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Si je vous disais, commençait-il, qu’étant là-bas en Catalogne, et faisant partie de l’armée, je trouvai le moyen, au fort de la Révolution, de venir de l’Espagne, malgré la guerre et malgré tout, passer avec les miens les fêtes de Noël! Voici, ma foi de Dieu, comment s’arrangea la chose:

«Au pied du Canigou, qui est une grande montagne entre Perpignan et Figuières, nous tournions, retournions depuis passablement de temps, en bataillant, à toi, à moi, contre les troupes espagnoles. Aïe! que de morts, que de blessés et de souffrances et de misères! Il faut l’avoir vu, pour savoir cela. De plus, au camp, – c’était en décembre, – il y avait manque de tout; et les mulets et les chevaux, à défaut de pâture, rongeaient, hélas! les roues des fourgons et des affûts.

«Or, ne voilà-t-il pas qu’en rôdant, moi, au fond d’une gorge, du côté de la mer, je vais découvrir un arbre d’oranges, qui étaient rousses comme l’or!

«- Ha! dis-je au propriétaire, à n’importe quel prix, vous allez me les vendre.

«Et, les ayant achetées, je m’en reviens de suite au camp et, tout droit à la tente du capitaine Perrin (qui était de Cabanes), je vais avec mon panier et je lui dis:

«- Capitaine, je vous apporte quelques oranges…

«- Mais où as-tu pris!ça?

«- Où j’ai pu, capitaine.

«- Oh! luron, tu ne saurais me faire plus de plaisir… Aussi, demande-moi, vois-tu, ce que tu voudras, et tu l’obtiendras ou je ne pourrai.

«- Je voudrais bien, lui fis-je alors, avant qu’un boulet de canon me coupe en deux, comme tant d’autres, aller, encore une fois, «poser le bûche de Noël» en Provence, dans ma famille.

«- Rien de plus simple, me fit-il; tiens, passe l’écritoire.

Et mon capitaine Perrin (que Dieu, en paradis, l’ait renfermé, cher homme) sur un papier, que j’ai encore, me griffonna ce que je vais dire:

«Armée des Pyrenées-Orientales.

«Nous Perrin, capitaine aux transports militaires, donnons congé au citoyen François Mistral, brave soldat républicain, âgé de vingt-deux ans, taille de cinq pieds six pouces, nez ordinaire, bouche idem, menton rond, front moyen, visage ovale, de s’en aller dans son pays, par toute la République, et au diable, si bon lui semble.

«Et voilà, mes amis, que j’arrive à Maillane, la belle veille de Noël, et vous pouvez penser l’ahurissement de tous, les embrassades et les fêtes. Mais, le lendemain, le maire (je vous tairai le nom de ce fanfaron braillard, car ses enfants sont encore vivants) me fait venir à la commune et m’interpelle comme ceci:

«- Au nom de la loi, citoyen, comment va que tu as quitté l’armée?

«- Cela va, répondis-je, qu’il ma pris fantaisie de venir, cette année, «poser la bûche» à Maillane.

«- Ah oui? En ce cas-là, tu iras, citoyen, t’expliquer au tribunal du district, à Tarascon.

«- Et, tel que je vous le dis, je me laissai conduire par deux gardes nationaux, devant les juges du district. Ceux-ci, trois faces rogues, avec le bonnet rouge et des barbes jusque-là:

«- Citoyen, me firent-ils en roulant de gros yeux, comment ça se fait-il que tu aies déserté?

«Aussitôt, de ma poche ayant tiré mon passeport:

«- Tenez, lisez, leur dis-je.

«Ah! mes amis de Dieu, dès avoir lu, ils se dressent en me secouant la main:

«- Bon citoyen, bon citoyen! me crièrent-ils. Va, va, avec des papiers pareils, tu peux l’envoyer coucher, le maire de Maillane.

«Et après le Jour de l’An, j’aurais pu rester, n’est-ce pas? Mais il y avait le devoir et je m’en retournai rejoindre.»

Voilà, lecteur, au naturel, la portraiture de famille, d’intérieur patriarcal et de noblesse et de simplicité, que je tenais à te montrer.

Au Jour de l’An, – nous clôturerons par cet autre souvenir, – une foule d’enfants, de vieillards, de femmes, de filles, venaient, de grand matin, nous saluer comme ceci:

Bonjour, nous vous souhaitons à tous la bonne année,

Maîtresse, maître, accompagnée

D’autant que le bon Dieu voudra.

– Allons, nous vous la souhaitons bonne, répondaient mon père et ma mère en donnant à chacun, bonnement, sous forme d’étrennes, une couple de pains longs et de miches rebondies.

Par tradition, dans notre maison, comme dans plusieurs autres, on distribuait ainsi, au nouvel an, deux fournées de pain aux pauvres gens du village.

Vivrais-je cent ans,

Cent ans, je cuirai,

Cent ans, je donnerai aux pauvres.

Cette formule, tous les soirs revenait dans la prière que mon père faisait avant d’aller au lit. Et aussi, à ses obsèques, les pauvres gens, avec raison, purent dire, en le plaignant:

– Autant de pains il nous donna, autant d’anges dans le ciel l’accompagnaient. Amen!

CHAPITRE III: LES ROIS MAGES

A la rencontre des Rois. – La crèche. – Les sornettes maternelles. – Dame Renaude. – Les hantises de la nuit. – Le cheval de Cambaud. – Les Sorciers. – Les Matagots. – L’Esprit Fantastique.

– C’est demain la fête des Rois; si vous voulez les voir arriver, allez vite, petits, à leur rencontre, et portez-leur quelques offrandes.

Voilà, de notre temps, la veille du jour des Rois, ce que nous disaient nos mères.

Et en avant! Toute la marmaille, les enfants du village, nous partions enthousiastes au-devant des Rois Mages, qui venaient à Maillane, avec leurs pages, leurs chameaux et toute leur suite, pour adorer l’Enfant Jésus.

– Où allez-vous, petits?

– Nous allons au-devant des Rois.

Et ainsi, tous ensemble, mioches ébouriffés et blondines fillettes, en béguins et petits sabots, nous partions sur le Chemin d’Arles, le cœur tressailli de joie, les yeux pleins de visions, et nous portions à la main, comme on nous l’avait dit, des galettes pour les Rois, des figues sèches pour les pages, avec du foin pour les chameaux.

Jours croissants,

Jours cuisants.

La bise sifflait, c’est vous dire qu’il faisait froid. Le soleil descendait, blafard, devers le Rhône. Les ruisseaux étaient gelés. L’herbe des bords était brouie. Des saules défeuillés, les branches rougeoyaient. Le rouge-gorge, le troglodyte, sautillaient, frémissants, familiers, de branche en branche… Et l’on ne voyait personne aux champs, à part quelque pauvre veuve qui rechargeait sur la tête son tablier plein de bois sec, ou quelque vieux dépenaillé qui cherchait des escargots au pied d’une haie morte.

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