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Quand je me réveille à nouveau, Tom n’est plus à mes côtés, mais j’entends ses pas monter l’escalier. Il chante à voix basse et avec beaucoup de fausses notes : « Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire… » Je n’y ai même pas pensé tout à l’heure, j’avais complètement oublié ; je ne pensais à rien d’autre qu’à aller chercher ma petite fille et retourner me coucher. Et maintenant je pouffe alors que je ne suis même pas encore tout à fait réveillée. J’ouvre les yeux, je vois qu’Evie a le sourire, elle aussi, et, quand je lève la tête, Tom se tient au pied du lit, un plateau dans les mains. Il porte mon tablier préféré et rien en dessous.

— Petit déjeuner au lit pour la star du jour, dit-il.

Il pose le plateau et se dépêche de venir m’embrasser.

J’ouvre mes cadeaux. J’ai reçu un joli bracelet en argent incrusté d’onyx de la part d’Evie, et un débardeur en soie noir avec la culotte assortie de la part de Tom, et je n’arrête plus de sourire. Il grimpe dans le lit et nous restons là, allongés, Evie entre nous deux. Elle serre les doigts très fort autour de l’index de son père, je lui tiens son petit pied parfait, tout rose, et j’ai l’impression qu’un feu d’artifice a explosé dans ma poitrine. Ce n’est pas possible, de ressentir autant d’amour.

Un peu plus tard, quand Evie en a assez d’être là, je la prends et nous descendons au rez-de-chaussée en laissant Tom se rendormir. Il le mérite. Je m’affaire, je fais du rangement. Je prends mon café dehors, sur la terrasse, en regardant les trains à moitié vides passer avec fracas, et je réfléchis au déjeuner. Il fait chaud, trop chaud pour faire un rôti, mais c’est ce que je vais préparer quand même, parce que Tom adore le rôti de bœuf, et nous pourrons prendre de la glace après pour nous rafraîchir. Il faut juste que je ressorte acheter une bouteille de merlot, celui qu’il préfère, alors j’habille Evie, je l’installe dans sa poussette, et nous voilà sorties faire les magasins.

Tout le monde m’a répété que j’étais folle d’accepter d‘emménager dans la maison de Tom. Mais, après tout, tout le monde pensait aussi que j’étais folle d’entamer une liaison avec un homme marié, d’autant plus avec un homme dont l’épouse était aussi déséquilibrée, et je leur ai montré qu’ils avaient tort. Peu importent les problèmes qu’elle nous cause, Tom et Evie en valent la peine. Mais c’est vrai, pour la maison. Un jour comme celui-ci, avec le soleil qui brille, quand on marche le long de notre petite rue – une rue proprette bordée d’arbres qui, sans être un cul-de-sac, parvient tout de même à faire de nous une petite communauté –, cela pourrait presque être parfait. Le trottoir voit passer nombre de mères comme moi, le chien en laisse et l’enfant perché sur une trottinette. C’est presque idéal. Presque parfait, si on oublie qu’on entend sans arrêt le crissement de freins des trains. Presque idéal, tant qu’on ne se retourne pas vers le numéro quinze.

Quand je rentre, Tom est installé à la table de la salle à manger et lit quelque chose sur son ordinateur portable. Il est torse nu avec un short. Les muscles sous sa peau saillent dès qu’il bouge. Ça me donne toujours des papillons dans le ventre, de le voir. Je lui dis bonjour, mais il est plongé dans son monde et sursaute quand je passe les doigts sur son épaule. Il referme brusquement l’ordinateur.

— Salut, dit-il en se levant.

Il sourit mais il a l’air fatigué, inquiet. Il me prend Evie des bras sans croiser mon regard.

— Quoi ? dis-je. Qu’y a-t-il ?

— Rien.

Il se détourne et se dirige vers la fenêtre en faisant doucement balancer Evie contre sa hanche.

— Tom, qu’est-ce qu’il y a ?

— Ce n’est rien.

Il se retourne, et je sais ce qu’il s’apprête à dire avant qu’il ait ouvert la bouche.

— Rachel. Un nouvel e-mail.

Il secoue la tête, l’air meurtri, perturbé, et je déteste ça. Je ne le supporte plus. Parfois, j’ai envie de tuer cette femme.

— Qu’est-ce qu’elle t’a écrit ?

Il secoue à nouveau la tête.

— Aucune importance. C’était juste… Comme d’habitude. Des conneries.

— Je suis désolée.

Je ne demande pas quelles conneries, précisément, parce que je sais qu’il refusera de répondre. Il n’aime pas me contrarier avec ces histoires.

