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V. Hier au soir

Hier, le vent du soir, dont le souffle caresse,

Nous apportait l’odeur des fleurs qui s’ouvrent tard;

La nuit tombait; l’oiseau dormait dans l’ombre épaisse.

Le printemps embaumait, moins que votre jeunesse;

Les astres rayonnaient, moins que votre regard.

Moi, je parlais tout bas. C’est l’heure solennelle

Où l’âme aime à chanter son hymne le plus doux.

Voyant la nuit si pure, et vous voyant si belle,

J’ai dit aux astres d’or: Versez le ciel sur elle!

Et j’ai dit à vos yeux: Versez l’amour sur nous!

Mai 18…

VI. Lettre

Tu vois cela d’ici. Des ocres et des craies;

Plaines où les sillons croisent leurs mille raies,

Chaumes à fleur de terre et que masque un buisson;

Quelques meules de foin debout sur le gazon;

De vieux toits enfumant le paysage bistre;

Un fleuve qui n’est pas le Gange ou le Caystre,

Pauvre cours d’eau normand troublé de sels marins;

À droite, vers le nord, de bizarres terrains

Pleins d’angles qu’on dirait façonnés à la pelle;

Voilà les premiers plans; une ancienne chapelle

Y mêle son aiguille, et range à ses côtés

Quelques ormes tortus, aux profils irrités,

Qui semblent, fatigués du Zéphyr qui s’en joue,

Faire une remontrance au vent qui les secoue.

Une grosse charrette, au coin de ma maison,

Se rouille; et, devant moi, j’ai le vaste horizon,

Dont la mer bleue emplit toutes les échancrures;

Des poules et des coqs, étalant leurs dorures,

Causent sous ma fenêtre, et les greniers des toits

Me jettent, par instants, des chansons en patois.

Dans mon allée habite un cordier patriarche,

Vieux qui fait bruyamment tourner sa roue, et marche

À reculons, son chanvre autour des reins tordu.

J’aime ces flots où court le grand vent éperdu;

Les champs à promener tout le jour me convient;

Les petits villageois, leur livre en main, m’envient,

Chez le maître d’école où je me suis logé,

Comme un grand écolier abusant d’un congé.

Le ciel rit, l’air est pur; tout le jour, chez mon hôte,

C’est un doux bruit d’enfants épelant à voix haute;

L’eau coule, un verdier passe; et moi, je dis: Merci!

Merci, Dieu tout-puissant! – Ainsi je vis; ainsi,

Paisible, heure par heure, à petit bruit, j’épanche

Mes jours, tout en songeant à vous, ma beauté blanche!

J’écoute les enfants jaser, et, par moment,

Je vois en pleine mer, passer superbement,

Au-dessus des pignons du tranquille village,

Quelque navire ailé qui fait un long voyage,

Et fuit, sur l’Océan, par tous les vents traqué,

Qui, naguère, dormait au port, le long du quai,

Et que n’ont retenu, loin des vagues jalouses,

Ni les pleurs des parents, ni l’effroi des épouses,

Ni le sombre reflet des écueils dans les eaux,

Ni l’importunité des sinistres oiseaux.

Près le Tréport, juin 18…

VII .

Nous allions au verger cueillir des bigarreaux.

Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros,

Elle montait dans l’arbre et courbait une branche;

Les feuilles frissonnaient au vent; sa gorge blanche,

Ô Virgile, ondoyait dans l’ombre et le soleil;

Ses petits doigts allaient chercher le fruit vermeil,

Semblable au feu qu’on voit dans le buisson qui flambe.

Je montais derrière elle; elle montrait sa jambe,

Et disait: «Taisez-vous!» à mes regards ardents;

Et chantait. Par moments, entre ses belles dents,

Pareille, aux chansons près, à Diane farouche,

Penchée, elle m’offrait la cerise à sa bouche;

Et ma bouche riait, et venait s’y poser,

Et laissait la cerise et prenait le baiser.

Triel, juillet 18…

VIII .

Tu peux, comme il te plaît, me faire jeune ou vieux.

