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A

Un sourire mauvais apparaît sur ses lèvres.

— Bon Dieu, tu étais dans un état… Tu avais une tête de déterrée, tu puais la vinasse… Tu as essayé de m’embrasser, tu t’en souviens ?

Il fait mine d’avoir un haut-le-cœur puis se met à rire. Anna rit, elle aussi, et je n’arrive pas à savoir si c’est parce qu’elle trouve ça drôle ou parce qu’elle cherche à l’apaiser.

— Il fallait que je parvienne à te faire comprendre que je ne voulais plus que tu t’approches de moi. De nous. Alors je t’ai emmenée au bout de la rue, dans le passage souterrain, pour éviter que tu ne me fasses un scandale en public. Et je t’ai dit de nous foutre la paix. Tu pleurais, tu geignais, alors je t’ai mis une gifle pour que tu la fermes, mais tu t’es contentée de pleurer et de geindre encore plus.

Il serre la mâchoire en parlant, je vois les muscles se contracter sur son visage.

— J’étais hors de moi, je voulais juste que vous partiez et que vous nous foutiez la paix, Megan et toi. J’ai une famille. J’ai une belle vie.

Il jette un coup d’œil à Anna, impassible, qui essaie de faire asseoir la petite fille dans la chaise haute.

— Je me suis construit une belle vie, malgré toi, malgré Megan, malgré tout.

« C’est après ça que Megan est arrivée. Elle se dirigeait vers Blenheim Road. Je ne pouvais pas la laisser aller à la maison. Je ne pouvais pas la laisser parler à Anna, quand même ! Je lui ai proposé d’aller discuter quelque part, et c’était tout ce que je comptais faire, je vous assure. Alors on a pris la voiture et on est allés à Corly, dans les bois. C’était là qu’on allait parfois, avant, si on ne trouvait pas de chambre. On faisait ça dans la voiture.

Depuis mon fauteuil, je vois Anna tressaillir.

— Il faut me croire, Anna, je n’ai jamais prévu que les choses se passeraient comme ça.

Tom la regarde puis se penche en avant et examine la paume de ses mains.

— Elle a commencé à me parler du bébé, elle ne savait pas s’il était de moi ou de Scott. Elle voulait tout révéler, et elle disait que, s’il était de moi, elle accepterait que je le voie… Et moi, je lui disais : « J’en ai rien à faire de ton bébé, ça n’a rien à voir avec moi. »

Il secoue la tête.

— Elle s’est mise en colère, mais, quand Megan est en colère… ce n’est pas Rachel. Elle ne va pas pleurer ni geindre. Elle m’a hurlé dessus, elle m’a insulté, elle disait des saloperies, qu’elle irait voir Anna directement, qu’elle ne se laisserait pas ignorer, qu’elle n’accepterait pas que son enfant soit abandonné… Et, putain, elle ne voulait pas fermer sa gueule. Alors… Je ne sais pas, je voulais juste qu’elle arrête. Alors j’ai ramassé une pierre…

Il observe sa main droite comme s’il y voyait la pierre en ce moment même.

— Et j’ai…

Il ferme les yeux et pousse un long soupir.

— Je ne lui ai donné qu’un coup, mais ça a suffi à…

Il gonfle les joues et expire lentement.

— Je n’ai pas voulu ça. Je voulais juste qu’elle se taise. Elle saignait beaucoup. Elle pleurait, elle faisait un bruit affreux. Elle a essayé de ramper, de s’éloigner de moi. Il n’y avait rien à faire. J’étais obligé d’en finir.

Le soleil a disparu, la pièce est plongée dans l’obscurité. Le silence règne, à l’exception de la respiration de Tom, pénible et saccadée. Aucun son ne nous parvient depuis la rue. Je ne me souviens plus de la dernière fois que j’ai entendu un train passer.

— Je l’ai mise dans le coffre de la voiture, reprend-il. Je me suis enfoncé dans les bois, je suis sorti de la route. Il n’y avait personne. J’ai dû creuser…

Sa respiration s'accélère et se fait encore plus irrégulière.

— J’ai dû creuser à mains nues. J’avais peur.

Il me regarde, les pupilles dilatées.

— Peur que quelqu’un n’arrive. Et ça faisait mal, j’avais les ongles qui accrochaient dans la terre. Ça m’a pris longtemps. J’ai dû m’interrompre pour appeler Anna et lui dire que j’étais en train de te chercher.

