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A
A

Avant d’avoir parlé Fausta était assurée du succès. Elle en eut la perception très nette.

Pardaillan l’eut aussi, cette perception, car il murmura:

– Incomparable magicienne!

Et presque aussitôt il traduisit son inquiétude par ces mots:

– Que va-t-elle leur proposer? Et qui sont ces gens?… Bah! écoutons, nous verrons bien.

Fausta, toujours maîtresse d’elle-même, n’avait rien laissé paraître de ses sentiments intimes. Elle accepta l’hommage de ces inconnus comme une chose due et avec cette dignité bienveillante qu’elle savait prendre en de certains moments.

Un instant elle laissa errer son œil chargé d’effluves sur ces fronts qui se courbaient et, se retournant à demi, elle fit un signe à celui des trois qui l’avait présentée à l’assemblée.

L’homme quitta la place qu’il avait prise juste derrière Fausta, et s’avançant au bord de l’estrade, en ayant bien soin de ne pas masquer ni dépasser Fausta:

– Seigneurs, dit-il, voici la princesse Fausta. Princesse souveraine en ce pays du soleil, de l’amour et des fleurs, ce pays béni qui s’appelle l’Italie. La princesse Fausta est fabuleusement riche. Elle connaît tout de nos projets et pourrait, je crois, vous nommer tous par vos noms, titres et qualités.

À cette révélation, des murmures se firent entendre dans l’assemblée. Tous ces hommes, l’instant d’avant si confiants, se regardèrent avec des regards chargés de soupçons.

Fausta comprit ce qui se passait dans ces esprits.

Elle étendit sa main dans un geste d’apaisement et dit:

– Rassurez-vous, seigneurs, il n’y a pas de traîtres parmi vous. Votre association ne m’a pas été révélée. Je l’ai devinée. Sous un régime d’oppression sanglante pareil à celui sous lequel agonise votre beau pays d’Espagne, il ne fallait pas être grand clerc pour deviner qu’une action devait se faire et que des hommes de cœur et de dévouement se trouveraient qui, tout au moins, tenteraient de secouer le joug de fer. Ceci posé, le reste n’était plus qu’un jeu pour moi. Et quant à vos personnes, quant à vos projets, si je les connais, c’est que j’ai pu assister, invisible, à la plupart de vos conciliabules.’

Cette déclaration loyale, faite sur un ton de suprême assurance, fit tomber les suspicions qui déjà se faisaient jour.

Mais qu’une femme, par la seule puissance du raisonnement, fût parvenue à les deviner d’abord, eût eu ensuite cette audace inimaginable de se mêler à eux qui se connaissaient tous, sans que rien ne dénonçât sa présence, cela leur causait un étonnement prodigieux qui se manifesta ouvertement sur la plupart des physionomies de ces hommes qui, pourtant, ne paraissaient pas faciles à étonner.

Enfin la désinvolture avec laquelle cette femme avait parlé d’une chose qui leur apparaissait comme un tour de force remarquable, tout cela réuni commença de leur donner une haute opinion de celle qui venait de leur parler.

Fausta perçut parfaitement ces impressions, mais elle n’en laissa rien paraître. Comme si, désormais, elle eût acquis le droit de commander, elle se tourna vers le personnage qui la présentait et dit d’un ton bref:

– Continuez, duc!

Celui à qui elle venait de donner ce titre de duc s’inclina profondément et reprit, se faisant l’interprète des pensées de plus d’un qui l’écoutait:

– Oui, seigneurs, la princesse vient de vous le dire, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de traître parmi nous. Et cependant la princesse Fausta nous connaît, nous et nos projets. Mais alors qu’elle paraît trouver tout simple de nous avoir découverts, qu’elle me permette de dire ici que pour nous avoir devinés, il faut être doué d’une perspicacité peu commune. Pour avoir osé s’aventurer parmi nous, il faut être doué d’un courage et d’une audace que bien des hommes – j’entends des plus courageux – n’auraient pas.

Un murmure approbateur se fit entendre.

– Le pouvoir dont elle dispose en tant que souveraine, continua le duc, ses immenses richesses, son esprit supérieur, son courage viril, ses ambitions vastes et ses grandes pensées, tout cela, la princesse Fausta le met au service de l’œuvre de régénération que nous poursuivons.

Cette fois ce ne fut plus un murmure, ce furent des acclamations qui saluèrent ces paroles, tandis que tous les yeux contemplaient, avec une admiration manifeste, cette femme qu’on leur présentait comme un être exceptionnel.

Le duc reprit d’une voix qui se fit plus forte:

– Tout ce que je viens de vous dire, qui n’est pas dénué de valeur, comme vous l’avez fort bien compris, ainsi que le prouvent vos acclamations, tout cela n’est rien à côté de ce qui me reste à vous révéler.

