Si le chevalier pu tirer sa dague, nul doute qu’il ne se fût poignardé à ce moment pour s’épargner l’horrible supplice d’être enterré vif. Mais il n’était pas muré dans un cercueil ordinaire. Celui-ci était beaucoup plus bas et plus étroit que tout ce qui se faisait habituellement. Il était, là-dedans, littéralement tassé et pressé. Et malgré tous ses efforts, il ne put parvenir à saisir l’arme libératrice.
Bientôt il sentit un air plus frais caresser son visage qu’il tenait obstinément collé contre le judas. Il se vit au grand air, dans un jardin, et il frissonna:
– Le cimetière!…
Si l’office des morts lui avait paru d’une lenteur mortelle, la marche vers le trou suprême lui parut s’accomplir avec une rapidité fantastique. C’est qu’il espérait encore qu’un miracle s’accomplirait en sa faveur et il comprenait que lorsqu’il serait dans le trou, que la terre pèserait sur lui lourde et glaciale, tout espoir de délivrance serait à jamais perdu.
Déjà les porteurs s’arrêtaient.
Il sentit qu’on le posait assez rudement sur un sol meuble.
Il perçut distinctement le glissement des cordes sous le cercueil qui soulevé, glissa doucement et tomba mollement au fond de la fosse.
Une voix de basse tonitrua:
– Requiescat in pace!
Et, les autres, en chœur, répondirent:
– Amen!
Et la terre s’abattit lourdement sur lui avec un bruit sourd qui résonnait jusqu’au plus profond de son être.
Alors Pardaillan s’abandonna. Et avec une résignation où perçait encore et malgré tout une pointe de raillerie, il murmura:
– Cette fois-ci, me voici mort et enterré!
Cet accès de désespoir ne dura pas longtemps. Presque aussitôt il se ressaisit et recommença à crier furieusement, à talonner le couvercle à grands coups, à se meurtrir les coudes et les épaules en s’efforçant de faire éclater les parois.
Combien de temps s’écoula ainsi?
Des minutes ou des heures?
Il n’en eut pas conscience.
Et comme pour la centième fois peut-être, s’arc-boutant de toutes ses forces décuplées par le désespoir et la rage, il essayait de faire sauter le couvercle, tout à coup, au moment où il râlait, à bout de forces et de courage, sur une faible poussée de l’épaule, le couvercle s’ouvrit comme de lui-même, eût-on dit.
– Mort de tous les diables! Tripes de tous les saints! Par le pied fourchu de Satan! Par le ventre de ma mère! se soulagea Pardaillan, coup sur coup.
Il était livide, hagard, tremblant de fureur et d’horreur. Il respira à grands coups comme s’il n’eût pu rassasier ses poumons et passa machinalement sa main sur son front d’où coulaient de grosses gouttes de sueur. Il était à genoux au milieu de son cercueil et regardait autour de lui sans voir, avec des yeux de fou, ne pensant qu’à fuir.
Il ne remarqua pas qu’il était dans un jardin et non dans un cimetière comme il l’avait cru. Il ne remarqua même pas que sa fosse n’avait presque pas de profondeur et que toute la terre qu’on avait jetée sur lui, à pleines pelletées, s’était, par suite de quelque agencement spécial, éparpillée à droite et à gauche, laissant le cercueil bien dégagé.
Il ne remarqua rien, il ne vit rien… qu’une chose:
C’est qu’il était vivant et libre, qu’il avait de l’air et de l’espace devant lui, et que maintenant, enragé de vengeance, il était résolu à tordre le cou de ce scélérat d’Espinosa qui avait combiné le supplice sans nom qu’on venait de lui infliger, et que, sa bonne rapière au poing, bravant la mousquetade, il se sentait enfin de force à tenir tête à tous les sbires de l’inquisiteur, fussent-ils légion.
Enfin, sa tête en feu un peu rafraîchie par l’air frais du soir – la nuit commençait à tomber – ayant retrouvé un peu de sang-froid, il escalada lestement la fosse et à pas rudes et allongés, avec cette foudroyante rapidité de décision qu’il avait dans l’action, il se dirigea droit vers une porte dérobée située juste en face de lui.
Arrivé devant la porte, il tira sa rapière, la fit siffler d’un air terrible, et brusquement il ouvrit.
La porte donnait sur une cour occupée militairement par une compagnie d’hommes d’armes.
Pardaillan fit résolument deux pas en avant. Tout de suite il se heurta à l’officier de garde commandant la troupe, lequel, en le voyant, s’écria d’un air étonné:
– Monsieur de Pardaillan! D’où sortez-vous donc?