— Ce n’est pas grave, ce n’est rien, reprend-il. Des délires incohérents d’ivrogne. Toujours la même chose.

— Bon sang ! est-ce qu’elle va nous foutre la paix, un jour ? Est-ce qu’elle ne nous laissera jamais être heureux ?

Il s’approche et, notre fille calée entre nous deux, il m’embrasse.

— Mais nous le sommes, me souffle-t-il. Nous sommes heureux.

Soir

Nous sommes heureux. Nous avons déjeuné, nous nous sommes allongés sur la pelouse, puis, quand il a commencé à faire trop chaud, nous sommes rentrés manger de la glace pendant que Tom regardait le Grand Prix. Evie et moi avons joué avec de la pâte à modeler, et elle a réussi à en avaler des quantités. Je pense à ce qui se passe au bout de la rue et je me dis que j’ai beaucoup de chance, que j’ai obtenu tout ce que je désirais. Quand j’observe Tom, je lui suis reconnaissante de m'avoir trouvée, que j’aie été là pour le sauver de cette femme. Elle aurait fini par le rendre fou, j’en suis persuadée. Elle l’aurait écrasé, elle en aurait fait un autre homme, un homme qui n’aurait pas été lui.

Tom est monté avec Evie lui donner le bain. J’entends ses cris de ravissement d’en bas, et je souris à nouveau – un sourire qui a à peine quitté mes lèvres de la journée. Je fais la vaisselle, je range le salon, et je réfléchis au dîner. On devrait manger léger. C’est drôle, il y a quelques années, j’aurais détesté l’idée de rester à la maison et de faire la cuisine pour mon anniversaire, mais, désormais, c’est parfait, c’est pile ce qu’il faut. Nous trois, tout simplement.

Je ramasse les jouets d’Evie, étalés un peu partout sur le sol du salon, et je les remets dans leur coffre. J’ai hâte de la coucher tôt, ce soir, et d’enfiler l’ensemble que Tom m’a acheté. Le soleil ne se couchera pas avant plusieurs heures, mais j’allume les bougies sur le manteau de la cheminée et j’ouvre la seconde bouteille de merlot pour laisser respirer le vin. C’est alors que, penchée au-dessus du canapé pour fermer les rideaux, j’aperçois une femme, le menton baissé contre la poitrine, qui descend précipitamment la rue sur le trottoir opposé. Elle ne lève pas les yeux, mais c’est elle, j’en suis sûre. Je me penche un peu plus pour mieux l’examiner, mais je n’ai pas une bonne vue d’ici et elle a déjà disparu.

Je me retourne, prête à foncer sur la porte d’entrée pour la pourchasser dans la rue, mais Tom se tient en bas de l’escalier, avec Evie dans les bras, enveloppée dans une serviette de bain.

— Ça va ? demande-t-il. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Rien, dis-je en fourrant les mains dans mes poches pour qu’il ne les voie pas trembler. Il n’y a rien. Rien du tout.

RACHEL

Dimanche 21 juillet 2013

Matin

Je me réveille la tête emplie de lui. Ça n’a pas l’air vrai, rien ne me semble réel. J’ai la peau qui picote. J’aimerais tellement boire un verre, mais je ne peux pas. Il faut que je garde les idées claires. Pour Megan. Pour Scott.

Hier, j’ai fait un effort. Je me suis lavé les cheveux et maquillée. J’ai porté le seul jean qui me va encore, une tunique en coton imprimé et des sandales à petit talon. Ce n’était pas trop mal. Je n’arrêtais pas de me répéter que c’était ridicule de me soucier de ça, parce que la dernière chose qui devait intéresser Scott, c’était mon apparence, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. C’était la première fois que j’allais le rencontrer, c’était important pour moi. Plus que ça n’aurait dû.

J’ai pris le train qui partait d’Ashbury vers dix-huit heures trente, et je suis arrivée à Witney peu après dix-neuf heures. J’ai fait mon trajet habituel le long de Roseberry Avenue et à côté du passage souterrain, mais, cette fois, je n’ai pas levé les yeux, je n’ai pas pu. J’ai pressé le pas au niveau du numéro vingt-trois, la maison de Tom et Anna, menton baissé et lunettes de soleil sur le nez, en priant pour qu’ils ne me voient pas. Dehors, c’était calme, il n’y avait personne, juste quelques voitures qui roulaient lentement entre les rangées de véhicules garés des deux côtés. C’est une petite rue tranquille, ordonnée, où vivent beaucoup de jeunes familles ; vers dix-neuf heures, ils doivent tous être à table, ou installés sur le canapé, les tout-petits calés entre papa et maman, à regarder X Factor.

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