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– Dites-moi, ma belle enfant, comment vous nomme-t-on?

– Margoton, mon gentilhomme.

– Eh bien, Margoton la jolie, vous nous ferez sauter une belle omelette, bien mordorée et cuite à point.

– Avec une de ces appétissantes volailles que j’aperçois là-bas au tournebroche.

– Avec quelque pâté léger tel que: alouettes, merles ou bécassines, bien dégraissé.

– Avec quelques menues pâtisseries telles que: tartelettes, flancs, gelées de fruits…

– Le tout arrosé de trois bouteilles de Beaugency.

– Plus trois bouteilles de ce Vouvray qui, en effet, me paraît assez convenable.

– Plus trois bouteilles de Beaujolais.

– Plus trois bouteilles de ce petit vin blanc de Saumur, qui mousse et qui pétille qu’on croit avaler des perles blondes.

Et quand l’omelette bien dorée fut posée sur la table:

– Ah! mordiable, je renais, je respire! Il me semble que les quelques mois que nous venons de passer sont un affreux cauchemar, et que je m’éveille enfin.

– Bah! prenons le temps comme il vient! Oublions hier et son pain noir, faisons souriant accueil à la bonne fortune, ne soyons pas trop maussades devant l’adversité et attaquons l’omelette.

Et l’attaque fut impétueuse, je vous en réponds. Cela se termina par une déroute mémorable de toutes les victuailles, qui furent englouties en un rien de temps, le tout arrosé de grandes lampées de vin, accompagné de grasses plaisanteries et d’œillades aux servantes jeunes et avenantes. Et quand il ne resta plus que les gelées et les pâtisseries qu’ils grignotaient par passe-temps, en les arrosant de petit vin de Saumur, avec un énorme soupir de satisfaction:

– Vienne Bussi-Leclerc maintenant, et il faudra que le service qu’il veut nous proposer soit bien détestable pour qu’on le refuse.

– Eh! justement, le voici, Bussi-Leclerc!

C’était en effet Bussi-Leclerc; il s’avança.

– Bonjour, messieurs! Exacts au rendez-vous. C’est de bon augure… Que je vous voie un peu… Parfait!… Superbes!… Vive Dieu! mes maîtres, vous avez repris vos allures de gentilshommes. Avouez que cela vous sied mieux que le piteux équipage dans lequel je vous rencontrai. Mais, pardieu! continuez votre repas… Je prendrai un verre de ce petit vin blanc avec vous.

Et quand Bussi-Leclerc se fut assis devant le verre plein:

– Maintenant, monsieur de Bussi-Leclerc, nous attendons que vous nous fassiez connaître à quel service vous nous destinez.

– Messieurs, avez-vous entendu parler de la princesse Fausta?

– Fausta! s’exclama Sainte-Maline d’une voix étouffée. Celle qui, dit-on, faisait trembler Guise?

– Celle qui était, chuchotait-on, la papesse?

– Fausta! qui conçut et créa la Ligue… Fausta, qu’on appelait la Souveraine… Fausta! pour tout dire. Et, mordiable! il n’y a pas deux Fausta!… Eh bien, messieurs, c’est à son service que j’entends vous faire entrer… Acceptez-vous?

– Avec joie, monsieur! Nous étions au service d’un souverain, nous serons au service d’une souveraine.

– Quel sera notre rôle auprès de la princesse?

– Le même qu’auprès d’Henri de Valois… Vous étiez chargés de veiller sur la personne du roi, vous veillerez sur celle de Fausta; vous frappiez sur un ordre du roi vous frapperez sur un signe de Fausta; vous étiez les ordinaires du roi; vous serez les ordinaires de Fausta.

– Nous acceptons ce rôle, monsieur de Bussi-Leclerc… Mais la princesse a donc des ennemis si puissants, si terribles, qu’il lui faut trois gardes du corps tels que nous?

– Ne vous ai-je pas prévenus?… Il y aura bataille.

– C’est vrai, mordieu! Bataille donc!

– Il vous reste à nous désigner ces ennemis.

– La princesse n’a qu’un ennemi, dit Bussi, soudain grave.

– Un ennemi!… Et on nous engage tous les trois! Vous voulez plaisanter?

– La princesse, et vous trois, et moi, et d’autres encore, nous ne serons pas de trop pour faire face à cet ennemi-là.

– Oh! oh!… C’est vous, monsieur de Bussi-Leclerc, qui prononcez de telles paroles?

– Oui, monsieur de Chalabre. Et j’ajoute: malgré tous nos efforts réunis, je ne suis pas sûr que nous en viendrons à bout! fit Bussi toujours grave.

Les trois se regardèrent, impressionnés.

– C’est donc le diable en personne? dit Sainte-Maline.

– C’est celui qui, détenu à la Bastille, a enfermé le gouverneur à sa place, dans son cachot; c’est celui qui, ensuite, s’est emparé de la forteresse et a délivré tous les prisonniers. Et vous le connaissez comme moi, car si j’étais le gouverneur, vous étiez, messieurs, au nombre de ces prisonniers.

– Pardaillan!

Ce nom jaillit des trois gorges en même temps, et au même instant, les trois furent debout, se regardant, effarés, bouclant d’un geste machinal leurs ceinturons qu’ils avaient dégrafés, comme si l’ennemi eût été là, prêt à fondre sur eux.

– Je vois, messieurs, que vous commencez à comprendre qu’il n’est plus question de plaisanter.

– Pardaillan! C’est lui que nous devons combattre?… C’est lui que nous devons tuer?…

– C’est lui!… Pensez-vous encore que nous serons trop de quatre?

– Pardaillan!… Oh diable!… Nous lui devons la vie, après tout.

– Oui, mais tu oublies que nous avons acquitté notre dette…

– C’est vrai, au fait!

– Décidez-vous, messieurs. Êtes-vous à Fausta? Marchez-vous contre Pardaillan?

– Eh bien, mordieu! oui, nous sommes à Fausta! Oui, nous marchons contre Pardaillan!…

– Je retiens cet engagement, messieurs. Et maintenant, je bois à la princesse Fausta et à ses ordinaires. Je bois au triomphe de Fausta et au succès de ses ordinaires!

– À Fausta! aux ordinaires de Fausta! reprit le trio en cœur.

– Et maintenant, messieurs, en route!

– Où allons-nous, monsieur?

– En Espagne!

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