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Soir

Je pourrais me dire qu’il ne m’a pas vraiment rejetée. Je pourrais me persuader qu’il essaie juste d’agir de façon raisonnable, d’un point de vue moral et professionnel. Mais je sais que ce n’est pas vrai. Ou, en tout cas, ce n’est pas toute la vérité, parce que, quand on a suffisamment envie de quelqu’un, la morale ne fait pas le poids – et le professionnalisme encore moins. On ferait tout pour avoir cette personne. Alors, c’est qu’il n’a pas suffisamment envie de moi.

J’ai ignoré les appels de Scott tout l’après-midi, je suis arrivée en retard à mon rendez-vous, et je suis entrée directement dans son cabinet sans un mot à la réceptionniste. Il était installé à son bureau, en train d’écrire quelque chose. Il m’a jeté un coup d’œil quand je suis entrée, sans un sourire, puis il est revenu à ses papiers. Je me suis campée devant son bureau et j’ai attendu qu’il me regarde. Ça m’a semblé prendre une éternité.

— Tout va bien ? m’a-t-il enfin demandé, et il souriait, à présent. Vous êtes en retard.

La respiration coincée dans la gorge, je n’arrivais plus à parler. J’ai fait le tour de son bureau et je me suis appuyée dessus, et ma jambe a effleuré sa cuisse. Il a reculé sa chaise.

— Megan, vous allez bien ?

J’ai secoué la tête. Je lui ai tendu la main et il l’a prise.

— Megan, a-t-il répété, non.

Je n’ai rien dit.

— Vous ne pouvez pas… Vous devriez vous asseoir, a-t-il dit. Parlons-en.

J’ai secoué la tête.

— Megan.

Chaque fois qu’il répétait mon nom, il ne faisait qu’empirer les choses.

Il s’est levé pour faire le tour de son bureau, pour mettre de la distance entre nous. Il s’est tenu au milieu de la pièce.

— Allons, a-t-il dit, la voix professionnelle – brusque, même. Asseyez-vous.

Je l’ai suivi jusqu’au milieu de la pièce, j’ai posé une main sur sa taille et l’autre sur son torse. Il m’a saisi les poignets et s’est éloigné.

— Non, Megan. Vous ne pouvez pas… nous ne pouvons pas…

Il s’est détourné.

— Kamal, ai-je dit, la voix séductrice – et j’ai détesté m’entendre ainsi. Je t’en prie…

— Ça… là. C’est déplacé. C’est normal, bien évidemment, mais…

Je lui ai dit que je voulais être avec lui.

— C’est un transfert, Megan, a-t-il dit. Ça arrive de temps en temps. Ça m’arrive à moi aussi, d’ailleurs. J’aurais dû aborder ce sujet la dernière fois. Je suis désolé.

Alors j’ai eu envie de hurler. À l’entendre, ça semblait tellement banal, tellement froid, tellement commun.

— Tu veux dire que tu ne ressens rien ? ai-je demandé. Tu veux dire que c’est moi qui imagine tout ça ?

Il a secoué la tête.

— Megan, je n’aurais jamais dû laisser les choses aller aussi loin.

Je me suis rapprochée de lui, j’ai mis les mains sur ses hanches pour le faire pivoter vers moi. Une nouvelle fois, il m’a attrapée, et ses longs doigts se sont refermés sur mes poignets.

— Je pourrais perdre mon travail, a-t-il dit, et c’est là que je me suis vraiment énervée.

Je me suis écartée, comme enragée. Il a essayé de me retenir, mais en vain. Je lui ai hurlé dessus, je lui ai dit que je n’en avais rien à foutre de son putain de boulot. Il essayait de me calmer – il devait s’inquiéter de ce qu’allaient penser la réceptionniste ou les autres patients. Il m’a attrapée par les épaules, ses pouces se sont enfoncés dans la chair en haut de mes bras, et il m’a ordonné de me calmer, d’arrêter d’agir comme une enfant. Il m’a secouée très fort ; l’espace d’un instant j’ai cru qu’il allait me gifler.

Je l’ai embrassé sur la bouche et j’ai mordu sa lèvre inférieure aussi fort que j’ai pu ; j’ai senti le goût du sang sur ma langue. Il m’a repoussée.

J’ai passé tout le chemin du retour à concocter ma vengeance. J’ai réfléchi à tout ce que je pourrais lui faire. Je pourrais le faire virer, ou pire. Mais je n’en ferai rien, je l’apprécie trop pour ça. Je ne veux pas lui faire de mal. Ce n’est même plus tant le fait d’avoir été rejetée qui me dérange, maintenant. Ce qui me dérange, c'est que je n’ai pas pu finir de raconter mon histoire, et je ne peux pas recommencer depuis le début avec quelqu’un d’autre, c’est trop difficile.

