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Il passe les bras autour de moi et m’attire contre son torse. J’essaie de lui résister, mais il est plus fort que moi et il sent bon, et je n’ai pas envie de me disputer. J’ai envie qu’on soit dans le même camp.

— Je suis désolé, souffle-t-il encore dans mes cheveux.

— C’est bon, je réponds.

Je le laisse s’en tirer parce que, maintenant, c’est moi qui ai pris tout ça en main. J’ai parlé à l’inspectrice Riley hier soir et, dès le début de la conversation, j’ai su que j’avais pris la bonne décision. Quand je lui ai dit que j’avais vu Rachel sortir de chez Scott Hipwell « à plusieurs occasions » (une légère exagération), cela a semblé vivement l’intéresser. Elle voulait savoir la date et l’heure pour chaque fois (j’ai pu lui en fournir deux, et je suis restée vague au sujet des autres), et elle m’a demandé s’ils se connaissaient avant la disparition de Megan Hipwell et si je pensais qu’ils avaient entamé une relation d’ordre sexuel. Je dois dire que l’idée ne m’avait pas traversé l’esprit – je n’imagine pas qu’on puisse passer de Megan à Rachel. Et, de toute façon, sa femme vient à peine d’être enterrée.

J’ai aussi mentionné à nouveau les histoires avec Evie (la tentative d’enlèvement), au cas où elle aurait oublié.

— Elle est très instable, ai-je insisté. Vous devez vous dire que je dramatise, mais je ne veux faire courir aucun risque à ma famille.

— Pas du tout, m’a-t-elle rassurée. Merci beaucoup de m’avoir appelée. Si vous voyez autre chose qui vous paraît suspect, n’hésitez pas à m’en parler.

Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’ils vont faire. Ils vont peut-être simplement l’avertir qu’elle n’a plus à venir dans le coin ? Quoi qu’il en soit, ça nous sera utile si on se décide à se renseigner pour une ordonnance restrictive. Mais j’espère pour Tom que nous n’aurons pas à en arriver là.

Après le départ de Tom, j’emmène Evie au parc. On joue sur les balançoires et les chevaux de bois à bascule et, dès que je la réinstalle dans la poussette, elle s’endort. C’est mon signal pour partir faire les courses. Nous prenons les petites rues pour revenir vers le grand Sainsbury’s – ça nous fait faire un détour, mais c’est calme, il n’y a presque pas de voitures et, en plus, ça nous donne l’occasion de passer devant le trente-quatre, Cranham Road.

Encore aujourd’hui, ça me donne des frissons de croiser cette maison. J’ai soudain des papillons dans le ventre, un sourire s’étale sur mes lèvres et le rouge me monte aux joues. Je me souviens quand je me précipitais pour monter les marches du perron en espérant qu’aucun voisin ne me verrait entrer. J’allais ensuite me préparer dans la salle de bains, je mettais du parfum et des sous-vêtements, le genre de sous-vêtements qu’on enfile pour ne les garder que cinq minutes. Puis je recevais un texto, et il était à la porte, et nous avions une heure ou deux pour nous dans la chambre, à l’étage.

Il racontait à Rachel qu’il était avec un client ou qu’il buvait une bière avec des amis.

— Tu n’as pas peur qu’elle vienne vérifier ?

Il secouait la tête et balayait ma question d’un revers de main.

— Je sais mentir, m’a-t-il dit une fois avec un sourire espiègle.

Une autre fois, il m’a répondu :

— Même si elle vient vérifier, le truc, avec Rachel, c’est que demain elle ne se le rappellera déjà plus.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre à quel point ça n’allait pas.

Cependant, repenser à ces conversations finit par effacer mon sourire. Repenser à ces moments où Tom riait avec un air de conspirateur tout en caressant mon bas-ventre du bout des doigts, où il me souriait en me disant : « Je sais mentir. » C’est vrai qu’il sait mentir, il est très doué pour ça. Je l’ai vu en action : convaincre le personnel d’un hôtel que c’est notre lune de miel, par exemple, ou échapper à des heures supplémentaires au boulot en prétextant des problèmes familiaux. Tout le monde fait ce genre de chose, évidemment, mais, quand c’est Tom, on y croit.

