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Le résultat de sa méditation, anxieusement attendu par Nofré, fut celui-ci:

«La fille de Pétamounoph est amoureuse.

– Qui te l’a dit? s’écria Nofré, qui croyait lire seule dans le cœur de sa maîtresse.

– Personne, mais Tahoser est très belle; elle a vu déjà seize fois la crue et la retraite du Nil. Seize est le nombre emblématique de la volupté, et depuis quelque temps elle appelait à des heures étranges ses joueuses de harpe, de mandore et de flûte, comme quelqu’un qui veut calmer le trouble de son cœur par de la musique.

– Tu parles très bien, et la sagesse habite ta vieille tête chauve; mais comment as-tu appris à connaître les femmes, toi qui ne fais que piocher la terre du jardin et porter des vases d’eau sur ton épaule?» L’esclave élargit ses lèvres dans un sourire silencieux et montra deux rangées de longues dents blanches capables de broyer des noyaux de dattes; cette grimace voulait dire:

«Je n’ai pas toujours été vieux et captif.» Illuminée par la suggestion de Souhem, Nofré pensa tout de suite au bel Ahmosis, l’oëris de Pharaon, qui passait si souvent au bas de la terrasse et qui avait si bonne grâce sur son char de guerre au défilé triomphal; comme elle l’aimait elle-même, sans bien s’en rendre compte, elle prêtait ses sentiments à sa maîtresse. Elle revêtit une robe moins légère et se rendit à la demeure de l’officier: c’était là, imaginait-elle, que devait immanquablement se trouver Tahoser.

Le jeune oëris était assis au fond de sa chambre sur un siège bas. Aux murs se groupaient en trophées différentes armes: la tunique de cuir écaillée de plaquettes de bronze où se lisait gravé le cartouche du Pharaon, le poignard d’airain à manche de jade évidé pour laisser passer les doigts, la hache de bataille à tranchant de silex, le harpe à lame courbe, le casque à double plume d’autruche, l’arc triangulaire et les flèches empennées de rouge; sur des socles étaient posés les gorgerins d’honneur, et quelques coffres ouverts montraient le butin pris à l’ennemi.

Quand il vit Nofré, qu’il connaissait bien et qui se tenait debout sur le seuil, Ahmosis éprouva un vif mouvement de plaisir; ses joues brunes se colorèrent, ses muscles tressaillirent, son cœur palpita. Il crut que Nofré lui apportait quelque message de la part de Tahoser, bien que la fille du prêtre n’eût jamais répondu à ses œillades. Mais l’homme à qui les dieux ont fait le don de la beauté s’imagine aisément que toutes les femmes se prennent d’amour pour lui.

Il se leva et fit quelques pas vers Nofré, dont le regard inquiet scrutait les recoins de la chambre pour s’assurer de la présence ou de l’absence de Tahoser.

«Qui t’amène ici, Nofré? dit Ahmosis, voyant que la jeune suivante, préoccupée de sa recherche, ne rompait pas le silence. Ta maîtresse va bien, je l’espère, car il me semble l’avoir vue hier à l’entrée du Pharaon.

– Si ma maîtresse va bien, tu dois le savoir mieux que tout autre, répondit Nofré: car elle s’est enfuie de la maison sans confier ses projets à personne, et l’asile qu’elle s’est choisi, j’aurais juré par Hâthor que tu le connaissais.

– Elle a disparu! que me dis-tu là? fit Ahmosis avec une surprise qui certes n’était pas jouée.

– Je croyais qu’elle t’aimait, dit Nofré, et quelquefois les jeunes filles les plus retenues font des coups de tête. Elle n’est donc pas ici?

– Le dieu Phré, qui voit tout, sait où elle est; mais aucun de ses rayons terminés par des mains ne l’a atteinte chez moi. Regarde plutôt et visite les chambres.

