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– En tout cas, dit Ra’hel, ce démon avait la voix bien douce et les yeux bien tendres.» Au fond Ra’hel n’était peut-être pas très mécontente de la disparition de Tahoser. Elle gardait tout entier le cœur dont elle avait bien voulu céder la moitié, et la gloire du sacrifice lui restait.

Sous prétexte d’aller aux provisions, Thamar sortit et se dirigea vers le palais du roi, dont sa cupidité n’avait pas oublié la promesse; elle s’était munie d’un grand sac de toile grise pour le remplir d’or.

Quand elle se présenta à la porte du palais, les soldats ne la battirent plus comme la première fois; elle avait déjà du crédit, et l’oëris de garde la fit entrer tout de suite.

Timopht la conduisit au Pharaon.

Lorsqu’il aperçut l’immonde vieille qui rampait vers son trône comme un insecte à moitié écrasé, le roi se souvint de sa promesse et donna ordre qu’on ouvrît une des chambres de granit à la Juive, et qu’on l’y laissât prendre autant d’or qu’elle en pourrait porter.

Timopht, en qui Pharaon avait confiance et qui connaissait le secret de la serrure, ouvrit la porte de pierre.

L’immense tas d’or étincela sous un rayon de soleil; mais l’éclair du métal ne fut pas plus brillant que le regard de la vieille; ses prunelles jaunirent et scintillèrent étrangement.

Après quelques minutes de contemplation éblouie, elle releva les manches de sa tunique rapiécée, mit à nu ses bras secs dont les muscles saillaient comme des cordes, et que plissaient à la saignée d’innombrables rides; puis elle ouvrit et referma ses doigts recourbés, pareils à des serres de griffon, et se lança sur l’amas de sicles d’or avec une avidité farouche et bestiale.

Elle se plongeait dans les lingots jusqu’aux épaules, les brassait, les agitait, les roulait, les faisait sauter; ses lèvres tremblaient, ses narines se dilataient, et sur son échine convulsive couraient des frissons nerveux. Enivrée, folle, secouée de trépidations et de rires spasmodiques, elle jetait des poignées d’or dans son sac en disant:

«Encore! encore! encore!» tant qu’il fut bientôt plein jusqu’à l’ouverture.

Timopht, que le spectacle amusait, la laissait faire, n’imaginant pas que ce spectre décharné pût remuer ce poids énorme; mais Thamar lia d’une corde le sommet de son sac et, à la grande surprise de l’Égyptien, le chargea sur son dos. L’avarice prêtait à cette carcasse délabrée des forces inconnues: tous les muscles, tous les nerfs, toutes les fibres des bras, du cou, des épaules, tendus à rompre, soutenaient une masse de métal qui eût fait plier le plus robuste porteur de la race Nahasi; le iront penché comme celui d’un bœuf quand le soc de la charrue a rencontré une pierre, Thamar, dont les jambes titubaient, sortit du palais, se heurtant aux murs, marchant presque à quatre pattes, car souvent elle envoyait ses mains à terre pour ne pas être écrasée sous le poids; mais enfin elle sortit, et la charge d’or lui appartenait légitimement.

Haletante, épuisée, couverte de sueur, le dos meurtri, les doigts coupés, elle s’assit à la porte du palais sur son bienheureux sac, et jamais siège ne lui parut plus moelleux.

Au bout de quelque temps elle aperçut deux Israélites qui passaient avec une civière, revenant de porter quelque fardeau; elle les appela, et, en leur promettant une bonne récompense, elle les détermina à se charger du sac et à la suivre.

Les deux lsraélites, que Thamar précédait, s’engagèrent dans les rues de Thèbes, arrivèrent aux terrains vagues, mamelonnés de cahutes en boue, et déposèrent le sac dans l’une d’elles. Thamar leur donna, quoique en rechignant, la récompense promise.

Cependant Tahuser avait été installée dans un appartement splendide, un appartement royal, aussi beau que celui de Pharaon. D’élégantes colonnes à chapiteaux de lotus soutenaient le plafond étoilé, qu’encadrait une corniche à palmettes bleues peintes sur un vernis d’or; des panneaux lilas tendre, avec des filets verts terminés par des boutons de fleurs, dessinaient leurs symétries sur les murailles. Une fine natte recouvrait les dalles; des canapés incrustés de plaquettes de métal alternant avec des émaux, et garnis d’étoffes à fond noir semé de cercles rouges, des fauteuils à pieds de lion, dont le coussin débordait sur le dossier, des escabeaux formés de cols de cygne enlacés, des piles de carreaux en cuir pourpre et gonflés de barbe de chardon, des sièges où l’on pouvait s’asseoir deux, des tables de bois précieux que soutenaient des statues de captifs asiatiques composaient l’ameublement.

Sur des socles richement sculptés posaient de grands vases et de larges cratères d’or, d’un prix inestimable, dont le travail l’emportait sur la matière. L’un d’eux, effilé à la base, était soutenu par deux têtes de chevaux s’encapuchonnant sous leur harnais à frange. Deux tiges de lotus retombant avec grâce par-dessus deux rosaces formaient les anses:

des ibex hérissaient le couvercle de leurs oreilles et de leurs cornes, et sur la panse couraient, parmi des hampes de papyrus, des gazelles poursuivies.

Un autre, non moins curieux, avait pour couvercle une tête monstrueuse de Typhon, coiffée de palmes et grimaçant entre deux vipères; ses flancs étaient ornés de feuilles et de zones denticulées.

L’un des cratères, qu’élevaient en l’air deux personnages mitrés, vêtus de robes à larges bordures, qui d’une main soutenaient l’anse, et, de l’autre, le pied, étonnait par sa dimension énorme, par la valeur et le fini de ses ornements.

L’autre, plus simple et plus pur de forme peut-être, s’évasait gracieusement, et des chacals, posant leurs pattes sur son bord comme pour y boire, lui dessinaient des anses avec leur corps svelte et souple.

Des miroirs de métal entouré de figures difformes, comme pour donner à la beauté qui s’y regardait le plaisir du contraste, des coffres en bois de cèdre ou de sycomore ornementés et peints, des coffrets en terre émaillée, des buires d’albâtre, d’onyx et de verre, des boîtes d’aromates témoignaient de la magnificence de Pharaon à l’endroit de Tahoser.

Avec les choses précieuses que contenait cette chambre on eût pu payer la rançon d’un royaume.

Assise sur un siège d’ivoire, Tahoser regardait les étoffes et les bijoux que lui montraient de jeunes filles nues éparpillant les richesses contenues dans les coffres.

Tahoser sortait du bain, et les huiles aromatiques dont on l’avait frottée assouplissaient encore la pulpe moelleuse et fine de sa peau. Sa chair prenait des transparences d’agate et la lumière semblait la traverser; elle était d’une beauté surhumaine, et, quand elle fixa sur le métal bruni du miroir ses yeux avivés d’antimoine, elle ne put s’empêcher de sourire à son image.

Une large robe de gaze enveloppait son beau corps sans le cacher, et pour tout ornement elle portait un collier composé de cœurs en lapis-lazuli, surmontés de croix et suspendus à un fil de perles d’or.

Pharaon parut sur le seuil de la salle; une vipère d’or ceignait son épaisse chevelure, et une calasiris, dont les plis ramenés par-devant formaient la pointe, lui entourait le corps de la ceinture aux genoux. Un seul gorgerin cerclait son cou aux muscles invaincus.

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