qui lui arracha une petite plainte, elle aplatit l'interrupteur à sa droite. La lumière du plafonnier se répandir dans la pièce.
Une assez jolie fille, nota Hugo, sans le vouloir. Le flingue était déjà revenu à sa place initiale.
Hugo n'avait pas le choix. Il fit doucement glisser le PM le long de sa lanière et le posa délicatement à terre.
– Pas de problème, dit-il dans sa langue paternelle. Il est vide de toute façon.
– Levez les mains…
Puis en hollandais:
– Qui êtes-vous?
La jeune femme le détaillait d'un œil soupçonneux et scrutateur.
Son visage était très pâle. Et un film de sueur perlait sur son front. Ses yeux semblaient troublés par un voile de fatigue.
Hugo ne savait pas trop comment se dépêtrer du piège. Il resta silencieux. Leva lentement les mains à hauteur des épaules.
C'est Alice qui lui sauva la mise.
– Madame Van Dyke… Anita, ne lui faites pas de mal. C'est Hugo, c'est un ami, il m'a aidée. Il m'a sauvée des hommes de ma mère…