– Je te crois, Ahmosis, et je me retire: car, si Tahoser était venue, tu ne le cacherais pas à la fidèle Nofré, qui n’eût pas mieux demandé que de servir vos amours. Tu es beau, elle est libre, riche et vierge. Les dieux eussent vu cette union avec plaisir.» Nofré revint à la maison plus inquiète et plus bouleversée que jamais; elle craignait qu’on ne soupçonnât les serviteurs d’avoir tué Tahoser pour s’emparer de ses richesses, et qu’on ne voulût leur faire avouer sous le bâton ce qu’ils ne savaient pas.

Pharaon, de son côté, pensait aussi à Tahoser. Après avoir fait les libations et les offrandes exigées par le rituel, il s’était assis dans la cour intérieure du gynécée, et rêvait, sans prendre garde aux ébats de ses femmes, qui, nues et couronnées de fleurs, se jouaient dans la transparence de la piscine, se jetant de l’eau et poussant des éclats de rire grêles et sonores pour attirer l’attention du maître, qui n’avait pas décidé, contre son habitude, quelle serait la reine en faveur cette semaine-là.

C’était un tableau charmant que ces belles femmes dont les corps sveltes luisaient sous l’eau comme des statues de jaspe submergées, dans ce cadre d’arbustes et de fleurs, au milieu de cette cour entourée de colonnes peintes de couleurs éclatantes, à la pure lumière d’un ciel d’azur, que traversait de temps à autre un ibis le bec au vent et les pattes tendues en arrière.

Amensé et Twéa, lasses de nager, étaient sorties de l’eau, et, agenouillées au bord du bassin, étalaient au soleil pour la sécher leur épaisse chevelure noire, dont les mèches d’ébène faisaient paraître leur peau plus blanche encore; les dernières perles du bain roulaient sur leurs épaules lustrées et sur leurs bras polis comme le jade; des servantes les frottaient d’essences et d’huiles aromatiques, tandis qu’une jeune Éthiopienne leur offrait à respirer le calice d’une large fleur.

On eût dit que l’ouvrier qui avait sculpté les bas-reliefs décoratifs des salles du gynécée avait pris ces groupes pleins de grâce pour modèles; mais Pharaon n’eût pas regardé d’un œil plus froid le dessin incisé dans la pierre.

Juché sur le dossier du fauteuil, le singe privé croquait des dattes et faisait claquer ses dents; contre les jambes du maître le chat favori se frottait en arrondissant le dos; le nain difforme tirait la queue du singe et les moustaches du chat, dont l’un glapissait et l’autre jurait, ce qui ordinairement déridait Sa Majesté; mais Sa Majesté n’était pas ce jour-là en train de rire. Elle écarta le chat, fit descendre le singe du fauteuil, donna un coup de poing sur la tête du nain, et se dirigea vers les appartements de granit.

Chacune de ces chambres était formée de blocs d’une grandeur prodigieuse, et fermée par des portes de pierre qu’aucune puissance humaine n’eût pu forcer, à moins de savoir le secret qui les faisait s’ouvrir.

Dans ces chambres étaient enfermés les richesses du Pharaon et le butin enlevé aux nations conquises. Il y avait là des lingots de métaux précieux, des couronnes d’or et d’argent, des gorgerins et des bracelets d’émaux cloisonnés, des boucles d’oreilles reluisant comme le disque de Moui; des colliers à rangs septuples de cornaline, de lapis-lazuli, de jaspe sanguin, de perles, d’agates, de sardoines, d’onyx; des cercles finement travaillés pour les jambes, des ceintures à plaques d’or gravées d’hiéroglyphes, des bagues à chaton de scarabée; des files de poissons, de crocodiles et de cœurs en estampage d’or, des serpents d’émail se repliant plusieurs fois sur eux-mêmes; des vases de bronze, des buires d’albâtre rubané, de verre bleu où se tordaient des spirales blanches; des coffrets de terre émaillée, des boîtes en bois de sandal affectant des formes bizarres et chimériques, des monceaux d’aromates de tous les pays, des blocs d’ébène; des étoffes précieuses si fines que la pièce eût passé par un anneau; des plumes d’autruche noires et blanches, ou coloriées de diverses teintes; des défenses d’éléphant d’une monstrueuse grosseur, des coupes en or, en argent, en verre doré, des statuettes excellentes, tant pour la manière que pour le travail.

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