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Tom est parti depuis deux heures, maintenant, il ne va pas tarder à rentrer d'où il est allé. Je refais le lit, je range le carnet et le téléphone dans le tiroir de ma table de chevet, je redescends, je me sers un dernier verre de vin que je bois rapidement. Je pourrais l’appeler, elle. La confronter à ses actes. Mais qu’est-ce que je pourrais dire ? Je ne suis pas vraiment en position de feindre l’indignation. Et je ne suis pas sûre que j’arriverais à supporter le plaisir qu’elle prendrait à m’avouer que, tout ce temps, c’était moi, le dindon de la farce. Ce qu’il a fait avec toi, il le refera avec une autre.

J’entends quelqu’un approcher sur le trottoir et je sais que c’est lui, je reconnais son pas. Je laisse mon verre de vin dans l’évier et je reste là, appuyée au comptoir de la cuisine, le sang tambourinant à mes tempes.

— Coucou, me dit-il en me voyant.

Penaud, il tangue très légèrement.

— Ils servent des bières, maintenant, à la salle de sport ?

Il sourit.

— J’ai oublié mes affaires. Je suis allé au pub.

C’est ce que je pensais. Ou c’est ce qu’il pensait que je penserais ?

Il s’approche un peu plus.

— Qu’est-ce que tu fabriquais ? susurre-t-il, guilleret. Tu as un air coupable.

Il passe les bras autour de ma taille et m’attire contre lui. Son haleine sent la bière.

— Tu faisais des bêtises ?

— Tom…

— Chut, souffle-t-il.

Il m’embrasse sur la bouche, commence à déboutonner mon jean. Il me retourne. Je n’ai pas envie, mais je ne sais pas comment lui dire non, alors je ferme les yeux et je m’efforce de ne pas penser à lui avec elle, j’essaie de repenser à ces premières fois, quand on se précipitait dans la maison vide de Cranham Road, essoufflés, prêts à tout, affamés l’un de l’autre.

Dimanche 18 août 2013

Tôt le matin

Je me réveille en sursaut ; il fait encore sombre. J’ai l’impression d’entendre Evie pleurer, mais, quand je vais la voir, elle dort profondément en serrant bien fort sa couverture dans ses poings fermés. Je me recouche, mais je n’arrive pas à me rendormir. Je n’arrête pas de penser au téléphone dans ma table de nuit. Je jette un coup d’œil à Tom : il est allongé sur le dos, le bras gauche sorti des draps, la tête en arrière. Au rythme de sa respiration, je devine qu’il n’est pas près de se réveiller. Je me glisse hors du lit, j'ouvre le tiroir et je prends le téléphone.

En bas, dans la cuisine, je le tourne et le retourne dans ma main, comme pour me préparer. J’ai envie de savoir, et je n’ai pas envie. J’ai envie d’en être sûre, mais j’ai tellement envie d’avoir tort. Je l’allume. J’appuie longuement sur la touche « un » jusqu’à ce que se déclenche la voix enregistrée du serveur vocal. J’entends que je n’ai pas de nouveaux messages ni de messages sauvegardés. Est-ce que je veux modifier mon annonce d’accueil ? Je raccroche, mais je suis soudain saisie d’une peur irrationnelle que le téléphone se mette à sonner et que Tom l’entende depuis le premier étage, alors j’ouvre la porte coulissante et je sors dans le jardin.

Sous mes pieds, l’herbe est humide, et je respire l’air frais empli du parfum de la pluie et des roses. Le grondement sourd d’un train résonne au loin, mais il ne sera pas au niveau de la maison avant un bout de temps encore. Je marche presque jusqu’au grillage avant de rappeler la boîte vocale : est-ce que je veux modifier mon annonce d’accueil ? Oui. Un bip, un silence, puis sa voix. Sa voix à elle, pas à lui. « Salut, c’est moi, laissez-moi un message. »

Mon cœur s’est arrêté de battre.

Ce n’est pas son téléphone à lui, c’est le sien, à elle.

Je réécoute l’annonce.

« Salut, c’est moi, laissez-moi un message. »

C’est sa voix.

Je n’arrive ni à remuer, ni à respirer. Je réécoute, encore et encore. La gorge serrée, je suis au bord de l’évanouissement, puis je vois la lumière s’allumer à l’étage.

