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Quoi qu’il se fît, pourtant, pour me détourner de mon naturel, comme on ne fait que trop, aujourd’hui plus que jamais, aux enfants du Midi, je ne pouvais me sevrer des souvenances de ma langue, et tout m’y ramenait. Une fois, ayant lu, dans je ne sais plus quel journal, ces vers de Jasmin à Loïsa Puget:

Quand dins l’aire

Pèr nous plaire

Sones l’aire -

De tas nouvellos causous,

Sus la terro tout s’amaiso,

Tout se taiso,

Al refrin que fas souna:

Mai d’un cop se derebelho

E fremis coumo la felho

Qu’un vent fres lai frissouna.

Et voyant que ma langue avait encore des poètes qui la mettaient en gloire, pris d’un bel enthousiasme, je fis aussitôt, pour le célèbre perruquier, une piécette admirative qui commençait ainsi:

Pouèto, ounour de ta maire Gascougno.

Mais, petit criquet, je n’eus pas de réponse. Je sais bien que mes vers, pauvres vers d’apprenti, n’en méritaient guère; cependant, – pourquoi le nier? – ce dédain me fut sensible; et plus tard, à mon tour, quand j’ai reçu des lettres de tout pauvre venant, me rappelant ma déconvenue, je me suis fait un devoir de les bien accueillir toujours.

Vers l’âge de quatorze ans, ce regret de mes champs et de ma langue provençale, qui ne m’avait jamais quitté, finit par me jeter dans une nostalgie profonde.

«Combien sont plus heureux, me disais-je à part moi, comme l’Enfant Prodigue, les valets et les bergers de notre Mas, là-bas, qui mangent le bon pain que ma mère leur apprête, et mes amis d’enfance, les camarades de Maillane, qui vivent libres à la campagne et labourent, et moissonnent, et vendangent, et olivent, sous le saint soleil de Dieu, tandis que je me chême, moi, entre quatre murs, sur des versions et sur des thèmes!»

Et mon chagrin se mélangeait d’un violent dégoût pour ce monde factice où j’étais claquemuré et d’une attraction vers un vague idéal que je voyais bleuir dans le lointain, à l’horizon. Or, voici qu’un jour, en lisant, je crois, le Magasin des Familles, je vais tomber sur une page où était la description de la chartreuse de Valbonne et de la vie contemplative et silencieuse des Chartreux.

N’est-il pas vrai, lecteur, que je me monte la tête, et, m’échappant du pensionnat, par une belle après-midi, je pars, tout seul, éperdument, prenant, le long du Rhône la route du Pont-Saint-Esprit, car je savais que Vaibonne n’en était pas éloigné.

«Tu iras, me dis-je, frapper à la porte du couvent; tu prieras, tu pleureras, jusqu’à ce qu’on veuille te recevoir; puis, une fois reçu, tu vas, comme un bienheureux, te promener tout le jour sous les arbres de la forêt, et, te plongeant dans l’amour de Dieu, tu te sanctifieras comme fit le bon saint Gent.»

Ce ressouvenir de saint Gent, dont la légende me hantait, sur le coup m’arrêta.

«Et ta mère, me dis-je, à laquelle, misérable, tu n’as pas dit adieu, et qui, en apprenant que tu as disparu, va être au désespoir et, par monts et par vaux, te cherchera, la pauvre femme, en criant, désolée comme la mère de saint Gent.!»

Et alors, tournant bride, le cœur gros, hésitant, je gagnai vers Maillane, autant dire pour embrasser, avant de fuir le monde, mes parents encore une fois; mais, à mesure que j’avançais vers la maison paternelle, voilà, pauvre petit, que mes projets de cénobite et mes fières résolutions fondaient dans l’émotion de mon amour filial comme un peloton de neige à un feu de cheminée; et lorsque, au seuil du Mas, j’arrivai sur le tard et que ma mère, étonnée de me voir tomber là, me dit:

– Mais pourquoi donc as-tu quitté le pensionnat avant d’être aux vacances?

– Je languissais, fis-je en pleurant, tout honteux de ma fugue, et je ne veux plus y aller, chez ce gros monsieur Millet.

– où l’on ne mange que des carottes!

Le lendemain, on me fit reconduire, par notre berger Rouquet, dans ma geôle abhorrée, en me promettant, cependant, de m’en libérer bientôt, après les vacances.

CHAPITRE VII: CHEZ M. DUPUY

Joseph Roumanille. – Notre liaison. – Les poètes du «Boui-Abaisso». – L’épuration de notre langue. – Anselme Matbieu. – L’amour sur les toits. – Les processions avignonnaises. – Celle des Pénitents Blancs. – Le sergent Monnier. – L’achèvement des études.

Comme les chattes qui, souvent, changent leurs petits de place, ma mère, à la rentrée de cette année scolaire, m’amena chez M. Dupuy, Carpentrassien portant besicles, qui tenait, lui aussi, un pensionnat à Avignon, au quartier du Pont-Troué. Mais, ici, pour mes goûts de provençaliste en herbe, j’eus, comme on dit, le museau dans le sac.

M. Dupuy était le frère de ce Charles Dupuy, mort député de la Drôme, auteur du Petit Papillon, un des morceaux délicats de notre anthologie provençale moderne. Lui, le cadet Dupuy, rimait aussi en provençal, mais ne s’en vantait pas, et il avait raison.

Voici que, quelque temps après, il nous arriva de Nyons un jeune professeur à fine barbe noire, qui était de Saint-Remy. On l’appelait Joseph Roumanille. Comme nous étions pays, – Mailane et Saint-Remy sont du même canton, – et que nos parents, tous cultivateurs, se connaissaient de, longue date, nous fûmes bientôt liés. Néanmoins, j’ignorais que le Saint-Remyen s’occupait, lui aussi, de poésie provençale.

Et, le dimanche, on nous menait, pour la messe et les vêpres, à l’église des Carmes. Là, on nous faisait mettre derrière le maître-autel, dans les stalles du chœur, et, de nos voix jeunettes, nous y accompagnions les chantres du lutrin: parmi lesquels Denis Cassan, autre poète provençal, on ne peut plus populaire dans les veillées du quartier, et que nous voyions en surplis, avec son air falot, son flegme, sa tête chauve, entonner les antiennes et les hymnes. La rue où il demeurait porte, aujourd’hui, son nom.

Or, un dimanche, pendant que l’on chantait vêpres, il me vint dans l’idée de traduire en vers provençaux les Psaumes de la Pénitence, et, alors, en tapinois, dans mon livre entr’ouvert, j’écrivais à mesure, avec un bout de crayon, les quatrains de ma version:

Que l’isop bagne ma caro,

Sarai pur: lavas-me lèu

E vendrai pu blanc encaro

Que la tafo de la nèu.

Mais M. Roumanille, qui était le surveillant, vient par derrière, saisit le papier où j’écrivais, le lit, puis le fait lire au prudent M. Dupuy, – qui fut, paraît-il, d’avis de ne pas me contrarier; et, après vêpres, quand, autour des remparts d’Avignon, nous allions à la promenade, il m’interpella en ces termes:

– De cette façon, mon petit Mistral, tu t’amuses à faire des vers provençaux?

– Oui, quelquefois, lui répondis-je.

Et Roumanille, d’une voix sympathique et bien timbrée, me récita les Deux Agneaux:

Entendès pas l’agnèu que bèlo?

Vès-lou que cour après l’enfant…

Coume fan bèn tout ço que fan!

E l’innoucènci, ccnnme es bello!

Et puis, le Petit Joseph:

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