Je songe au petit déjeuner de ce matin, mais justement, là, je l’ai pris sur le fait, et il l’a tout de suite admis. Je n’ai aucun souci à me faire. Il ne voit pas Rachel derrière mon dos ! C’est une idée ridicule. Elle était jolie, avant – j’ai vu des photos d’elle, de quand ils se sont rencontrés, et elle était vraiment belle, avec ses grands yeux noirs et ses courbes généreuses –, mais, maintenant, elle est juste grosse. De toute façon, il ne retournerait jamais avec elle, pas après tout ce qu’elle lui a fait, ce qu’elle nous a fait : le harcèlement, les coups de téléphone au milieu de la nuit, les fois où elle raccrochait immédiatement, les textos.

Je suis dans le rayon des conserves et, par chance, Evie dort encore dans sa poussette. Je me mets à repenser à ces coups de fil, à cette fois (ces fois, peut-être ?) où je me suis réveillée et que la lumière de la salle de bains était allumée. J’entendais la voix de Tom, douce et apaisante, derrière la porte fermée. Il la calmait, je le sais. Il m’a confié un jour que, parfois, elle était tellement furieuse qu’elle menaçait de venir à la maison, d’aller à son travail, de se jeter sous un train. Il sait mentir, très bien même, mais, moi, je sais quand il dit la vérité. Je ne m’y laisse pas prendre.

Soir

Sauf que, à y réfléchir, je m’y suis pourtant laissé prendre, non ? Quand il m’a dit qu’il avait eu Rachel au téléphone, qu’elle avait eu l’air bien, mieux, presque heureuse, je n’ai pas douté de lui un instant. Et quand il est rentré lundi soir, que je lui ai demandé comment s’était passée sa journée et qu’il a mentionné la réunion pénible qu’il avait eue le matin, je l’ai écouté, compatissante, et je n’ai pas soupçonné une seconde qu’il n’y avait jamais eu de réunion et que, pendant tout ce temps-là, il était en réalité à Ashbury, dans un café, avec son ex-femme.

C’est à ça que je pense tandis que je vide le lave-vaisselle avec beaucoup de précautions, parce que Evie fait la sieste et que le bruit des couverts sur les assiettes risquerait de la réveiller. Je m’y laisse prendre, moi aussi. Je sais qu’il n’est pas toujours honnête à cent pour cent avec moi. Je me rappelle cette histoire au sujet de ses parents – qu’il les a soi-disant invités au mariage, mais qu’ils ont refusé de venir parce qu’ils lui en voulaient encore trop d’avoir quitté Rachel. J’ai toujours trouvé ça étrange, parce que, les deux fois que j’ai eu sa mère au téléphone, elle avait l’air vraiment contente de me parler. Elle était gentille, elle s’intéressait à moi, à Evie.

— J’espère qu’on pourra la voir bientôt, m’a-t-elle dit un jour.

Mais, quand j’en ai parlé à Tom, il n’a rien voulu entendre.

— Elle te manipule pour que je les invite, pour mieux refuser ensuite. Elle veut me montrer qui détient le pouvoir.

De ce que j’en avais entendu, elle n’avait pas l’air de vouloir me manipuler, mais je n’ai pas insisté. C’est tellement difficile de comprendre comment fonctionne la famille des autres. Il doit avoir de bonnes raisons de les maintenir à distance, j’en suis sûre, et c’est forcément pour notre bien, à Evie et à moi.

Alors pourquoi suis-je soudain en train de me demander si c’est vrai ? C’est cette maison, cette situation, tout ce qui s’est passé ici, ça me fait douter de moi, de nous. Si je ne fais pas attention, ça va finir par me rendre folle, et je vais finir comme elle. Comme Rachel.

Je suis assise, j’attends que le sèche-linge ait fini de tourner pour sortir les draps. Je songe à allumer la télévision pour regarder s’il n’y aurait pas un épisode de Friends que je n’ai pas déjà vu trois cents fois. Je songe à faire mes étirements de yoga. Je songe à aller prendre le livre sur ma table de nuit, un roman dont j’ai lu douze pages au cours des deux dernières semaines. Je songe à l’ordinateur portable de Tom, sur la table basse du salon.

Et là, je fais ce que je n’aurais jamais pensé faire un jour. Je prends la bouteille de vin rouge qu’on a ouverte hier pour le dîner, et je m’en sers un verre. Puis j’attrape son ordinateur pour m’installer à la table de la cuisine, je l’allume et je commence à essayer de deviner le mot de passe.

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