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Et, disant cela, Mathieu m’exhibait une fleur fanée et, faisant les yeux tendres, lançait à la volée un baiser dans l’azur. Un mois, deux mois passèrent, je ne rencontrais plus Mathieu. Je dis:

– Allons le voir.

Je monte donc à sa chambrette – et qu’est-ce que je trouve? Mon Anselme, qui, le pied sur une chaise, me fait:

– Arrive vite, que je te conte mon accident… Figure-t-on, mon bon, que j’avais trouvé le joint, une nuit sur les onze heures, pour entrer dans le jardin de ma divine baronne. Tout était arrangé. Lélette, ma brave blanchisseuse, nous prêtait la main… et je pensais grimper, par un de ces rosiers qui, tu sais? fleurissent en treillage, jusqu’à une fenêtre où devait ma souveraine tendre le bras à mes baisers. J’escaladais déjà. Le cœur, tu peux m’en croire, me battait fortement… O ciel! tout à coup la fenêtre s’entr’ouvre doucement; les liteaux de la jalousie se haussent: une main, Frédéric, une main… (ah! je le connus vite, ce n’était pas celle de la baronne) me secoue sur le nez la cendre d’une pipe! Comme tu peux imaginer, je n’attendis pas mon reste… Je glisse à terre, je m’enfuis, je franchis le mur du jardin, et, patatras! morbleu, je me foule le pied!

Vous pouvez penser si nous rîmes à nous démonter la mâchoire!

– Mais, au moins, tu as fait venir un médecin?

– Oh! ça ne vaut pas la peine, dit-il… La mère de Lélette se trouve une conjuratrice (tu les connais peut-être elles tiennent un bouchon vers la porte d’Italie). Elles m’ont fait tremper le pied dans un baquet de saumure. La vieille, en marmottant quelques exécrations, m’y a fait trois signes de croix avec son gros orteil, puis on me l’a serré de bandes…

Et, maintenant, j’attends, en lisant les Pâquerettes de l’ami Roumanille, que Dieu y mette sa sainte main… Mais le temps ne me dure pas: car Lélette m’apporte, deux fois par jour, mon ordinaire; et, à défaut de grives, comme dit le proverbe, on mange des merlettes.

Or ça, l’ami Mathieu, futur (et bien nommé) Félibre des Baisers, qui fut toute sa vie le plus beau songe-fêtes que j’aie jamais connu, avait-il rêvassé l’histoire que je viens de dire? Je n’ai jamais pu l’éclaircir, et j’ai raconté la chose telle qu’il me la narra.

CHAPITRE XI: LA RENTRÉE AU MAS

L’éclosion de Mireille. – L’origine de ce nom. – Le cousin Tourette. – Le moulin à l’huile. – Le bûcheron Siboul. – L’herborisateur Xavier. – Le coup d’État (1851). – L’excursion dans les astres, – Le Congrès des Trouvères: Jean Reboul. – Le Romévage d’Aix: Brizeux, Zola.

Une fois «licencié», ma foi, comme tant d’autres (et, vous avez pu le voir, je ne me surmenai pas trop), fier comme un jeune coq qui a trouvé un ver de terre, j’arrivai au Mas à l’heure où on allait souper sur la table de pierre, au frais, sous la tonnelle, aux derniers rayons du jour.

– Bonsoir toute la compagnie!

– Dieu te le donne, Frédéric!

– Père, mère tout va bien… A ce coup, c’est bien fini!

– Et belle délivrance! ajouta Madeleine, la jeune Piémontaise qui était servante au Mas.

Et lorsque, encore debout, devant tous les laboureurs, j’eus rendu compte de ma dernière suée, mon vénérable père, sans autre observation, me dit seulement ceci:

– Maintenant, mon beau gars, moi j’ai fait mon devoir. Tu en sais beaucoup plus que ce qu’on m’en a appris… C’est à toi de choisir la voie qui te convient: je te laisse libre.

– Grand merci! répondis-je.

