XVII. Sous les arbres
Ils marchaient à côté l’un de l’autre; des danses
Troublaient le bois joyeux; ils marchaient, s’arrêtaient,
Parlaient, s’interrompaient, et, pendant les silences,
Leurs bouches se taisant, leurs âmes chuchotaient.
Ils songeaient; ces deux cœurs, que le mystère écoute,
Sur la création au sourire innocent
Penchés, et s’y versant dans l’ombre goutte à goutte,
Disaient à chaque fleur quelque chose en passant.
Elle sait tous les noms des fleurs qu’en sa corbeille
Mai nous rapporte avec la joie et les beaux jours;
Elle les lui nommait comme eût fait une abeille,
Puis elle reprenait: «Parlons de nos amours.
Je suis en haut, je suis en bas», lui disait-elle,
«Et je veille sur vous, d’en bas comme d’en haut.»
Il demandait comment chaque plante s’appelle,
Se faisant expliquer le printemps mot à mot.
Ô champs! il savourait ces fleurs et cette femme.
Ô bois! ô prés! nature où tout s’absorbe en un,
Le parfum de la fleur est votre petite âme,
Et l’âme de la femme est votre grand parfum!
La nuit tombait; au tronc d’un chêne, noir pilastre,
Il s’adossait pensif; elle disait: «Voyez
Ma prière toujours dans vos cieux comme un astre,
Et mon amour toujours comme un chien à tes pieds.»
Juin 18…
XVIII .
Je sais bien qu’il est d’usage
D’aller en tous lieux criant
Que l’homme est d’autant plus sage
Qu’il rêve plus de néant;
D’applaudir la grandeur noire,
Les héros, le fer qui luit,
Et la guerre, cette gloire
Qu’on fait avec de la nuit;
D’admirer les coups d’épée,
Et la fortune, ce char
Dont une roue est Pompée,
Dont l’autre roue est César;
Et Pharsale et Trasimène,
Et tout ce que les Nérons
Font voler de cendre humaine
Dans le souffle des clairons!
Je sais que c’est la coutume
D’adorer ces nains géants
Qui, parce qu’ils sont écume,
Se supposent océans;
Et de croire à la poussière,
À la fanfare qui fuit,
Aux pyramides de pierre,
Aux avalanches de bruit.
Moi, je préfère, ô fontaines!
Moi, je préfère, ô ruisseaux!
Au Dieu des grands capitaines,
Le Dieu des petits oiseaux!
Ô mon doux ange, en ces ombres
Où, nous aimant, nous brillons,
Au Dieu des ouragans sombres
Qui poussent les bataillons,
Au Dieu des vastes armées,
Des canons au lourd essieu,
Des flammes et des fumées,
Je préfère le bon Dieu!
Le bon Dieu, qui veut qu’on aime,
Qui met au cœur de l’amant
Le premier vers du poëme,
Le dernier au firmament!
Qui songe à l’aile qui pousse,
Aux œufs blancs, au nid troublé,
Si la caille a de la mousse,
Et si la grive a du blé;
Et qui fait, pour les Orphées,
Tenir, immense et subtil,
Tout le doux monde des fées
Dans le vert bourgeon d’avril!
Si bien, que cela s’envole
Et se disperse au printemps,
Et qu’une vague auréole
Sort de tous les nids chantants!
Vois-tu, quoique notre gloire
Brille en ce que nous créons,
Et dans notre grande histoire
Pleine de grands panthéons;
Quoique nous ayons des glaives,
Des temples, Chéops, Babel,
Des tours, des palais, des rêves,
Et des tombeaux jusqu’au ciel;
Il resterait peu de choses
À l’homme, qui vit un jour,
Si Dieu nous ôtait les roses,
Si Dieu nous ôtait l’amour!
Chelles, septembre 18…
XIX. N’envions rien
Ô femme, pensée aimante
Et cœur souffrant,
Vous trouvez la fleur charmante
Et l’oiseau grand;
Vous enviez la pelouse
Aux fleurs de miel;
Vous voulez que je jalouse
L’oiseau du ciel.
Vous dites, beauté superbe
Au front terni,
Regardant tour à tour l’herbe
Et l’infini:
«Leur existence est la bonne;
«Là, tout est beau;
«Là, sur la fleur qui rayonne,
«Plane l’oiseau!
«Près de vous, aile bénie,
«Lis enchanté,
«Qu’est-ce, hélas! que le génie
«Et la beauté?
«Fleur pure, alouette agile,
«À vous le prix!
«Toi, tu dépasses Virgile;
«Toi, Lycoris!
«Quel vol profond dans l’air sombre!
«Quels doux parfums! -»
Et des pleurs brillent sous l’ombre
De vos cils bruns.
Oui, contemplez l’hirondelle,
Les liserons;
Mais ne vous plaignez pas, belle,
Car nous mourrons!
Car nous irons dans la sphère
De l’éther pur;
La femme y sera lumière,
Et l’homme azur;
Et les roses sont moins belles
Que les houris;
Et les oiseaux ont moins d’ailes
Que les esprits!
Août 18…
XX. Il fait froid
L’hiver blanchit le dur chemin.
Tes jours aux méchants sont en proie.
La bise mord ta douce main;
La haine souffle sur ta joie.
La neige emplit le noir sillon.
La lumière est diminuée… -
Ferme ta porte à l’aquilon!
Ferme ta vitre à la nuée!
Et puis laisse ton cœur ouvert!
Le cœur, c’est la sainte fenêtre.
Le soleil de brume est couvert;
Mais Dieu va rayonner peut-être!
Doute du bonheur, fruit mortel;
Doute de l’homme plein d’envie;
Doute du prêtre et de l’autel;
Mais crois à l’amour, ô ma vie!
Crois à l’amour, toujours entier,
Toujours brillant sous tous les voiles!
À l’amour, tison du foyer!
À l’amour, rayon des étoiles!
Aime et ne désespère pas.
Dans ton âme où parfois je passe,
Où mes vers chuchotent tout bas,
Laisse chaque chose à sa place.
La fidélité sans ennui,
La paix des vertus élevées,
Et l’indulgence pour autrui,
Éponge des fautes lavées.
Dans ta pensée où tout est beau,
Que rien ne tombe ou ne recule.
Fais de ton amour ton flambeau.
On s’éclaire de ce qui brûle.
À ces démons d’inimitié,
Oppose ta douceur sereine,
Et reverse-leur en pitié
Tout ce qu’ils t’ont vomi de haine.
La haine, c’est l’hiver du cœur.
Plains-les! mais garde ton courage.
Garde ton sourire vainqueur;
Bel arc-en-ciel, sors de l’orage!
Garde ton amour éternel.
L’hiver, l’astre éteint-il sa flamme?
Dieu ne retire rien du ciel;
Ne retire rien de ton âme!
Décembre 18…
XXI .
Il lui disait: «Vois-tu, si tous deux nous pouvions,
«L’âme pleine de foi, le cœur plein de rayons,
«Ivres de douce extase et de mélancolie,
«Rompre les mille nœuds dont la ville nous lie;
«Si nous pouvions quitter ce Paris triste et fou,
«Nous fuirions; nous irions quelque part, n’importe où,
«Chercher loin des vains bruits, loin des haines jalouses,
«Un coin où aurions des arbres, des pelouses,
«Une maison petite avec des fleurs, un peu
«De solitude, un peu de silence, un ciel bleu,
«La chanson d’un oiseau qui sur le toit se pose,
«De l’ombre; – et quel besoin avons-nous d’autre chose?»
Juillet 18…