Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Hier, après être descendue du train, je suis restée dans les alentours de la gare pendant quinze bonnes minutes pour vérifier s’il était sorti du train avec moi (l’homme aux cheveux roux), mais je ne l’ai pas vu. Je n’arrêtais pas de penser que je l’avais sûrement manqué, qu’il était là, quelque part, à guetter le moment où je repartirais chez moi pour pouvoir me suivre. Je songeais à quel point j’aurais aimé pouvoir courir à la maison, et que Tom soit là à m’attendre. Que quelqu’un soit là à m’attendre.

Sur le chemin du retour, je me suis arrêtée acheter du vin.

Quand je suis rentrée, l’appartement était vide, et j’ai eu le sentiment qu’on venait de le quitter, comme si j’avais failli croiser Cathy à quelques minutes près, mais un petit mot sur le plan de travail m’annonçait qu’elle était sortie déjeuner avec Damien à Henley et qu’elle ne rentrerait pas avant dimanche soir. J’étais nerveuse, effrayée. Je me suis mise à passer de pièce en pièce pour prendre des objets puis les reposer. Quelque chose ne tournait pas rond, et j’ai fini par me rendre compte que c’était moi.

La façon dont le silence résonnait dans mes oreilles ressemblait à des voix, alors je me suis servie un verre de vin, puis un autre, et j’ai téléphoné à Scott. Je suis tombée tout de suite sur sa messagerie : une annonce venue d’une autre vie, la voix assurée d’un homme actif avec une épouse magnifique qui l’attend à la maison. Après quelques minutes, j’ai rappelé. On a décroché, mais sans dire un mot.

— Allô ?

— Qui est-ce ?

— C’est Rachel. Rachel Watson.

— Oh.

Du bruit derrière lui, des voix, une femme. Sa mère, peut-être.

— Vous… j’ai manqué votre appel, ai-je ajouté.

— Non… non. Je vous ai téléphoné ? Oh. Par erreur.

Il semblait agité.

— Non, mets-le là.

Il m’a fallu un instant pour comprendre que ce n’était pas à moi qu’il s’adressait.

— Je suis désolée, ai-je repris.

— Oui.

Il parlait d’un ton plat, égal.

— Vraiment désolée.

— Merci.

— Est-ce que… est-ce que vous aviez besoin de discuter ?

— Non, j’ai dû vous appeler par erreur, a-t-il répondu, avec plus de conviction, cette fois.

— Oh.

Je sentais bien qu’il avait envie de raccrocher. Je savais que j’aurais dû le laisser à sa famille, à son chagrin. Je le savais, mais je n’en ai rien fait.

— Vous connaissez Anna ? ai-je demandé. Anna Watson ?

— Qui ça ? La femme de votre ex ?

— Oui.

— Non. Enfin, pas vraiment. Megan… Megan a fait un peu de baby-sitting pour elle, l’an dernier. Pourquoi vous me demandez ça ?

Je ne sais pas pourquoi j’ai demandé ça. Je ne sais pas.

— Pourrait-on se voir ? ai-je encore dit. Je voudrais vous parler de quelque chose.

— De quoi ? a-t-il dit, agacé. Ce n’est pas le moment idéal.

Blessée par son sarcasme, je m’apprêtais à raccrocher quand il a repris :

— La maison ne désemplit pas, pour l’instant. Demain ? Passez chez moi demain après-midi.

Soir

Il s’est coupé en se rasant : il a du sang sur la joue et le col. Il a les cheveux mouillés et sent le savon et l’après-rasage. Il me salue d’un hochement de tête et me fait signe d’entrer, mais il ne prononce pas un mot. Dans la maison plongée dans l’obscurité, il fait chaud, les volets sont fermés dans le salon et les rideaux sont tirés devant les portes-fenêtres qui mènent au jardin. Il y a des Tupperware entassés partout dans la cuisine.

— Tout le monde m’apporte à manger, explique Scott.

Il m’indique une chaise pour que je m’assoie à la table, mais lui reste debout, les bras ballants.

— Vous vouliez me dire quelque chose ?

