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– Riche! Je suis riche!… autant que le roi!…

Si Fausta fut étonnée de cette étrange manifestation de joie, elle n’en laissa rien paraître. Elle demeura grave, avec une pointe d’attendrissement, peut-être factice, mais si naturel, si admirablement joué, que de plus expérimentés que le nain s’y seraient laissés prendre. Et de sa voix douce, de son air le plus bienveillant, elle dit:

– Vous voilà riche, en effet. Vous allez pouvoir… épouser celle que vous aimez.

À ces mots, El Chico tressaillit violemment. Il rougit et pâlit tour à tour, et fixa sur Fausta, des yeux effarés où se lisait comme une vague terreur. Et Fausta, qui n’avait parlé, comme on dit, que pour parler, au hasard, sans intention précise, ayant négligé de se documenter, ainsi qu’elle avait coutume de faire, sur ce personnage qu’elle avait jugé sans doute sans importance, Fausta nota soigneusement cette émotion violente du petit homme.

Et comme il secouait la tête négativement, avec une expression de douleur manifeste:

– Pourquoi non? dit-elle gravement. Vous êtes un homme par l’âge et par le cœur. Vous voilà riche. Pourquoi ne songeriez-vous pas à vous établir, à vous créer un intérieur? Vous êtes petit, c’est vrai, mais vous n’êtes pas contrefait. Vous êtes admirablement conformé dans votre petitesse, on peut même dire que vous êtes beau. Ne dites pas non. Vous aimez, je le vois, pourquoi ne seriez-vous pas aimé aussi?… Croyez-moi, vous pouvez être heureux comme tout le monde.

El Chico ouvrait de grands yeux ravis et, en écoutant cette princesse qui lui parlait si doucement, sans nulle raillerie, d’un air convaincu, il «buvait du lait», pour employer une expression populaire imagée.

Mais sans doute le bonheur qu’on lui faisait entrevoir lui parut irréalisable, car il secoua douloureusement la tête et Fausta n’insista pas.

– Allez, dit-elle doucement, et souvenez-vous que si vous avez besoin d’une aide, soit auprès de celle que vous aimez, soit auprès de sa famille, vous me trouverez prête à intervenir en votre faveur. Je suis puissante, très puissante, je pourrais peut-être arranger vos affaires, ne l’oubliez pas le cas échéant. Allez maintenant.

El Chico, très ému, ne trouva pas un mot de remerciement. Titubant, comme s’il était ivre, il se dirigea vers la porte oubliant de s’incliner devant la grande dame et, comme il allait franchir le seuil, il se retourna brusquement, se précipita sur Fausta, saisit sa main qui pendait nonchalamment appuyée au bras de son fauteuil et y déposa un baiser vibrant. Puis, se redressant aussi vivement qu’il était accouru, sans dire un mot, il sortit en courant.

Fausta n’avait pas fait un mouvement, pas prononcé une parole.

De même qu’elle s’était prêtée complaisamment à l’hommage religieux et servile de Centurion, exagérant la rudesse du geste et de l’attitude jusqu’à une outrance qui pourrait nous paraître excessive, mais qui pourtant était dans les mœurs de l’époque, de même elle accueillit l’hommage reconnaissant du nain sans un geste, avec cette douceur bienveillante qu’elle avait prise dès l’instant où elle s’était trouvée en contact avec le petit homme et qu’elle avait gardée avec cet art consommé qui faisait d’elle une incomparable comédienne.

Lorsque El Chico fut sorti, elle songea:

«Voilà un petit bout d’homme qui maintenant se fera hacher pour moi. Mais quelle est la femme dont il s’est épris, et pourquoi ai-je cru démêler comme de la haine dans sa manière de parler de Pardaillan? Il faudra savoir; ce nain me sera peut-être utile. Nous verrons.»

Écartant momentanément le nain de son esprit, elle se leva, alla soulever une tenture et, avant de disparaître, s’adressant à Centurion, qui attendait, immobile et muet:

– Faites ce qui est convenu, dit-elle, et venez me rejoindre aussitôt dans l’oratoire.

Sans attendre de réponse, certaine que ses ordres seraient exécutés, elle laissa tomber la portière et disparut.

Elle s’engagea dans le corridor et s’arrêta devant cette porte où nous l’avons déjà vue s’arrêter. Elle poussa le judas et regarda.

La Giralda, sous l’empire de quelque narcotique, dormait paisiblement, étendue sur un large lit de repos.

«Dans dix minutes elle se réveillera, pensa Fausta qui repoussa le judas et poursuivit son chemin.»