Le duc prit un temps, soit pour ménager ses effets, en orateur habile, soit pour permettre au silence de se rétablir, car ses paroles avaient soulevé un mouvement assez vif dans l’assemblée.

Quand le silence se fut complètement rétabli, il reprit:

– Ce chef que nous cherchions vainement depuis de longs mois, le fils de don Carlos, la princesse le connaît… elle se fait forte de nous l’amener.

Ici l’orateur dut s’arrêter, interrompu qu’il fut par les exclamations diverses, les trépignements, les manifestations les plus diverses d’une joie bruyante et sincère. Toutes ces clameurs se confondirent en un cri unanime de «Vive don Carlos! Vive notre roi!» jailli spontanément de toutes ces poitrines haletantes.

Un geste du duc ramena instantanément le silence. Chacun redevint attentif.

– Oui, seigneurs, lança le duc. La princesse connaît le fils de don Carlos, et elle nous l’amènera. Mais il y a mieux encore. Écoutez ceci: la princesse sera, d’ici peu, l’épouse légitime de celui dont nous voulons faire notre roi. Épouse de notre chef, elle mettra à son service son pouvoir, qui est grand, sa fortune, et surtout son puissant génie. Elle fera de son époux non pas un roi de l’Andalousie comme nous le souhaitons, mais dépassant toutes nos espérances, toutes nos ambitions, elle fera de lui, avec votre aide, le roi de toutes les Espagnes. J’avais donc raison de dire qu’elle seule pouvait être notre chef, puisqu’elle est déjà notre souveraine. C’est pourquoi, moi: don Ruy Gomès, duc de Castrana, comte de Mayalda, marquis de Algavar, seigneur d’une foule d’autres lieux, grand d’Espagne, dépouillé de mes titres et biens par l’infâme tribunal qui s’intitule «Saint-Office», je lui rends hommage ici et je crie: «Vive notre reine!»

Et le duc de Castrana mit un genou en terre. Et comme l’étiquette très rigoriste de la cour d’Espagne interdisait de toucher à la reine, sous peine de mort, il se courba devant Fausta jusqu’à toucher du front les planches de l’estrade.

Et un cri formidable retentit:

– Vive la reine!

Impassible comme à son ordinaire, Fausta reçut sans sourciller l’enthousiaste hommage. Sans doute s’était-elle blasée sur ce genre de manifestations, ayant reçu – alors qu’elle pouvait se croire la papesse – des hommages religieux faits d’adoration mystique, autrement grandioses que ces quelques vivats, si spontanés et si sincères fussent-ils. Cependant elle daigna sourire.

Et comme cette femme remarquable possédait au plus haut point l’art d’asservir et d’ensorceler les foules, elle comprit qu’un geste d’elle suffirait à changer ces enthousiastes en esclaves prêts à se faire tuer sur un signe.

Elle se leva vivement et, relevant le duc avec une grâce captivante:

– À Dieu ne plaise, dit-elle, que je laisse un de nos meilleurs et de nos plus fidèles sujets le front dans la poussière.

Et lui tendant sa main à baiser dans un geste vraiment royal, elle reprit sa place dans son fauteuil et, gravement:

– Duc, reprit-elle, quand notre époux sera sur le trône de ses pères, nous voulons que soient réformées les règles d’une étiquette étroite et mesquine. Nous sommes souveraine et nous ne l’oublions pas, mais nous sommes avant tout femme, et nous entendons le demeurer. Comme telle, nous voulons que nos sujets puissent nous approcher sans que cela leur soit imputé à crime.

Et désignant d’un geste empreint d’une grâce hautaine les hommes qui venaient de l’acclamer:

– Ceux-ci auront été les premiers. Ils nous seront toujours les plus chers et les bienvenus auprès de nous.

Alors ce fut du délire. Pendant un long moment on n’entendit que les vivats les plus frénétiques. Puis ce fut la ruée au pied de l’estrade, chacun voulant avoir l’insigne honneur de toucher à la reine. Celui-ci baisant le bout de sa mule, celui-là le bas de sa robe, cet autre plaquant ses lèvres à l’endroit où s’était posé son pied, d’autres enfin – et c’étaient les mieux partagés, les plus heureux et les plus fiers aussi – effleurant le bout de ses doigts qu’elle leur abandonnait avec une grâce nonchalante, ayant aux lèvres un indéfinissable sourire où il y avait certes, plus de dédain que de gratitude.

Mais qui donc se serait avisé d’analyser le sourire de la reine? Et notez que ces fanatiques étaient tous de haute noblesse, avaient occupé un rang ou des emplois considérables.

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