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A
A

Des jeunes filles sémillantes

Nous aimons le rire enfantin;

Et, si quelqu’une nous agrée,

Dans nos vers de galanterie

Elle est chantée et rechantée

Avec des mots plus que jolis.

Tous des amis, etc.

Quand les moissons seront venues,

Si la poêle frit quelquefois,

Quand vous foulerez vos vendanges,

Si le suc du raisin foisonne

Et que vous ayez besoin d’aide,

Pour aider, nous y courrons tous.

Tous des amis, etc…

Nous conduisons les farandoles;

A la Saint-Éloi, nous trinquons;

S’il faut lutter, à bas la veste;

De saint Jean nous sautons le feu;

A la Noël, la grande fête,

Ensemble nous posons la Bûche.

Tous des amis, etc…

Dans le moulin lorsqu’on détrite

Les sacs d’olives, s’il vous faut

Des lurons pour pousser la barre,

Venez, nous sommes toujours prêts

Vous aurez là des gouailleurs comme

Il n’en est pas dix nulle part.

Tous des amis, etc…

Vienne la rôtie des châtaignes

Aux veillées de la Saint-Martin,

Si vous aimez les contes bleus,

Appelez-nous, voisins, voisines:

Nous vous en dirons des brochées

Dont vous rirez jusqu’au matin.

Tous des amis, etc…

A votre fête patronale

Faut-il des prieurs, nous voici…

Et vous, pimpantes mariées,

Voulez-vous un joyeux couplet?

Conviez-nous: pour vous, mignonnes,

Nous en avons des cents au choix!

Tous des amis, etc…

Quand vous égorgerez la truie,

Ne manquez pas de faire signe!

Serait-ce par un jour de pluie,

Pour la saigner on lie la queue:

Un bon morceau de la fressure,

Rien de pareil pour bien dîner.

Tous des amis, etc…

Dans le travail le peuple ahane:

Ce fut, hélas! toujours ainsi…

Eh! s’il fallait toujours se taire,

Il y aurait de quoi crever!

Il en faut pour le faire rire,

Et il en faut pour lui chanter!

Tous des amis, joyeux et libres,

De la Provence tous épris,

C’est nous qui sommes les félibres,

Les gais félibres provençaux!

Le Félibrige, vous le voyez, était loin d’engendrer mélancolie et pessimisme. Tout s’y faisait de gaieté de cœur, sans arrière-pensée de profit ni de gloire. Les collaborateurs des premiers almanachs avaient tous pris des pseudonymes: le Félibre des Jardins (Roumanille), le Félibre de la Grenade (Aubanel), le Félibre des Baisers (Mathieu), le Félibre Enjoué (Glaup, Paul Giéra), le Félibre du Mas on bien de Belle-Viste (Mistral), le Félibre de l’Armée (Tavan, pris par la conscription), le Félibre de l’Arc-en-Ciel (G. Brunet, qui était peintre); tous ceux, ensuite, qui vinrent peu à peu grossir le bataillon: le Félibre de Verre (D. Cassan), le Félibre des Glands (T. Poussel), le Félibre de la Sainte-Braise (E. Garcin), le Félibre de Lusène (Crousillat, de Salon), le Félibre de l’Ail (J.-B. Martin, surnommé le Grec), le Félibre des Melons (V. Martin, de Cavaillon), la Félibresse du Caulon (fille du précédent), le Félibre Sentimental (B. Laurens), le Félibre des Chartes (Achard, archiviste de Vaucluse), le Félibre du Pontias (B. Chalvet, de Nyons), le Félibre de Maguelone (Moquin-Tandon), le Félibre de la Tour-Magne (Roumieux, de Nîmes), le Félibre de la Mer (M. Bourrelly), le Félibre des Crayons (l’abbé Cotton) et le Félibre Myope (premier nom du Cascarelet, qui a signé, plus tard, les facéties et contes naïfs de Roumanille et de Mistral).

CHAPITRE XIII: L’ALMANACH PROVENÇAL

Le bon pèlerin. – Jarjaye au paradis. – La Grenouille de Narbonne. – La Montelaise – L’homme populaire.

L’Almanach Provençal, bien venu des paysans, goûté par les patriotes, estimé par les lettrés, recherché par les artistes, gagna rapidement la faveur du public; et son tirage, qui fut, la première année, de cinq cents exemplaires, monta vite à douze cents, à trois mille, à cinq mille, à sept mille, à dix mille, qui est le chiffre moyen depuis quinze ou vingt ans.

Comme il s’agit d’une œuvre de famille et de veillée, ce chiffre représente, je ne crois guère me tromper, cinquante mille lecteurs. Impossible de dire le soin, le zèle, l’amour- propre que Roumanille et moi avions mis sans relâche à ce cher petit livre, pendant les quarante premières années. Et sans parler ici des innombrables poésies qui s’y sont publiées, sans parler de ses Chroniques, où est contenue, peut-on dire, l’histoire du Félibrige, la quantité de contes, de légendes, de sornettes, de facéties et de gaudrioles, tous recueillis dans le terroir, qui s’y sont ramassés, font de cette entreprise une collection unique. Toute la tradition, toute la raillerie, tout l’esprit de notre race se trouvent serrés là dedans; et si le peuple provençal, un jour, pouvait disparaître, sa façon d’être et de penser se retrouverait telle quelle dans l’almanach des félibres.

Roumanille a publié, dans un volume à part (Li Conte Prouvençau et li Cascareleto), la fleur des contes et gais devis qu’il égrena à profusion dans notre almanach populaire.

Nous aurions pu en faire autant; mais nous nous contenterons de donner, en spécimen de notre prose d’almanach, quelques-uns des morceaux qui eurent le plus de succès et qui ont été, du reste, traduits et répandus par Alphonse Daudet, Paul Arène, E. Blavet, et autres bons amis.

LE BON PÈLERIN

Légende provençale.

I

Maître Archimbaud avait près de cent ans. Il avait été jadis un rude homme de guerre; mais à présent, tout éclopé et perclus par la vieillesse, il tenait le lit toujours et ne pouvait plus bouger.

Le vieux maître Archimbaud avait trois fils. Un matin, il appela l’aîné et lui dit:

– Viens ici, Archimbalet! En me retournant dans mon lit et rêvassant, car, va, au fond d’un lit, on a le temps de réfléchir je me suis remémoré que, dans une bataille, me rencontrant un jour en danger de périr je promis à Dieu de faire le voyage de Rome… Aïe! je suis Vieux comme terre et ne puis plus aller en guerre! Je voudrais bien, mon fils, que tu fisses à ma place ce pèlerinage-là, car il me peine de mourir sans avoir accompli mon vœu.

L’aîné répondit:

– Que diable allez-vous donc vous mettre en tête, un pèlerinage à Rome et je ne sais où encore! Père, mangez, buvez, et puis dans votre lit, autant qu’il vous plaira, dites des patenôtres! Nous avons, nous, autre chose à faire.

Maître Archimbaud, le lendemain matin, appelle son fils cadet;

– Cadet, écoute, lui fait-il: en rêvassant et en calculant, car, vois-tu, au fond d’un lit on a le loisir de rêver, je me suis souvenu que, dans une tuerie, me trouvant un jour en danger mortel, je me vouai à Dieu pour le grand voyage de Rome… Aïe! je suis vieux comme terre! je ne puis plus aller en guerre! et je voudrais qu’à ma place tu ailles faire, toi, le pèlerinage promis.

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