Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Je vous ai offert pour vous ce précieux parchemin, et vous l’avez refusé… Je le porterai donc à Philippe.

– À votre aise, madame, dit Pardaillan en s’inclinant.

– Alors, qu’allez-vous faire?

– Moi, madame?… J’attendrai… Et puisque vous êtes décidée à aller à Madrid, j’irai aussi. Je ne vous dis donc pas adieu, mais au revoir, madame.

– Au revoir, chevalier, répondit Fausta sur un ton étrange.

Pardaillan salua d’un geste large et, paisiblement, reprit le chemin par où il était venu.

Alors, quand il eut disparu au premier coude de la route, Bussi-Leclerc, Chalabre, Montsery, Sainte-Maline, Montalte, entourèrent la litière avec des jurons et des imprécations, et Montalte gronda:

– Pourquoi, madame, pourquoi nous avoir empêchés de charger ce truand?

– Oui! pourquoi? grinça Bussi.

Fausta les considéra un instant avec un sourire de dédain, et:

– Pourquoi?… Parce que vous trembliez de peur, messieurs.

– Par le Christ!… Tripes et ventre!… Mort du diable!…

– Madame, il en est encore temps!… Un mot, et cet homme n’arrive pas au bas de la montagne.

– Oui?… Eh bien, essayez…

Et du doigt elle leur désignait Pardaillan, qui réapparaissait au pas sur la route en lacets.

Humiliés par le dédain qu’elle leur manifestait, exaspérés jusqu’à la fureur par le dédain encore plus outrageant de celui qui s’en allait là-bas, sans avoir même paru remarquer leur présence, ils se ruèrent en se bousculant, grondant de sourdes menaces.

Cependant Fausta, avec un sourire étrange, se soulevait sur les coussins, s’accoudait, prenait les attitudes de quelqu’un qui se dispose à assister commodément à un spectacle intéressant.

Nous avons dit que la route serpentait le long de la montagne, en sorte que, en descendant, on avait: à droite, la masse granitique qui se dressait imposante et féerique en ses aspects changeants, variés à l’infini par les magiques rayons d’un soleil rutilant; à gauche, les pentes, tantôt douces, tantôt raides, souvent à pic, gouffres béants, prêts à engloutir, mutilée, déchiquetée par les aloès géants et les épines des cactus, la victime d’un faux pas.

Quant à ce que nous appelons la route, c’était tout simplement le fer des chevaux et des mules qui, à la longue, avait fini par tracer une sorte de sentier capricieux, tantôt assez large pour permettre à plusieurs cavaliers de l’aborder de front, tantôt à peine suffisant pour un seul. Toutefois, par-ci, par-là, les hommes avaient consenti à rectifier, arranger le chemin tracé par les bêtes.

Les cinq gardes du corps de Fausta s’étaient élancés pêle-mêle à la poursuite de Pardaillan. La route, en se rétrécissant, les obligea à se mettre en file, et voici quel était l’ordre de marche établi par le hasard En tête, Bussi-Leclerc, puis Sainte-Maline, Chalabre, Montsery, et fermant la marche, Montalte.

Pardaillan, lui, se trouvait à un angle de la route où le travail des bêtes avait été sommairement façonné par les hommes, et de telle sorte qu’il y avait là une façon de minuscule plate-forme.

Lorsqu’il entendit derrière lui le pas des chevaux, il se retourna:

– Tiens! c’est ce brave Bussi-Leclerc, et les trois mignons que j’ai tirés de la Bastille, et celui-là que je ne connais pas!… Pourquoi diable Fausta les a-t-elle empêchés de me charger là-haut? Ils y avaient de la place au moins, tandis qu’ici…

Et son sourire se fit aigu tandis qu’il inspectait le terrain avec un hochement de tête significatif.

Posément, il fit faire volte-face à son cheval et l’accula dans l’angle, contre la paroi, la croupe presque appuyée contre d’énormes quartiers de roche éboulés. Ainsi placé, il avait devant lui le sentier par où venait Bussi; derrière, les roches qui lui faisaient un rempart; à sa gauche, il avait le flanc de la montagne et à sa droite le précipice. On ne pouvait donc l’attaquer que de front et un à un.

Son épée dégagée, il attendit, et lorsque Bussi-Leclerc ne fut plus qu’à quelques pas de lui:

– Eh! monsieur Bussi-Leclerc, où courez-vous ainsi?… Est-ce après la leçon d’escrime que je vous promis voici quelques mois?

– Misérable fanfaron! hurla Leclerc, en chargeant l’épée haute, attends, je vais te donner la leçon que tu mérites, moi!