Et là même, – à cette heure, j’avais mes vingt et un ans, – le pied sur le seuil du Mas paternel, les yeux vers les Alpilles, en moi et de moi-même, je pris la résolution: premièrement, de relever, de raviver en Provence le sentiment de race que je voyais s’annihiler sous l’éducation fausse et antinaturelle de toutes les écoles; secondement, de provoquer cette résurrection par la restauration de la langue naturelle et historique du pays, à laquelle les écoles font toutes une guerre à mort; troisièmement, de rendre la vogue au provençal par l’influx et la flamme de la divine poésie.

Tout cela, vaguement, bourdonnait en mon âme; mais je le sentais comme je vous dis. Et plein de ce remous, de ce bouillonnement de sève provençale, qui me gonflait le cœur, libre d’inclination envers toute maîtrise ou influence littéraire, fort de l’indépendance qui me donnait des ailes, assuré que plus rien ne viendrait me déranger, un soir, par les semailles, à la vue des laboureurs qui suivaient la charrue dans la raie, j’entamai, gloire à Dieu! le premier chant de Mireille.

Ce poème, enfant d’amour, fit son éclosion paisible, peu à peu, à loisir, au souffle du vent large, à la chaleur du soleil ou aux rafales du mistral, en même temps que je prenais la surveillance de la ferme, sous la direction de mon père qui, à quatre-vingts ans, était devenu aveugle.

Me plaire à moi, d’abord, puis à quelques amis de ma première jeunesse, – comme je l’ai rappelé dans un des chants de Mireille:

O doux amis de ma jeunesse,

Aérez mon chemin de votre sainte haleine,

c’était tout ce que je voulais. Nous ne pensions pas à Paris, dans ces temps d’innocence. Pourvu qu’Arles – que j ‘avais à mon horizon, comme Virgile avait Mantoue – reconnût, un jour, sa poésie dans la mienne, c’était mon ambition lointaine. Voilà pourquoi, songeant aux campagnards de Crau et de Camargue, je pouvais dire:

Nous ne chantons que pour vous, pâtres et gens des Mas.

De plan, en vérité, je n’en avais qu’un à grands traits, et seulement dans ma tête. Voici:

Je m’étais proposé de faire naître une passion entre deux beaux enfants de la nature provençale, de conditions différentes, puis de laisser à terre courir le peloton, comme dans l’imprévu de la vie réelle, au gré des vents!

Mireille, ce nom fortuné qui porte en lui sa poésie, devait fatalement être celui de mon héroïne: car je l’avais, depuis le berceau, entendu dans la maison, mais rien que dans notre maison. Quand la pauvre Nanon, mon aïeule maternelle, voulait gracieuser quelqu’une de ses filles:

– C’est Mireille, disait-elle, c’est la belle Mireille, c’est Mireille, mes amours.

Et ma mère, en plaisantant, disait parfois de quelque fillette:

– Tenez! la voyez-vous, Mireille mes amours!

Mais, quand je questionnais sur Mireille, personne n’en savait davantage: une histoire perdue, dont il ne subsistait que le nom de l’héroïne et un rayon de beauté dans une brume d’amour. C’était assez pour porter bonheur à un qui, peut-être, – sait-on? – fut, par cette intuition lui appartient aux poètes, la reconstitution d’un roman véritable.

Le Mas du Juge, à cette époque, était un vrai foyer de poésie limpide, biblique et idyllique. N’était-il pas vivant, chantant autour de moi, ce poème de Provence avec son fond d’azur et son encadrement d’Alpille? L’on n’avait qu’à sortir pour s’en trouver tout ébloui. Ne voyais-je pas Mireille passer, non seulement dans mes rêves de jeune homme, mais encore en personne, tantôt dans ces gentilles fillettes de Maillane qui venaient, pour les vers à soie, cueillir la feuille des mûriers, tantôt dans l’allégresse de ces sarcleuses, ces faneuses, vendangeuses, oliveuses, qui allaient et venaient, leur poitrine entrouvertes, leur coiffe cravatée de blanc, dans les blés, dans les foins, dans les oliviers et dans les vignes?

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