Comme le soleil fait serein ou pluvieux

L’azur dont il est l’âme et que sa clarté dore,

Tu peux m’emplir de brume ou m’inonder d’aurore,

Du haut de ta splendeur, si pure qu’en ses plis,

Tu sembles une femme enfermée en un lis,

Et qu’à d’autres moments, l’œil qu’éblouit ton âme

Croit voir, en te voyant, un lis dans une femme.

Si tu m’as souri, Dieu! tout mon être bondit!

Si, Madame, au milieu de tous, vous m’avez dit,

À haute voix: «Bonjour, Monsieur», et bas: «Je t’aime!»

Si tu m’as caressé de ton regard suprême,

Je vis! je suis léger, je suis fier, je suis grand;

Ta prunelle m’éclaire en me transfigurant;

J’ai le reflet charmant des yeux dont tu m’accueilles;

Comme on sent dans un bois des ailes sous les feuilles,

On sent de la gaîté sous chacun de mes mots;

Je cours, je vais, je ris; plus d’ennuis, plus de maux;

Et je chante, et voilà sur mon front la jeunesse!

Mais que ton cœur injuste, un jour, me méconnaisse;

Qu’il me faille porter en moi, jusqu’à demain,

L’énigme de ta main retirée à ma main;

– Qu’ai-je fait? qu’avait-elle? Elle avait quelque chose.

Pourquoi, dans la rumeur du salon où l’on cause,

Personne n’entendant, me disait-elle vous? -

Si je ne sais quel froid dans ton regard si doux

A passé comme passe au ciel une nuée,

Je sens mon âme en moi toute diminuée;

Je m’en vais, courbé, las, sombre comme un aïeul;

Il semble que sur moi, secouant son linceul,

Se soit soudain penché le noir vieillard Décembre;

Comme un loup dans son trou, je rentre dans ma chambre:

Le chagrin – âge et deuil, hélas! ont le même air, -

Assombrit chaque trait de mon visage amer,

Et m’y creuse une ride avec sa main pesante.

Joyeux, j’ai vingt-cinq ans; triste, j’en ai soixante.

Paris, juin 18…

IX. En écoutant les oiseaux

Oh! quand donc aurez-vous fini, petits oiseaux,

De jaser au milieu des branches et des eaux,

Que nous nous expliquions et que je vous querelle?

Rouge-gorge, verdier, fauvette, tourterelle,

Oiseaux, je vous entends, je vous connais. Sachez

Que je ne suis pas dupe, ô doux ténors cachés,

De votre mélodie et de votre langage.

Celle que j’aime est loin et pense à moi: je gage,

Ô rossignol dont l’hymne, exquis et gracieux,

Donne un frémissement à l’astre dans les cieux,

Que ce que tu dis là, c’est le chant de son âme.

Vous guettez les soupirs de l’homme et de la femme,

Oiseaux; quand nous aimons et quand nous triomphons,

Quand notre être, tout bas, s’exhale en chants profonds,

Vous, attentifs, parmi les bois inaccessibles,

Vous saisissez au vol ces strophes invisibles,

Et vous les répétez tout haut, comme de vous;

Et vous mêlez, pour rendre encor l’hymne plus doux,

À la chanson des cœurs, le battement des ailes;

Si bien qu’on vous admire, écouteurs infidèles,

Et que le noir sapin murmure aux vieux tilleuls:

«Sont-ils charmants d’avoir trouvé cela tout seuls!»

Et que l’eau, palpitant sous le chant qui l’effleure,

Baise avec un sanglot le beau saule qui pleure;

Et que le dur tronc d’arbre a des airs attendris;

Et que l’épervier rêve, oubliant la perdrix;

Et que les loups s’en vont songer auprès des louves!

«Divin!» dit le hibou; le moineau dit: «Tu trouves?»

Amour, lorsqu’en nos cœurs tu te réfugias,

L’oiseau vint y puiser; ce sont ces plagiats,

Ces chants qu’un rossignol, belles, prend sur vos bouches

Qui font que les grands bois courbent leurs fronts farouches

Et que les lourds rochers, stupides et ravis,

Se penchent, les laissant piller le chènevis,

Et ne distinguent plus, dans leurs rêves étranges,

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