Pardaillan entendit-il ou n’entendit-il pas? Il ne comprit qu’une chose: c’est que l’officier ne cherchait pas à lui barrer le passage.
Il répondit froidement par une autre question:
– Par où sort-on?
Il crut du moins avoir répondu froidement. En réalité, il hurla sa question d’un air terrible et menaçant, à peu près comme il eût crié:
– Place, ou je vous tue!
Au reste, sans attendre la réponse, il tourna à droite, au hasard, sans savoir, et s’éloigna à grands pas.
L’officier cria à son tour:
– Eh! monsieur de Pardaillan!… pas par là!
Et comme le chevalier continuait son chemin sans se tourner, sans se détourner d’un pouce, l’officier courut après lui, le saisit par le bras et dit, très poliment:
– Vous vous trompez, monsieur de Pardaillan, ce n’est pas par là qu’on sort… c’est par ici.
Et, du doigt, il désignait la direction opposée.
– Vous dites, monsieur? hoqueta Pardaillan stupide d’effarement, ne sachant s’il rêvait ou s’il était éveillé.
L’officier répondit paisiblement:
– Vous m’avez fait l’honneur de me demander où était la sortie. Je vous fais remarquer que vous vous trompez… La sortie est à gauche et non à droite.
– Ah çà! monsieur, gronda Pardaillan qui se sentait devenir fou, vous n’êtes donc pas là pour m’arrêter? Vous n’avez donc pas ordre de me meurtrir?
– Quelle plaisanterie, monsieur, fit l’officier en souriant. J’ai, il est vrai, reçu l’ordre d’arrêter quiconque se présentera devant moi. Mais cet ordre ne concerne pas M. de Pardaillan, pour lequel, au contraire, on nous a ordonné d’avoir tous les égards dus au représentant de S. M. le roi de Navarre.
Le chevalier regarda l’officier jusqu’au fond des yeux. Il vit qu’il était de bonne foi. Il rengaina aussitôt et, saluant à son tour l’homme qui lui parlait la tête découverte:
– Excusez-moi, monsieur, fit-il doucement, je crois que j’ai pris la fièvre… là… dans ces couloirs.
– Cela se voit, dit l’officier, toujours souriant et aimable.
Et il ajouta avec un empressement qui paraissait sincère:
– Désirez-vous que je fasse appeler un médecin de Sa Majesté?
– Mille grâces, monsieur, fit Pardaillan avec cette exquise urbanité qui, chez lui, avait tant de prix. Je me sens mieux… Ce ne sera rien.
Et à part lui, il murmura entre haut et bas:
– Puisse ma carcasse être dévorée par les chiens si je comprends rien à ce qui m’arrive!
À ce moment une voix, qu’il reconnut aussitôt, dit avec calme:
– Ne vous avais-je pas donné ma parole que vous pourriez sortir comme vous étiez entré?
– Espinosa! gronda Pardaillan. Mais d’où sort-il donc?
Le grand inquisiteur, en effet, paraissait avoir surgi de terre.
Pardaillan s’approcha d’Espinosa jusqu’à le toucher et, les yeux flamboyants, avec ce calme glacial qui, chez lui, était l’indice d’une colère blanche refrénée à force de volonté, il lui dit en plein visage:
– Vous arrivez à propos, monsieur. Il me semble que nous avons un compte à régler!
Espinosa ne broncha pas. Ses yeux ne se baissèrent pas devant l’éclair qui jaillit des prunelles du chevalier. Avec ce calme imperturbable qui lui était particulier, il reprit paisiblement:
– Si vous ne m’aviez pas fait l’injure de douter de cette parole, si vous aviez passé avec confiance au milieu des troupes, comme vous venez de le faire, un peu tard, vous n’auriez pas vécu ces quelques heures de transes mortelles. C’est une leçon que j’ai voulu vous donner, monsieur. En même temps, c’est un avertissement. Rappelez-vous que, quoi que vous fassiez, quelles que soient les apparences, vous serez, dans cette ville immense, en mon pouvoir et dans ma main, comme vous l’avez été dans ce palais.
Et avec un accent où perçait, comme malgré lui, une sorte d’intérêt:
– Croyez-moi, monsieur de Pardaillan, vous êtes l’homme des luttes épiques sous le soleil éclatant, face à face et les yeux dans les yeux. Mais vous n’entendez rien à ces luttes sournoises et tortueuses, dans l’ombre et les ténèbres. Rentrez chez vous, en France, monsieur de Pardaillan; ici vous serez broyé, et vraiment j’en aurais du regret, car vous êtes un brave.