Elle parvint à la pièce qu’elle avait désignée à Centurion et y pénétra en laissant la porte grande ouverte derrière elle. Cet oratoire était plutôt petit et meublé très simplement. Elle s’assit et attendit quelques minutes au bout desquelles Centurion parut dans l’encadrement de la porte et, sans entrer, dit:

– C’est fait, madame. Il serait prudent de nous retirer au plus tôt. Il est à présumer qu’ils vont visiter la maison.

Fausta fit un geste qui signifiait qu’elle avait le temps et reprit sa méditation sans plus s’occuper de Centurion qui attendit sans bouger de sa place.

À quoi songeait-elle? Quels plans nouveaux s’élaboraient dans sa tête? Quelques minutes, qui parurent plutôt longues à Centurion immobile, s’écoulèrent ainsi. Enfin Fausta se leva et fit signe à Centurion d’entrer.

– Madame, répéta le bravo en faisant quelques pas, il est temps nous retirer.

– Poussez la porte, sans la fermer, commanda Fausta d’un air paisible.

Sans murmurer, visiblement intrigué, Centurion obéit. Quand il se retourna, après avoir poussé la porte, il aperçut une étroite ouverture, pratiquée dans l’épaisseur de la muraille, que la porte grande ouverte jusque-là lui avait masquée.

– Une porte secrète, murmura-t-il; je comprends maintenant.

– Prenez ce flambeau, dit Fausta, et éclairez-moi.

Centurion prit le flambeau et se dirigea vers l’ouverture. Un étroit escalier aboutissait au ras du sol. Il se mit à descendre, éclairant la marche de Fausta qui referma la porte secrète derrière elle sans que le bravo, qui pourtant la guignait du coin de l’œil, parvînt à saisir le secret de cette fermeture.

Après avoir franchi une vingtaine de marches, ils se trouvèrent dans une galerie souterraine assez large pour permettre à deux personnes de passer de front, assez élevée pour qu’un homme, même de haute taille, pût marcher sans être obligé de baisser la tête. Le sol de ce souterrain était tapissé d’un sable très fin, doux à la marche, étouffant le bruit des pas mieux que n’eût pu le faire le tapis le plus épais et le plus moelleux.

Après avoir parcouru un assez long espace, Centurion rencontra une galerie transversale. Il s’arrêta devant le mur de cette galerie et demanda:

– Faut-il tourner à droite ou à gauche?

– Restez où vous êtes, répondit Fausta.

À son tour, elle s’approcha du mur, et sans chercher, sans hésitation, elle saisit une pierre qui se détacha d’autant plus aisément que cette prétendue pierre était tout simplement une planche assez habilement peinte et maquillée pour qu’elle pût se confondre avec les vraies pierres qui l’entouraient.

La planche enlevée démasqua une petite excavation.

Fausta passa son bras dans le trou et actionna un ressort caché. Aussitôt un déclic se fit entendre et, à quelques pas, une ouverture apparut dans le mur.

– Passez, dit Fausta en montrant du doigt l’ouverture.

Centurion, son flambeau à la main, passa, toujours suivi de Fausta.

Ils se trouvèrent alors dans une grotte artificielle assez vaste. Le sol de cette grotte, comme les galeries qu’ils venaient de parcourir, était tapissé de sable fin. De la voûte assez élevée pendaient plusieurs lampes. Sur une façon d’estrade basse, trois fauteuils étaient disposés devant une grande table. D’énormes banquettes en chêne massif étaient placées au pied de l’estrade, à droite et à gauche de la table, de telle façon qu’un espace assez large était ainsi aménagé devant l’estrade.

Ainsi disposée et meublée, cette grotte ressemblait assez à une salle de réunion publique dans laquelle une cinquantaine de personnes auraient pu prendre place et s’asseoir sans trop de gêne.

Centurion connaissait-il cette salle de réunion clandestine? Savait-il à quoi servait cette retraite souterraine et ce qui se tramait là-dedans?

On aurait pu le croire, car dès l’instant où il avait pénétré dans la grotte, une singulière inquiétude s’était emparée de lui. En reconnaissant tout à fait des lieux qui sans doute lui étaient familiers, son inquiétude s’était changée en épouvante. Il était devenu livide, un tremblement convulsif s’était emparé de lui et faisait danser d’une manière fantastique le flambeau qu’il tenait dans sa main crispée. Il regardait avec des yeux hagards Fausta qui ne paraissait pourtant pas remarquer son trouble et disait tranquillement:

– Allumez donc ces lampes, ce flambeau ne nous éclaire pas suffisamment.

Heureux de cacher son trouble, Centurion se hâta d’obéir et, les lampes allumées, il posa machinalement son flambeau sur la table et passa sa main sur son front, où perlait la sueur de l’angoisse.

Toutes les lampes étant allumées, Fausta fit signe au bravo de la suivre. Elle sortit de la grotte, le conduisit à l’excavation qu’elle avait laissée ouverte, et:

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