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– Et, ajouta Chalabre en démasquant son pistolet avec son plus joyeux sourire, soyez assuré, monsieur, qu’avec ceci, nous saurons défendre la bourse que vous nous aurez confiée.

– Et que nous nous ferons un devoir de vous la restituer… plus tard.

– Mordiable! tudiable! ventrediable! vociféra Montsery en fouettant l’air de sa rapière, faut-il faire tant de manières!

– Monsieur, reprit Sainte-Maline, veuillez excuser notre ami: il est jeune, il est vif, mais au demeurant c’est un bon garçon.

Comme s’il eût été terrifié, le voyageur laissa tomber quelques pièces d’or que les trois compagnons comptèrent, pour ainsi dire, au sol. Mais ils ne firent pas un geste pour les ramasser.

– Oh! monsieur, fit Sainte-Maline, vous me peinez. Cinq pistoles seulement!… Se peut-il qu’un gentilhomme d’aussi haute origine soit si peu fortuné?… Ou bien n’auriez-vous pas confiance en nous?

– Mordieu! dit Chalabre en armant son pistolet d’un air féroce, je suis très chatouilleux sur le point d’honneur, monsieur!

– Tripes et ventre! appuya Montsery en précipitant le moulinet de sa rapière et en démasquant sa dague, je ne permettrai pas…

De plus en plus effrayé, sans doute, le voyageur laissa tomber quelques nouvelles pièces qui, pas plus que les premières, ne furent ramassées.

– Là! là! messieurs, dit Sainte-Maline, calmez-vous. Ce gentilhomme n’a pas eu l’intention de vous offenser.

Et se tournant vers le voyageur:

– Mes compagnons ne sont pas aussi mauvais diables qu’ils en ont l’air. Ils se déclareront satisfaits pourvu que vous veuillez bien ajouter aux excuses que vous venez de laisser tomber, la bourse entière d’où vous les avez extraites… en y ajoutant ce porte-manteau qui doit être convenablement garni, si j’en juge par l’apparence.

Et, cette fois, Sainte-Maline appuya sa demande par une attitude menaçante.

Mais alors le voyageur, muet jusque-là, cria tout à coup:

– Assez, assez, monsieur de Sainte-Maline!

Et laissant tomber son manteau, il ajouta:

– Bonjour, monsieur de Chalabre. Serviteur, monsieur de Montsery.

– Bussi-Leclerc! crièrent les trois.

– Lui-même, messieurs! Enchanté de vous revoir en bonne santé.

Et avec une ironie féroce:

– Alors, depuis que ce pauvre Valois n’est plus, nous nous sommes faits détrousseurs de grand chemin?

– Fi! monsieur, dit doucement Sainte-Maline, fi!… Ne sommes-nous pas en guerre?… Vous êtes d’un parti, nous d’un autre; nous vous prenons, vous payez rançon, tout est dans l’ordre! Et n’est-ce pas ainsi que les choses se passent?

– Ce Leclerc n’a jamais su dire que des incongruités! dit dédaigneusement Chalabre.

– N’avons-nous pas un compte avec monsieur?… On pourrait le régler sur l’heure, dit Montsery en aiguisant sa dague à la lame de son épée.

– Là! là! ne vous fâchez pas, dit Bussi narquois.

Et rudement:

– Vous savez bien que Bussi est de force à vous embrocher tous les trois!… Causons plutôt d’affaires… C’est de l’argent que vous voulez? Eh bien, je puis vous faire gagner mille fois plus que les quelques centaines de pistoles que vous trouveriez dans ma bourse. Et encore, ma bourse, il faudra me l’enlever, et je vous préviens que je ne vous laisserai pas faire. Tandis que ce que je vous offre vous sera donné de bonne volonté.

Les trois hommes se regardèrent un moment, visiblement déconcertés, puis leurs regards se reportèrent sur Bussi-Leclerc qui, toujours souriant, les observait sans faire un geste.

Enfin Sainte-Maline rengaina et:

– Ma foi! monsieur, s’il en est ainsi, causons.

– Il sera toujours temps de revenir au présent entretien si nous ne nous entendons pas, ajouta Chalabre.

Bussi-Leclerc approuva de la tête, et:

– Messieurs, j’ajouterai cent pistoles à ce que je viens de vous donner si vous vous engagez à vous trouver demain à Orléans, à l’hôtellerie du Coq-Hardy, montés et équipés ainsi qu’il convient à des gentilshommes. Là je vous ferai connaître quel sera votre service et ce qu’on attend de vous. Mais, dès maintenant, je vous avertis qu’il y aura des coups à recevoir et à donner. Puis-je compter sur vous?

