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Ça me frappe comme un tsunami, et le sang me monte au visage. Je me souviens du moment où j’ai accepté cette idée. Où j’ai formulé cette pensée sans la repousser, où je l’ai accueillie à bras ouverts. J’en avais envie. J’avais envie d’être avec Jason. De ressentir ce que Jess ressentait quand elle était assise là avec lui le soir, avec un verre de vin. J’ai oublié ce que j’étais censée ressentir. J’ai ignoré le fait que, au mieux, Jess n’est rien de plus que le fruit de mon imagination et que, au pire, Jess n’est pas rien, elle est Megan, une femme disparue, battue à mort, qu’on a laissée pourrir dans les bois. Pire : je n’ai pas oublié. Ça m’était égal. Ça m’était égal parce que j’avais commencé à croire ce qu’on disait sur elle. Est-ce que, moi aussi, ne serait-ce qu’un instant, j’ai pensé qu’elle méritait ce qui lui était arrivé ?

Scott ressort de la salle de bains. Il a pris une douche, il s’est débarrassé de mon souvenir. Ça semble lui avoir fait du bien, mais il ne me regarde pas dans les yeux quand il me propose un café. Ce n’est pas ce que je voulais, ça ne va pas du tout. Je ne veux pas faire ça. Je ne veux pas perdre à nouveau le contrôle.

Je me rhabille rapidement et vais à la salle de bains pour me passer de l’eau froide sur le visage. Mon mascara a coulé, il fait des paquets aux coins de mes yeux, et j’ai les lèvres sombres. Mordues. J’ai des taches rouges sur le visage et le cou, là où les poils de son menton m’ont irrité la peau. Une image de la nuit dernière me revient soudain, ses mains sur moi, et mon estomac bondit. Je m’assois au bord de la baignoire pour faire passer mon vertige. La salle de bains est plus sale que le reste de la maison : il y a de la crasse autour du lavabo et du dentifrice étalé sur le miroir. Une tasse, avec une brosse à dents. Pas de parfum, pas de crème hydratante, pas de maquillage. Je me demande si elle a tout emporté en partant ou si c’est lui qui a tout jeté.

De retour dans la chambre, je cherche une preuve de sa présence – une robe accrochée derrière la porte, une brosse à cheveux sur la commode, un pot de baume à lèvres, une paire de boucles d’oreilles – mais non, rien. Je traverse la pièce vers l’armoire et je m’apprête à l’ouvrir, la main sur la poignée, quand la voix de Scott me fait sursauter :

— Le café est prêt !

En bas, il me tend une tasse, toujours sans me regarder, puis il se détourne et se poste devant la fenêtre, dos à moi, les yeux fixés sur les rails, ou autre chose. D’un coup, je m’aperçois que les cadres photo à ma droite ont disparu. Tous. J’ai soudain des fourmis dans la nuque, et les poils de mes bras se hérissent. Je prends une gorgée de café que je peine à avaler. Ça ne va pas du tout.

Peut-être que c’est sa mère qui a tout enlevé. Elle n’aimait pas Megan, il n’a pas arrêté de me le répéter. Mais je repense à hier. Tout de même, quel genre de personne ferait une chose pareille ? Quel genre de personne baiserait une inconnue dans le lit conjugal alors que sa femme est morte depuis moins d’un mois ? Il se retourne alors pour me faire face et j’ai l’impression qu’il a lu dans mes pensées, parce qu’il a une expression singulière – du mépris, ou de la répulsion – et, moi aussi, il me révulse. Je repose ma tasse.

— Je ferais mieux d’y aller.

Il ne me retient pas.

La pluie s’est arrêtée. Dehors, le soleil brille, et je dois plisser les yeux dans la brume claire du matin. Un homme s’approche de moi – il vient se poster à quelques centimètres de mon visage dès l’instant où je pose le pied sur le trottoir. Je lève les mains, tourne et, d’un coup d’épaule, le dégage de mon chemin. Il me dit quelque chose, mais je n’entends pas quoi. Les mains levées et la tête baissée, ce n’est que lorsque je suis à moins de deux mètres d’elle que j’aperçois Anna, devant sa voiture, les mains sur les hanches, qui m’observe. Quand elle croise mon regard, elle secoue la tête, puis tourne les talons pour marcher jusqu’à sa porte d’entrée, presque au pas de course. Je reste immobile une seconde, à suivre sa silhouette légère vêtue d’un legging noir et d’un T-shirt rouge. J’ai une forte impression de déjà-vu. Ce n’est pas la première fois que je la vois s’éloigner ainsi de moi.

