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— Pardon ?

— Ma mère a passé l’après-midi ici. Et, apparemment, elle l’a toujours su : « Il y avait un truc pas clair, quelque chose de bizarre avec cette fille sans famille et sans amis, qui sortait de nulle part… » C’est à se demander pourquoi elle ne m’en avait jamais parlé avant.

Un bris de verre, un juron.

— Est-ce que ça va ? ai-je encore dit.

— Vous pouvez venir ici ?

— Chez vous ?

— Oui.

— Je… Avec la police, les journalistes… je ne suis pas sûre que…

— S’il vous plaît. J’ai juste besoin d’un peu de compagnie. Quelqu’un qui connaissait Megs, qui l’aimait. Quelqu’un qui ne croit pas à tout ça…

Il était ivre, je le savais, et j’ai quand même accepté.

Maintenant, assise dans le train, je bois, moi aussi, et je repense à ses dernières phrases : « Quelqu’un qui connaissait Megs, qui l’aimait. » Je ne la connaissais pas, et je ne suis plus sûre de l’aimer. Je finis ma canette aussi vite que possible et j’en ouvre une deuxième.

Je descends à Witney. Me voilà dans l’essaim du vendredi soir, une esclave salariée comme une autre dans ce troupeau épuisé, qui n’aurait qu’une hâte, rentrer chez elle pour s’asseoir dans le jardin avec une bière, dîner avec les enfants puis aller se coucher tôt. C’est peut-être à cause du gin, mais c’est fou comme c’est agréable de se laisser entraîner par la foule, au milieu de ces gens, les yeux rivés sur leur téléphone, cherchant leur carte de transport dans leurs poches. Cela me ramène dans un passé lointain, le premier été après notre installation dans Blenheim Road, quand je rentrais précipitamment du travail chaque soir, impatiente de dévaler l’escalier et de sortir de la gare, courant presque dans la rue. Tom travaillait à domicile, et j’avais à peine passé la porte qu’il m’arrachait mes vêtements. Encore aujourd’hui, le souvenir de cette anticipation me donne le sourire : le rouge qui me montait aux joues tandis que je descendais gaiement la rue en me mordillant la lèvre pour contenir ma joie, ma respiration qui s’accélérait rien qu’en pensant à lui, consciente que lui aussi comptait chaque minute qui le séparait de mon retour.

J’ai la tête qui déborde d’images de ces moments et j’en oublie de m’inquiéter de Tom et d’Anna, de la police et des photographes, et, sans même m’en être aperçue, je suis devant chez Scott et je sonne, et la porte s’ouvre, et je suis excitée, et je ne devrais pas mais je ne m’en sens pas coupable, parce que Megan n’est pas celle que je croyais, en fin de compte. Ce n’était pas une belle fille insouciante sur son balcon. Ce n’était pas une épouse aimante. Ce n’était même pas une bonne personne. C’était une menteuse, une femme infidèle.

Une meurtrière.

MEGAN

Jeudi 20 juin 2013

Soir

Je suis assise sur le canapé dans son salon, un verre de vin à la main. L’appartement n’est pas plus rangé que la dernière fois. Je me demande si c’est ainsi qu’il vit en permanence, comme un adolescent. Puis je me rappelle qu’il a perdu sa famille quand il était adolescent, alors peut-être que oui. Je suis triste pour lui. Il sort de la cuisine et s’installe à côté de moi, tout proche. Si je le pouvais, je viendrais tous les jours ici, juste une heure ou deux. Je m’assoirais là pour boire du vin, et sentir sa main effleurer la mienne.

Mais je ne peux pas. Je suis là pour une bonne raison, et il veut que je m’y attelle.

— Bien, Megan. Est-ce que tu te sens prête, à présent ? À finir ce que tu me racontais la dernière fois ?

Je m’appuie un peu contre lui, contre son corps chaud. Il me laisse faire. Je ferme les yeux et, rapidement, me revoilà là-bas, dans la salle de bains. C’est bizarre, j’ai passé tellement de temps à essayer de ne pas y penser, à ne pas penser à ces quelques jours, ces nuits, et maintenant il me suffit de fermer les yeux pour m’y retrouver presque instantanément, c’est comme s’endormir et arriver aussitôt en plein milieu d’un rêve.

Il faisait sombre et très froid. Je n’étais plus dans le bain.