Et maintenant, je n’ai pas envie de rentrer parce que je ne sais pas comment je vais expliquer à Scott les bleus sur mes bras.

RACHEL

Lundi 22 juillet 2013

Soir

Et maintenant, j’attends. C’est insoutenable, cette incertitude, la lenteur avec laquelle tout est destiné à se mouvoir. Mais il n’y a rien de plus à faire.

J’avais raison, ce matin, quand j’ai senti cet effroi. Mais j’ignorais de quoi je devais avoir peur.

Pas de Scott. Quand il m’a attirée à l’intérieur, il a dû voir la terreur dans mes yeux, car il m’a presque aussitôt lâchée. Avec ses yeux fous et ses cheveux en bataille, il a semblé se recroqueviller pour échapper à la lumière.

— Qu’est-ce que vous faites là ? Il y a des photographes et des journalistes partout autour de la maison. Je ne peux pas laisser n’importe qui venir chez moi. Ils vont raconter… ils essaieront… Ils feront tout pour avoir des images, pour pouvoir…

— Il n’y a personne dehors, ai-je dit.

Pour être honnête, je n’avais pas vraiment regardé. Il aurait pu y avoir des journalistes tapis dans leurs voitures, à l’affût du moindre mouvement.

— Qu’est-ce que vous faites là ? a-t-il répété.

— J’ai appris la nouvelle… C’était dans le journal ce matin. Je voulais juste savoir… Est-ce que c’est lui ? l’homme qu’ils ont arrêté ?

Il a hoché la tête.

— Oui. Tôt ce matin. La policière qui me tient au courant de l’avancement de l’enquête, Riley, elle est venue me le dire, mais elle n’avait pas l’autorisation de… Ils n’ont pas voulu me dire pourquoi. J’imagine qu’ils ont découvert quelque chose, mais ils ne veulent pas me dire ce que c’est. Je sais simplement que ce n’est pas elle. Je sais qu’ils ne l’ont pas trouvée.

Il s’est assis dans l’escalier et a serré ses bras autour de lui. Son corps entier s’est retrouvé pris de tremblements.

— Je ne supporte pas ça. D’attendre que le téléphone sonne. Quand il sonnera, qu’est-ce qu’on va m’annoncer ? Le pire ? Est-ce qu’on me dira…

Sa voix s’est éteinte, et il a relevé les yeux comme s’il se rendait tout juste compte de ma présence.

— Pourquoi êtes-vous venue ici ?

— Je voulais… je pensais que vous ne voudriez pas être seul.

Il m’a regardée comme si j’étais folle.

— Je ne suis pas seul.

Il s’est levé et m’a bousculée pour rejoindre le salon. Je suis restée là un instant, sans savoir si je devais le suivre ou partir, jusqu’à ce qu’il me crie :

— Vous voulez un café ?

Il y avait une femme dans le jardin, en train de fumer. Grande, avec des cheveux poivre et sel, elle était élégamment vêtue d’un pantalon noir et d’un chemisier blanc boutonné jusqu’au col. Elle faisait les cent pas sur la terrasse, mais, dès qu’elle m’a aperçue, elle s’est arrêtée, a jeté d’une chiquenaude sa cigarette sur les dalles, puis l’a écrasée du bout du pied.

— Vous êtes de la police ? m’a-t-elle demandé, dubitative, en rentrant dans la cuisine.

— Non, je…

— Maman, je te présente Rachel Watson, est intervenu Scott. C’est la femme qui m’a contacté pour me parler d’Abdic.

Elle a acquiescé lentement, comme si l’explication de Scott ne la renseignait pas vraiment ; elle m’a examinée rapidement de la tête aux pieds puis des pieds à la tête.

— Oh.

— Je voulais, euh…

Je n’avais pas de bonne raison d’expliquer ma venue. Je ne pouvais pas non plus lui dire : « Je voulais juste savoir. Je voulais voir. »

— Eh bien, Scott vous est très reconnaissant de vous être manifestée. Comme vous vous en doutez, maintenant, nous attendons qu’on nous explique exactement ce qui se passe.

Elle a fait un pas vers moi, m’a prise par le coude et gentiment fait pivoter vers la porte d’entrée. J’ai jeté un regard à Scott, mais il était tourné vers le jardin, les yeux fixés sur quelque chose dehors, au-delà de la voie ferrée.

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