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A
A

Il a secoué la tête presque imperceptiblement.

— Je croyais que vous n’étiez pas là pour émettre un jugement, ai-je ajouté.

À la fin de la séance, je lui ai proposé de prendre un verre avec moi. Il a dit non, qu’il ne pouvait pas, que ce serait déplacé. Alors je l’ai suivi jusque chez lui. Il habite dans un appartement juste au bout de la rue de son cabinet. J’ai frappé et, quand il a ouvert, j’ai demandé :

— Et ça, c’est déplacé ?

J’ai glissé une main derrière sa nuque, je me suis mise sur la pointe des pieds et je l’ai embrassé sur la bouche.

— Megan, a-t-il murmuré, sa voix comme du velours. Non. Je ne peux pas. Non.

C’était un délice, cette guerre de l’attirance et de la morale, du désir et de la retenue. Je ne voulais pas perdre ce sentiment, j’aurais tant voulu pouvoir m’y accrocher.

Je me suis réveillée très tôt ce matin, avec la tête qui tournait, pleine d’histoires. Je ne pouvais pas rester allongée là avec mon esprit agité par toutes ces opportunités que je pouvais saisir ou abandonner, alors je me suis levée, je me suis habillée, et je suis partie marcher. J’ai fini par arriver ici. Tout en marchant, je me suis rejoué la scène dans ma tête – ce qu’il a dit, ce que j’ai dit, la tentation, la libération. Si seulement je parvenais à me décider sur quelque chose, à choisir de me fixer, sans fuir. Et si ce que je cherchais était introuvable ? Si c’était tout bonnement impossible ?

L’air est glacé dans mes poumons, le bout de mes doigts commence à bleuir. Une partie de moi voudrait s'étendre là, parmi les feuilles mortes, et laisser le froid m’emporter. Mais je ne peux pas. Il est temps de repartir.

Il est presque neuf heures quand je retrouve Blenheim Road et, alors que je tourne au coin de la rue, je la vois qui avance dans ma direction, la poussette devant elle. Pour une fois, l’enfant ne fait aucun bruit. Elle me regarde et me fait un signe de tête avec un pauvre sourire, mais je ne le lui rends pas. En temps normal, je simulerais la politesse, mais ce matin je me sens authentique, je me sens moi-même. Je suis exaltée, comme si j’étais défoncée, et, même si j’en avais envie, je serais incapable de feindre la gentillesse.

Après-midi

Je me suis endormie cet après-midi. Je me suis réveillée enfiévrée, en panique. Coupable. Je me sens coupable, vraiment. Mais pas assez.

Je me suis rappelée quand il est parti au milieu de la nuit, en me disant encore que c’était la dernière fois, la toute dernière, qu’on ne pouvait pas recommencer. Il était en train de s’habiller, il enfilait son jean. Allongée sur le lit, j’ai ri, parce que c’était déjà ce qu’il avait dit la dernière fois, et la fois d’avant, et la fois d’avant encore. Il m’a jeté un regard. Je ne sais pas comment le décrire, ce n’était pas de la colère, pas exactement, ni du mépris, non… C’était un avertissement.

Je me sens mal. J’erre dans la maison, incapable de me poser quelque part, j’ai l’impression que quelqu’un est venu pendant mon sommeil. Tout est à sa place, mais la maison semble différente, comme si on avait touché aux objets, qu’on les avait imperceptiblement déplacés, et, tandis que je marche, j’ai la sensation qu’il y a quelqu’un avec moi, qui ne cesse d’échapper à mon champ de vision. Je vérifie trois fois les portes-fenêtres qui donnent sur le jardin, mais elles sont bien verrouillées. J’ai hâte que Scott rentre. J’ai besoin de lui.

RACHEL

Mardi 16 juillet 2013

Matin

Je suis dans le train de 8 h 04, mais ce n’est pas à Londres que je vais. C’est à Witney. J’espère qu’être là-bas suffira à me rafraîchir la mémoire, qu’en arrivant dans la gare je verrai tout plus clairement, que je saurai. Je n’y crois pas trop, mais je ne peux rien faire d’autre. Je ne peux pas appeler Tom, j’ai trop honte, et puis, de toute façon, il a été très clair : il ne veut plus avoir affaire à moi.

