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A
A

Quand le spectre, dans le mystère,

S’affirme à l’apparition,

Qu’importe à cet œil solitaire

Qui s’éblouit du seul rayon?

Que lui fait l’astre, autel et prêtre

De sa propre religion,

Qui dit: Rien hors de moi! – quand l’être

Se nomme Gouffre et Légion!

Que lui font, sur son sacré faîte,

Les démentis audacieux

Que donne aux soleils la comète,

Cette hérésiarque des cieux?

Que lui fait le temps, cette brume?

L’espace, cette illusion?

Que lui fait l’éternelle écume

De l’océan Création?

Il boit, hors de l’inabordable,

Du surhumain, du sidéral,

Les délices du formidable,

L’âpre ivresse de l’idéal;

Son être, dont rien ne surnage,

S’engloutit dans le gouffre bleu;

Il fait ce sublime naufrage;

Et, murmurant sans cesse: – Dieu, -

Parmi les feuillages farouches,

Il songe, l’âme et l’œil là-haut,

À l’imbécillité des bouches

Qui prononcent un autre mot!

*

Il le voit, ce soleil unique,

Fécondant, travaillant, créant,

Par le rayon qu’il communique

Égalant l’atome au géant,

Semant de feux, de souffles, d’ondes,

Les tourbillons d’obscurité,

Emplissant d’étincelles mondes

L’épouvantable immensité;

Remuant, dans l’ombre et les brumes,

De sombres forces dans les cieux

Qui font comme des bruits d’enclumes

Sous des marteaux mystérieux,

Doux pour le nid du rouge-gorge,

Terrible aux satans qu’il détruit;

Et, comme aux lueurs d’une forge,

Un mur s’éclaire dans la nuit,

On distingue en l’ombre où nous sommes,

On reconnaît dans ce bas lieu,

À sa clarté parmi les hommes,

L’âme qui réverbère Dieu!

Et ce pâtre devient auguste;

Jusqu’à l’auréole monté,

Étant le sage, il est le juste;

Ô ma fille, cette clarté

Sœur du grand flambeau des génies,

Faite de tous les rayons purs

Et de toutes les harmonies

Qui flottent dans tous les azurs,

Plus belle dans une chaumière,

Éclairant hier par demain,

Cette éblouissante lumière,

Cette blancheur du cœur humain

S’appelle en ce monde, où l’honnête

Et le vrai des vents est battu,

Innocence avant la tempête,

Après la tempête vertu!

*

Voilà donc ce que fait la solitude à l’homme;

Elle lui montre Dieu, le dévoile et le nomme;

Sacre l’obscurité,

Pénètre de splendeur le pâtre qui s’y plonge,

Et, dans les profondeurs de son immense songe.

T’allume, ô vérité!

Elle emplit l’ignorant de la science énorme;

Ce que le cèdre voit, ce que devine l’orme,

Ce que le chêne sent,

Dieu, l’être, l’infini, l’éternité, l’abîme,

Dans l’ombre elle le mêle à la candeur sublime

D’un pâtre frémissant.

L’homme n’est qu’une lampe, elle en fait une étoile.

Et ce pâtre devient, sous son haillon de toile,

Un mage; et, par moments,

Aux fleurs, parfums du temple, aux arbres, noirs pilastres,

Apparaît couronné d’une tiare d’astres,

Vêtu de flamboiements!

Il ne se doute pas de cette grandeur sombre:

Assis près de son feu que la broussaille encombre,

Devant l’être béant,

Humble, il pense; et, chétif, sans orgueil, sans envie,

Il se courbe, et sent mieux, près du gouffre de vie,

Son gouffre de néant.

Quand il sort de son rêve, il revoit la nature.

Il parle à la nuée, errant à l’aventure,

Dans l’azur émigrant;

Il dit: «Que ton encens est chaste, ô clématite!»

Il dit au doux oiseau: «Que ton aile est petite,

«Mais que ton vol est grand!»

Le soir, quand il voit l’homme aller vers les villages,

Glaneuses, bûcherons qui traînent des feuillages,

Et les pauvres chevaux

Que le laboureur bat et fouette avec colère,

Sans songer que le vent va le rendre à son frère

Le marin sur les flots;

Quand il voit les forçats passer, portant leur charge,

Les soldats, les pêcheurs pris par la nuit, au large,

Et hâtant leur retour,

Il leur envoie à tous, du haut du mont nocturne,

La bénédiction qu’il a puisée à l’urne

De l’insondable amour!

Et, tandis qu’il est là, vivant sur sa colline,

Content, se prosternant dans tout ce qui s’incline,

Doux rêveur bienfaisant,

Emplissant le vallon, le champ, le toit de mousse,

Et l’herbe et le rocher de la majesté douce

De son cœur innocent,

S’il passe par hasard, près de sa paix féconde,

Un de ces grands esprits en butte aux flots du monde

Révolté devant eux,

Qui craignent à la fois, sur ces vagues funèbres,

La terre de granit et le ciel de ténèbres,

L’homme ingrat, Dieu douteux;

Peut-être, à son insu, que ce pasteur paisible,

Et dont l’obscurité rend la lueur visible,

Homme heureux sans effort,

Entrevu par cette âme en proie au choc de l’onde,

Va lui jeter soudain quelque clarté profonde

Qui lui montre le port!

Ainsi ce feu peut-être, aux flancs du rocher sombre,

Là-bas est aperçu par quelque nef qui sombre

Entre le ciel et l’eau;

Humble, il la guide au loin de son reflet rougeâtre,

Et du même rayon dont il réchauffe un pâtre,

Il sauve un grand vaisseau!

IV

Et je repris, montrant à l’enfant adorée

L’obscur feu du pasteur et l’étoile sacrée:

De ces deux feux, perçant le soir qui s’assombrit,

L’un révèle un soleil, l’autre annonce un esprit.

C’est l’infini que notre œil sonde;

Mesurons tout à Dieu, qui seul crée et conçoit!

C’est l’astre qui le prouve et l’esprit qui le voit;

Une âme est plus grande qu’un monde.

Enfant, ce feu de pâtre à cette âme mêlé,

Et cet astre, splendeur du plafond constellé

Que l’éclair et la foudre gardent,

Ces deux phares du gouffre où l’être flotte et fuit,

Ces deux clartés du deuil, ces deux yeux de la nuit,

Dans l’immensité se regardent.

Ils se connaissent; l’astre envoie au feu des bois

Toute l’énormité de l’abîme à la fois,

Les baisers de l’azur superbe,

Et l’éblouissement des visions d’Endor;

Et le doux feu de pâtre envoie à l’astre d’or

Le frémissement du brin d’herbe.

Le feu de pâtre dit: – La mère pleure, hélas!

L’enfant a froid, le père a faim, l’aïeul est las;

Tout est noir; la montée est rude;

Le pas tremble, éclairé par un tremblant flambeau;

L’homme au berceau chancelle et trébuche au tombeau.

L’étoile répond: – Certitude!

De chacun d’eux s’envole un rayon fraternel,

L’un plein d’humanité, l’autre rempli de ciel;

Dieu les prend, et joint leur lumière,

Et sa main, sous qui l’âme, aigle de flamme, éclôt,

Fait du rayon d’en bas et du rayon d’en haut

Les deux ailes de la prière.

Ingouville, août 1839.

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