C’était juste après mon déménagement. J’étais venue voir Tom, récupérer quelque chose que j’avais oublié. Je ne me souviens pas de quoi, ça n’avait aucune importance de toute façon, je voulais juste passer à la maison et le voir. Je crois que c’était un dimanche, et j’avais déménagé le vendredi, ça faisait donc quarante-huit heures. Arrivée dans la rue, j’ai vu Anna qui transportait des affaires d’une voiture jusque dans la maison. Elle emménageait, alors que j’étais à peine partie. Elle ne devait pas s’inquiéter du qu’en-dira-t-on. Elle m’a aperçue et je me suis dirigée vers elle. Je ne sais pas ce que je comptais lui dire – rien de très rationnel, c’est certain. Je pleurais, ça, je me le rappelle. Et, comme aujourd’hui, elle est partie en courant. À ce moment-là, je ne savais pas le pire, la grossesse ne se voyait pas encore. Dieu merci. Je crois que je serais morte sur place.

Tandis que j’attends le train sur le quai, je suis prise d’un vertige. Je vais m’asseoir sur un banc et j’essaie de me rassurer : ce n’est qu’une gueule de bois. Cinq jours sans boire puis une cuite, et voilà. Mais je sais que ce n’est pas uniquement ça. C’est Anna. Cette image d’elle, et ce que j’ai ressenti en la voyant s’éloigner comme ça. De la peur.

ANNA

Samedi 10 août 2013

Matin

Ce matin, j’ai pris la voiture pour me rendre à mon cours de spinning à la salle de sport de Northcote, puis je suis passée chez Matches sur le chemin du retour et me suis offert une ravissante minirobe Max Mara (Tom me pardonnera quand il me verra avec). Je passais une très bonne matinée, mais, quand j’ai garé la voiture, j’ai remarqué qu’il y avait de l’agitation devant chez les Hipwell – maintenant, les photographes y stationnent en permanence – et c’était elle. Encore ! J’arrivais à peine à y croire. Rachel, qui fonçait droit sur un photographe, débraillée. J’étais quasiment sûre qu’elle sortait de chez Scott.

Ça ne m’a même pas énervée. J’étais surtout stupéfaite. Et quand j’en ai parlé à Tom comme si de rien n’était, calmement, il a eu l’air aussi décontenancé que moi.

— Je vais lui parler, a-t-il dit. Je finirai bien par savoir ce qui se passe.

— Tu as déjà essayé, ai-je répondu aussi gentiment que possible. Ça n’a rien changé.

J’ai suggéré qu’il était peut-être temps de demander conseil, de se renseigner sur les mesures à prendre pour imposer une ordonnance restrictive, ce genre de chose.

— Sauf qu’elle ne nous harcèle pas, si ? a-t-il fait remarquer. Elle ne nous téléphone plus, elle ne s’approche plus de nous, elle ne vient plus à la maison. Ne t’en fais pas, ma chérie, je vais régler ça.

Il a raison, au sujet du harcèlement. Mais ça m’est égal. Il se trame quelque chose, et je n’ai pas l’intention de l’ignorer. J’en ai assez qu’on me dise de ne pas m’en faire. J’en ai assez d’entendre qu’il va régler ça, qu’il va lui parler, qu’elle finira bien par s’en aller. Je pense que le moment est venu pour moi de prendre les choses en main. La prochaine fois que je la vois, j’appelle l’inspectrice de police, Riley. Elle a l’air gentille. Compréhensive. Je sais que Tom a de la peine pour Rachel, mais, franchement, je crois qu’il est temps que je me débarrasse de cette connasse une bonne fois pour toutes.

RACHEL

Lundi 12 août 2013

Matin

Nous sommes sur le parking du lac Wilton. On venait nager là tous les deux, avant, les jours où il faisait très chaud. Aujourd’hui, nous sommes assis côte à côte dans la voiture de Tom, vitres baissées pour profiter de la brise. J’ai envie de me laisser aller contre l’appuie-tête, de fermer les yeux, de sentir l’odeur des pins, d'écouter les oiseaux. J’ai envie de lui prendre la main et de rester ici toute la journée.

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