— Je ne sais plus exactement ce qui s’est passé. Je me souviens de m’être réveillée, je me rappelle avoir été consciente que quelque chose n’allait pas, puis plus rien jusqu’au moment où Mac est rentré. Il m’a appelée. Je l’entendais crier mon nom depuis le rez-de-chaussée, mais j’étais incapable de bouger. J’étais assise sur le sol de la salle de bains et elle était dans mes bras. La pluie mitraillait la maison, les poutres du toit n’arrêtaient pas de craquer. J’avais tellement froid. Mac a monté l’escalier tout en continuant à m’appeler. Il est arrivé sur le pas de la porte et a allumé la lumière.

Et je la sens encore, la lumière qui me brûle la rétine, cette désolation, ce blanc terrifiant.

— Je me souviens que je lui ai hurlé d’éteindre la lumière. Je refusais de regarder, je ne voulais pas la voir comme ça. Je ne sais pas… je ne sais plus ce qui s’est passé, après. Il m’a crié dessus, il hurlait des choses. Je la lui ai donnée et je suis partie en courant. J’ai couru dehors, sous la pluie, jusqu’à la plage. Je ne me souviens plus de ce que j'ai fait après. Au bout d’un long moment, il est venu me chercher. Il pleuvait encore. J’étais dans les dunes, je crois. J’ai voulu aller dans l’eau, mais j’avais trop peur. Et puis, à la fin, il est venu me chercher. Il m’a ramenée à la maison.

« On l’a enterrée le lendemain matin. Je l’ai enveloppée dans un drap et Mac a creusé la tombe. On l’a ensevelie au fond de la propriété, près de l’ancienne voie ferrée. On a posé des pierres dessus pour marquer l’endroit. On n’en a pas parlé, on n’a parlé de rien, on ne s’est pas regardés. Ce soir-là, Mac est sorti. Il a dit qu’il devait retrouver quelqu’un. J’ai cru que, peut-être, il voulait aller voir la police. Je ne savais pas quoi faire. Alors j’ai attendu qu’il rentre. Que n’importe qui rentre. Mais il n’est pas revenu. Il n’est plus jamais revenu.

Confortablement assise dans le salon de Kamal, la chaleur de son corps contre le mien, je frissonne.

— J’arrive encore à la sentir, lui dis-je. Le soir, j’arrive encore à la sentir. C’est ça qui me terrorise, c’est ça qui me tient éveillée : la sensation d’être seule dans cette maison. J’avais tellement peur – trop peur pour m’endormir. Alors j’allais errer dans toutes ces pièces plongées dans l’obscurité et je l’entendais pleurer, je sentais l’odeur de sa peau. Je voyais des choses. Je me réveillais au milieu de la nuit et j’étais certaine qu’il y avait quelqu’un – quelque chose – avec moi dans la maison. J’ai cru devenir folle. J’ai cru que j’allais mourir. Je me suis dit que je pouvais peut-être rester là, et que, un jour, on me retrouverait. Et au moins, comme ça, je ne l’aurais pas quittée.

Je renifle et me penche pour tirer un mouchoir de la boîte sur la table basse. Kamal fait courir une main le long de ma colonne vertébrale jusqu’au bas de mon dos, où il la laisse.

— Mais, au final, je n’ai pas eu le courage de rester. J’ai dû attendre environ dix jours, je crois, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à manger – même plus une conserve de haricots, rien. J’ai pris mes affaires et je suis partie.

— Est-ce que tu as revu Mac ?

— Non, jamais. La dernière fois que je l’ai vu, c’était ce soir-là. Il ne m’a pas embrassée, il ne m’a même pas vraiment dit au revoir. Il a juste dit qu’il devait sortir un moment.

Je hausse les épaules.

— Et c’est tout.

— Tu as essayé de le contacter ?

Je secoue la tête.

— Non. J’avais trop peur. Je ne savais pas ce qu’il ferait si je décidais de le contacter. Et je ne savais pas où il se trouvait, il n’avait même pas de téléphone portable. J’ai cessé de fréquenter les gens qui le connaissaient. Ses amis étaient tous du genre nomade. Des hippies, des voyageurs. Il y a quelques mois, après qu’on a parlé de lui, je l’ai cherché sur Google. Mais je ne l’ai pas trouvé. C’est étrange…

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