– Une question, monsieur, avant d’accepter ces cent pistoles; si le service que vous nous proposez ne nous convient pas?…

– Rassurez-vous, monsieur de Sainte-Maline, il vous conviendra.

– Mais enfin, monsieur?…

– En ce cas, vous serez libres de vous retirer, et ce que j’aurai donné vous restera acquis. Est-ce dit, messieurs?

– C’est dit, foi de gentilshommes.

– Bien, monsieur de Sainte-Maline. Voici les cent pistoles… Et ce n’est qu’une avance… Au revoir, messieurs; à demain, à Orléans, hôtellerie du Coq-Hardy.

–  Soyez tranquille, monsieur, on y sera.

– J’y compte, cria Bussi-Leclerc, qui déjà était parti.

Tant que Bussi-Leclerc fut visible, les trois anciens bravi d’Henri III restèrent immobiles, sans un mot, sans un geste.

Lorsque la silhouette de Bussi disparut à un tournant de la route, alors, alors seulement, Sainte-Maline se baissa et ramassa les pièces d’or restées à terre.

– Hé! fit-il en se redressant, ce Bussi-Leclerc gagne à être connu ailleurs qu’à la Bastille!… Trente-cinq pistoles qui, ajoutées aux cent que voici nous font à chacun quarante-cinq pistoles. Vive Dieu! nous voici riches à nouveau, messieurs!

– Tu vois bien, Montsery, que le temps des franches lippées revient!

– Oui! Mais qui m’eût dit qu’après avoir été les ennemis de Leclerc, après avoir été ses prisonniers, nous deviendrions compagnons d’armes!… Car nous allons faire campagne ensemble, si j’ai bien compris.

– Tout arrive, dit sentencieusement Sainte-Maline.

Le lendemain, à Orléans, trois cavaliers s’arrêtaient avec grand tapage dans la cour de l’hôtellerie du Coq-Hardy.

–  Holà! mordiable! tudiable! il n’y a donc personne dans cette hôtellerie de malheur! criait le plus jeune.

Déjà les laquais d’écurie accouraient. Déjà l’hôte apparaissait, criant:

– Voilà! voilà! messeigneurs!

Et aux trois valets qui s’emparaient des chevaux, par habitude, sans doute:

– Holà! Perrinet, Bastien, Guillaume, fainéants! bourreaux! sacs à vin!… Çà, vivement, les chevaux de ces seigneurs à l’écurie, et qu’on leur fasse bonne mesure d’avoine. Entrez, messeigneurs, entrez!

Les trois cavaliers avaient mis pied à terre. L’aîné dit:

– Surtout, maroufles, veillez à ce que ces braves bêtes soient bien traitées et bien pansées. J’irai moi-même m’assurer que tous les soins convenables leur ont été donnés.

– Soyez sans inquiétude, monseigneur…

Alors les trois cavaliers se regardèrent en souriant et se firent des révérences aussi raffinées que s’ils eussent été à la cour et non dans une cour d’auberge.

– Peste! monsieur de Sainte-Maline, quelle superbe mine vous avez sous ce pourpoint cerise!

– Mordiable! monsieur de Chalabre, les merveilleuses bottes, et comme elles font ressortir la finesse de votre jambe!

– Vivedieu! monsieur de Montsery, vous avez tout à fait grand air dans ce magnifique costume de velours gris souris. Vous êtes, par ma foi, un fort galant gentilhomme!

Et riant, parlant haut, se bousculant, les trois compagnons pénétrèrent dans la salle, à moitié pleine, précédés par l’hôte, le bonnet à la main, multipliant les courbettes, époussetant la table de chêne brillante de propreté, avançant des escabeaux, répétant:

– Par ici… par ici… Vos seigneuries seront admirablement ici!…

– Nos seigneuries ont faim et soif… soif surtout… L’étape de ce matin nous a mis l’enfer dans le gosier…

Déjà les servantes s’empressaient, et l’hôte criait:

– Madelon! Jeanneton! Margoton! holà! coquines, vite! Le couvert pour ces trois seigneurs qui meurent de faim… En attendant, je vais moi-même chercher à la cave une bouteille de certain vin de Vouvray, bien frais, dont vos seigneurs me donneront des nouvelles…’

– Tu entends, Montsery? Messeigneurs par-ci, Vos Seigneuries par là… Ah! il n’est plus question de nous faire payer d’avance!

– Mordiable! ça réchauffe le cœur de se voir traiter avec le respect auquel on a droit.

– C’est que maintenant les pistoles tintent dans nos bourses.

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