Il s’éclaircit la gorge.

— Le sol était assez meuble, mais je n’ai quand même pas réussi à creuser aussi profond que je le voulais. J’avais tellement peur que quelqu’un n’arrive… Je me suis dit que j’aurais toujours l’opportunité de revenir un peu plus tard, une fois le calme retrouvé. J’ai cru que je pourrais la déplacer à ce moment-là, la mettre… autre part. À un meilleur endroit. Mais, à cause de la pluie, je n’ai pas pu.

Il me dévisage, sourcils froncés.

— J’étais quasiment certain que la police s’en prendrait à Scott. Elle m’avait raconté combien il était parano à l’idée qu’elle le trompe, qu’il lisait ses e-mails, qu’il la surveillait. Je pensais… J’avais prévu de cacher le téléphone chez eux à un moment. Je ne sais pas. Je pensais que je pourrais passer prendre une bière, ce genre de chose, un truc que pourrait faire un voisin sympa. Je ne sais pas. Je n’avais pas de plan. Je n’avais pas réfléchi à tous les tenants et aboutissants. Ce n’était pas un truc prémédité. C’était juste un horrible accident.

Puis son attitude change à nouveau. On dirait des nuages qui traversent le ciel, un coup sombres, un coup clairs. Il se lève et marche lentement jusqu’à la cuisine, où Anna est désormais assise à table pour nourrir Evie. Il l’embrasse sur le haut du crâne puis sort sa fille de la chaise haute.

— Tom, proteste Anna.

— Ce n’est rien.

Il lui sourit.

— J’ai juste envie d’un câlin. Pas vrai, ma chérie ?

Il va ouvrir le frigo, sa fille posée sur un bras, et en sort une bière. Il me jette un regard.

— Tu en veux une ?

Je secoue la tête.

— Non, vaut mieux pas, j’imagine, commente-t-il.

Je l’entends à peine. Je suis occupée à calculer si j’ai le temps de courir d’ici à la porte de la maison avant qu’il puisse me rattraper. S’il n’a que mis le loquet, je crois que je pourrai sortir. S’il l’a verrouillée, ça risque de très mal se passer pour moi. Je me jette en avant et fonce. J’atteins l’entrée, j’ai presque la main sur la poignée de la porte quand je sens la bouteille entrer en collision avec l’arrière de mon crâne. Une explosion de douleur m’aveugle et je m’effondre à genoux. Il prend une poignée de cheveux dans laquelle il enroule ses doigts, puis il tire et me traîne jusqu’au salon avant de me lâcher. Il se tient au-dessus de moi, un pied de chaque côté de mes hanches. Il a encore sa fille dans les bras, mais Anna est collée à lui et tente de la lui retirer.

— Donne-la-moi, Tom, s’il te plaît. Tu vas lui faire mal. S’il te plaît, donne-la-moi.

Il rend à Anna une Evie en pleurs.

J’entends Tom parler, mais il me semble très, très loin, c’est comme si j’avais la tête sous l’eau. J’arrive à distinguer ses mots, mais ils ne s’appliquent pas à moi, à ce qui m’arrive. Tout ce qui m’arrive me paraît détaché de moi.

— Va au premier, dit-il. Va dans la chambre et ferme la porte. Et ne téléphone à personne, d’accord ? Je ne plaisante pas, Anna. Ce ne serait pas très malin d’appeler quelqu’un. Pas alors qu’Evie est là. Je ne voudrais pas qu’il vous arrive malheur.

Anna ne me regarde pas. Elle serre l’enfant contre sa poitrine, m’enjambe et part précipitamment.

Tom se penche, passe les mains dans la ceinture de mon jean pour me soulever et me tirer sur le sol de la cuisine. Je me débats, je donne des coups de pied, j’essaie de m’accrocher à quelque chose, mais en vain. Je n’arrive pas à voir correctement, j’ai des larmes qui me piquent les yeux et tout est flou. Les élancements dans ma tête sont insoutenables chaque fois que je cogne par terre, et je sens la nausée monter. Un objet s’écrase contre mon crâne et une terrible douleur survient. Puis plus rien.

ANNA

Dimanche 18 août 2013

Soir

Elle est étendue sur le sol de la cuisine. Elle saigne, mais je ne pense pas que ce soit grave. Il n’a pas encore fini. Je ne suis pas sûre de ce qu’il attend. J’imagine que ça ne doit pas être facile pour lui. Après tout il l’aimait, autrefois.

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