Megan est toujours portée disparue : cela fait plus de soixante heures, maintenant, et les journaux nationaux commencent à relayer l’information. Ce matin, les sites de la BBC et du Daily Mail en parlaient, et d’autres journaux l’ont mentionnée en quelques lignes.

J’ai imprimé les articles de la BBC et du Daily Mail, et je les ai emportés avec moi. Voici ce que j’en ai tiré.

Megan et Scott se sont disputés samedi soir. Un voisin a raconté avoir entendu des éclats de voix. Scott a admis qu’ils avaient eu une querelle et qu’il pensait que Megan était partie passer la nuit chez une amie habitant à Corly, Tara Epstein.

Megan n’est jamais arrivée chez Tara. Tara dit que la dernière fois qu’elle l’avait vue, c’était vendredi après-midi, à leur cours de Pilates (j’étais sûre que Megan faisait du Pilates). D’après Mme Epstein : « Elle avait l’air bien, normale. Elle était de bonne humeur, elle parlait d’organiser quelque chose pour ses trente ans, dans un mois. »

Megan a été aperçue par un témoin samedi soir, vers dix-neuf heures quinze, alors qu’elle se dirigeait vers la gare de Witney.

Megan n’a pas de famille dans la région. Ses parents sont décédés.

Megan est sans emploi. Elle gérait une petite galerie d’art à Witney, mais elle a dû fermer l’an dernier, en avril (je savais que Megan avait la fibre artistique).

Scott est expert-conseil en informatique (je n’arrive pas à croire que Scott travaille dans l’informatique). Il travaille en free-lance.

Megan et Scott sont mariés depuis trois ans ; ils vivent dans leur maison de Blenheim Road depuis janvier 2012.

D’après le Daily Mail, leur maison est estimée à quatre cent mille livres sterling.

En lisant, je comprends vite que tout ça ne sent pas bon pour Scott. Et pas uniquement à cause de la dispute : quand quelque chose arrive à une femme, la police s'intéresse d’abord au mari ou à l’amant. Sauf que, ici, la police ne possède pas toutes les informations. Ils ne s'intéressent qu'au mari, et ça doit être parce qu’ils ignorent l’existence de l’amant.

Je suis peut-être la seule personne à savoir qu’il y a un amant.

Je fouille dans mon sac à la recherche d’un bout de papier. Au dos d’un ticket de caisse pour l’achat de deux bouteilles de vin, je rédige une liste des explications les plus plausibles concernant la disparition de Megan Hipwell :

1. Elle s’est enfuie avec son amant, que j’appellerai A.

2. A lui a fait du mal.

3. Scott lui a fait du mal.

4. Elle a simplement quitté son mari, et elle est partie s’installer ailleurs.

5. Quelqu’un d’autre que A ou Scott lui a fait du mal.

La première possibilité me paraît la plus crédible, et la quatrième est une candidate sérieuse aussi, parce que Megan est une femme indépendante et déterminée, j’en suis certaine. Et si elle avait une liaison, elle aurait pu avoir besoin de prendre ses distances pour s’éclaircir les idées, non ? La cinqième me paraît plus discutable, parce que les meurtres commis par un inconnu sont plutôt rares.

La bosse sur mon crâne me lance et je n’arrête pas de penser à la dispute que j’ai vue, ou imaginée, ou rêvée samedi soir. Quand nous passons devant la maison de Scott et Megan, je lève la tête. J’entends le sang battre contre mes tempes. Je suis excitée. Effrayée. Les fenêtres du numéro quinze reflètent la lumière du soleil, tels des yeux aveugles.

Soir

Je viens de m’asseoir sur mon siège quand mon téléphone sonne. C’est Cathy. Je ne réponds pas et elle me laisse un message.

— Salut, Rachel, je voulais m’assurer que tout allait bien.

Elle s’inquiète pour moi depuis cette histoire avec le taxi.

— C’était juste pour te dire que je suis désolée, tu sais, pour l’autre jour, quand je t’ai dit qu’il fallait que tu déménages. Je n’aurais pas dû. Je me suis laissé emporter. Tu peux rester aussi longtemps que tu le voudras.

Un long silence, puis elle ajoute :

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