– Je ne demande pas mieux, fit Pardaillan en parant.

– Tue! tue! crièrent les trois ordinaires.

– Là! là! messieurs… Si vous vouliez me tuer, il ne fallait pas mettre en avant cet écolier.

– Mort de ma mère! un écolier, moi, Bussi!…

– Et un mauvais écolier encore… qui ne sait même pas tenir son épée… là!… hop! sautez!

Et l’épée de Bussi sauta, alla tomber dans le précipice.

– Oh! démon! rugit Leclerc en s’arrachant les cheveux.

Derrière lui Sainte-Maline criait:

– Place! faites-moi place, mordieu!

Bussi hébété ne bougeait pas, continuait de barrer la route aux autres. Et comme il jetait des regards de fou autour de lui, il vit Montalte qui avait mis pied à terre, s’était faufilé au premier rang et lui tendait son épée.

Bussi s’en saisit avec un rugissement de joie, et sans hésiter, fonça de nouveau, tête baissée.

– Encore! fit Pardaillan. Ma foi, monsieur, vous êtes insatiable!

Il achevait à peine que l’épée de Bussi décrivait une courbe dans l’air et allait rejoindre la première au fond du précipice.

– Là! fit Pardaillan, êtes-vous plus satisfait maintenant? Si je sais compter, c’est la cinquième fois que je vous désarme… Vous n’avez décidément pas de chance avec moi.

Bussi leva les poings au ciel, étouffa une imprécation et s’affaissa, terrassé par la rage et la honte.

C’en était fait de lui si Pardaillan – suprême humiliation et suprême générosité – ne l’avait saisi de sa poigne de fer et maintenu, évanoui, sur la selle.

Sainte-Maline s’efforçait vainement de passer et de prendre la place de Bussi, lorsque Montalte, se dressant devant lui, d’une voix basse et sifflante:

– Sur votre vie, monsieur, ne bougez pas!

– Mort du diable! monsieur, êtes-vous fou?

– Ne bougez pas, vous dis-je… Cet homme est un démon! Si nous le laissons faire, il nous tuera les uns après les autres ou nous désarmera… Emmenez Bussi et retournez auprès de la princesse… Je l’ordonne en son nom… Allez, messieurs.

Pardaillan, ayant assujetti Bussi, se tourna vers les ordinaires, et de son air le plus aimable:

– À qui le tour, messieurs?

Mais Sainte-Maline, Chalabre et Montsery obéissaient en grommelant à l’ordre du cardinal, et en jetant des regards furieux qui s’adressaient autant à Montalte qu’à Pardaillan, mettaient pied à terre, s’emparaient de Bussi, s’efforçaient de le faire revenir à lui…

Pendant ce temps, Montalte se campait devant Pardaillan, et pâle de rage contenue:

– Monsieur, dit-il, sachez que je vous hais.

– Bah?… Mais je ne vous connais pas, monsieur. Qui êtes-vous?…

– Je suis le cardinal Montalte, dit l’autre en se redressant.

– Le neveu de cet excellent M. Peretti?… Il va bien, M. votre oncle? répondit Pardaillan avec son plus gracieux sourire.

– Je vous hais, monsieur…

– Vous l’avez déjà dit, monsieur, fit froidement le chevalier.

– Et je vous tuerai!

– Ah! ah! ceci, c’est autre chose!… Comment comptez-vous m’occire, monsieur?

– Je vous ai averti, monsieur, dit Montalte en grinçant. Nous nous retrouverons.

– Tout de suite, si vous voulez… Non? Eh bien, où vous voudrez, en ce cas, et quand vous voudrez.

Cependant les ordinaires s’éloignaient, emmenant Bussi-Leclerc, qui, revenu à lui, pleurait sur sa défaite, sans écouter les consolations qu’ils lui prodiguaient, suivis d’assez loin par Montalte pensif.

– À vous revoir, messieurs! leur cria Pardaillan.

Et haussant les épaules, il reprit sa route en fredonnant un air de chasse du temps de Charles IX.

Il n’avait pas fait cinquante pas qu’il entendait un coup de feu. La balle venait s’aplatir à quelques toises de lui, sur le versant qu’il côtoyait.

Il leva vivement la tête. Montalte, seul, penché sur l’abîme, au-dessus de lui, tenait à la main le pistolet fumant qu’il venait de décharger. Le cardinal, voyant son coup manqué, sauta sur son cheval et, avec un geste de menace, se lança à la poursuite de ses compagnons.

19
{"b":"88675","o":1}