RACHEL

Dimanche 18 août 2013

Tôt le matin

Chaque bribe de souvenir me menait au suivant. J’avais erré dans le noir des jours, des semaines, des mois, et je venais seulement de heurter quelque chose. C’était comme si je m’étais collée à un mur que je suivais du bout des doigts pour avancer de pièce en pièce. Les ombres qui se mouvaient dans ma tête ont enfin commencé à fusionner et, une fois mes yeux habitués à l’obscurité, j’ai réussi à voir.

Pas au tout début. Au tout début, même si cela avait l’air d’un souvenir, j’ai cru que c’était un rêve. Assise sur le canapé, je suis restée presque paralysée par le choc, à me répéter que ce n’était pas la première fois que mes souvenirs me jouaient des tours, que ce n’était pas la première fois que je pensais qu’une scène s’était déroulée d’une certaine manière, alors qu’en réalité les choses s’étaient passées différemment.

Comme la fois où nous étions allés à une fête organisée par un collègue de Tom et que, même si j’étais très saoule, nous avions passé une bonne soirée. Je me souviens d'avoir fait la bise à Clara en partant. C’était l’épouse du collègue en question, une femme adorable, chaleureuse et accueillante. Je me souviens qu’elle m’a dit que nous devions nous revoir ; je me souviens qu’elle a tenu ma main dans la sienne.

Je me le rappelais très clairement, et pourtant ce n’était pas vrai. J’ai su que ce n’était pas vrai dès le lendemain matin, quand Tom m’a tourné le dos alors que j’essayais de lui adresser la parole. Je sais que ce n’est pas vrai parce qu’il m’a dit combien il était déçu et combien il avait honte de mon comportement, parce que j’avais accusé Clara de flirter avec lui et que j’avais agi de façon hystérique et agressive.

Quand je fermais les yeux, j’arrivais à sentir sa main tiède contre ma peau, mais ça n’était pas arrivé, en réalité. En réalité, Tom avait dû presque me porter hors de la maison tandis que je criais et hurlais tout le long du chemin, et que la pauvre Clara restait terrée dans la cuisine.

Alors quand j’ai fermé les yeux, quand j’ai sombré dans ce semi-rêve et que je me suis retrouvée dans le passage, oui, j’arrivais bien à sentir le froid et à retrouver l’odeur rance du souterrain, j’arrivais à percevoir une silhouette qui venait vers moi, vibrant de rage, le poing levé, mais ce n’était pas vrai. La terreur que je ressentais n’était pas réelle. Et quand l’ombre m’a frappée et m’a abandonnée là, au sol, en pleurs et en sang, ce n’était pas réel non plus.

Sauf que si, ça l’était. C’est si troublant que je peine à y croire, mais, alors que je regarde le soleil se lever, j’ai l’impression de voir un brouillard se dissiper. Il m’a menti. Ce n’était pas mon imagination, quand je l’ai vu me frapper. Je m’en souviens. Tout comme je me souviens d'avoir dit au revoir à Clara après la fête, avec sa main tenant la mienne. Tout comme je me souviens de ma peur, assise par terre à côté de ce club de golf – et je sais maintenant, je suis certaine que ce n’est pas moi qui l’ai brandi.

Je ne sais pas quoi faire. Je cours à l’étage, j’enfile un jean et des baskets, et je redescends au rez-de-chaussée. Je compose leur numéro, le téléphone fixe, je laisse sonner deux fois, puis je raccroche. Je ne sais pas quoi faire. Je me prépare un café que je laisse refroidir, je compose le numéro de l’inspectrice Riley, et je raccroche immédiatement. Elle ne me croira pas. Je le sais.

Je sors et marche jusqu’à la gare. Nous sommes dimanche, le premier train ne passera pas avant une bonne demi-heure, alors il ne me reste rien d’autre à faire que m’asseoir là, sur un banc, à osciller sans relâche entre l’incrédulité et le désespoir.

Tout n’est que mensonge. Ce n’était pas mon imagination, quand je l’ai vu me frapper. Ni quand je l’ai vu s’éloigner de moi rapidement, les poings serrés. Je l’ai vu se retourner, crier. Je l’ai vu redescendre la rue avec une femme, je l’ai vu monter en voiture avec elle. Ce n’était pas mon imagination. C’est alors que je comprends que c’est très simple, en réalité, tellement simple. Je me souviens, oui, mais j’ai mélangé deux souvenirs. J’ai introduit l’image d’Anna, qui s’éloignait de moi dans sa robe bleue, dans un autre scénario : Tom et une femme qui montent dans une voiture. Parce que, bien sûr, cette femme n’était pas vêtue d’une robe bleue, elle portait un jean et un T-shirt rouge. C’était Megan.

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