Mais Barba-Roja ne discerna rien. Il ne vit qu’une chose: c’est qu’il allait se venger de Pardaillan et rétablir du coup son crédit qu’il croyait ébranlé.
Centurion enfouit le précieux parchemin sous ses loques et se dirigeant vers la porte:
– À bientôt, mon cousin, dit-il. Je n’ai pas un instant à perdre et cependant il me faut aller changer ce costume.
Déjà Centurion avait ouvert la porte, lorsque Barba-Roja, avec une timidité étrange chez ce colosse, murmura:
– Cristobal!…
Centurion repoussa la porte et attendit. Mais voyant que Barba-Roja, très embarrassé, ne pouvait se résoudre à parler, il lui dit avec cette brusque familiarité qu’il ne se permettait que dans le tête-à-tête:
– Les moments sont précieux, l’homme peut nous échapper. Voyons, videz votre sac une bonne fois, mais faites vite…
– Cette jeune fille, fit le colosse en rougissant.
– La Giralda?… Voilà donc où le bât vous blesse, railla Centurion narquois.
Sans relever la raillerie, Barba-Roja reprit:
– Ne pourrais-tu… si l’occasion se présente… faire d’une pierre deux coups?…
– Cela se peut faire, dit Centurion avec un mince sourire, si toutefois la jeune fille est à l’auberge… car autrement, souvenez-vous que quiconque veut courir deux lièvres à la fois risque fort de les manquer tous les deux.
– Mais si elle est là? insista Barba-Roja.
– Si elle est là, je ferai de mon mieux et peut-être serai-je plus heureux que l’autre jour.
– Tu es un bon parent, Cristobal, fit Barba-Roja, dont le visage s’éclaira.
Et avec un accent empreint d’une passion sauvage et violente:
– Si tu réussis, si tu me livres cette jeune fille, demande-moi tout ce que tu voudras!…
– Je n’aurai garde d’oublier la promesse, fit Centurion entre haut et bas.
Et tout haut:
– Je vais travailler de façon à satisfaire à la fois votre haine et votre amour.
Et sur ces mots il s’éclipsa.