Il est en pilotage automatique, il ne me regarde pas dans les yeux. Abattu.

— Je voulais vous parler d’Anna Watson, de… Je ne sais pas. Qu’est-ce que vous savez de sa relation avec Megan ? Est-ce qu’elles s’appréciaient ?

Il fronce les sourcils, pose les mains sur le dossier de la chaise devant lui.

— Non. Je veux dire… ce n’est pas qu’elles ne s’appréciaient pas. Mais elles ne se connaissaient pas très bien. Elles n’avaient pas de relation.

Ses épaules semblent s’affaisser encore plus, il est épuisé.

— Pourquoi vous me posez ces questions ?

Il faut que je lui avoue.

— Je l’ai vue. Je crois que je l’ai vue, à la sortie du passage souterrain, près de la gare. Je l’ai vue ce soir-là… le soir où Megan a disparu.

Il secoue légèrement la tête comme pour comprendre ce que je viens de dire.

— Pardon ? Vous l’avez vue. Vous étiez… Où étiez-vous ?

— J’étais là. J’allais voir… voir Tom, mon ex-mari, mais je…

Il ferme les yeux et se frotte le front.

— Attendez une minute. Vous étiez là et vous avez vu Anna Watson ? Et… ? Je sais qu’Anna était là. Elle habite à quelques maisons d’ici et elle a dit à la police qu’elle était allée à la gare vers dix-neuf heures, mais qu’elle ne se souvenait pas d'avoir vu Megan.

Ses mains agrippent le dossier et je sens qu’il est en train de perdre patience.

— Qu’est-ce que vous voulez dire, exactement ?

— J’avais bu, je réponds, le visage rougissant d’une honte familière. Je ne me rappelle pas tout, mais j’ai la sensation que…

Scott lève une main.

— Ça suffit. Je n’ai pas envie d’entendre la suite. Vous avez un problème avec votre ex, avec la nouvelle femme de votre ex, c’est clair. Et ça n’a rien à voir avec moi, ni avec Megan, pas vrai ? Bon Dieu ! et vous n’avez pas honte ? Vous savez que la police m’a encore interrogé ce matin, au poste ?

Il appuie si fort sur la chaise que je crains qu’elle ne se brise, et je me prépare au craquement.

— Et vous, vous venez me raconter vos conneries. Je suis désolé que votre vie soit une telle merde, mais, croyez-moi, à côté de la mienne, c’est une partie de plaisir. Alors, si ça ne vous ennuie pas…

Et d’un mouvement sec de la tête, il me désigne la porte d’entrée.

Je me lève. Je me sens bête, ridicule. Et, oui, j’ai honte.

— Je voulais juste vous aider, je voulais…

— Vous ne pouvez rien faire, d’accord ? Rien. Personne ne peut m’aider. Ma femme est morte, et la police pense que je l’ai tuée.

Sa voix enfle, et des taches de couleur apparaissent sur ses joues.

— Ils pensent que je l’ai tuée.

— Mais… Kamal Abdic…

La chaise heurte le mur de la cuisine si fort qu’un des pieds vole en éclats. Effrayée, je bondis en arrière, mais Scott a à peine bougé. Ses bras ont repris leur place le long de son corps, les poings serrés. Je distingue les veines sous sa peau.

— Kamal Abdic, répond-il entre ses dents, n’est plus considéré comme un suspect.

Bien qu’il parle d’un ton égal, je vois qu’il lutte pour se contenir. Je sens la colère vibrer dans tout son corps. Je voudrais me diriger vers la porte, mais il se tient entre elle et moi, et il bloque le peu de lumière qui entre dans la pièce.

— Vous savez ce qu’il leur a dit ? demande-t-il, alors qu’il se retourne pour ramasser la chaise.

Bien sûr que non, je songe, mais une nouvelle fois je me rends compte que ce n’est pas vraiment à moi qu’il parle.

— Kamal a plein d’histoires à raconter. Kamal a dit que Megan était malheureuse, que j’étais un mari jaloux qui la gardait sous sa coupe, que je… Comment il a tourné ça, au fait ? Ah oui, que j’exerçais une « violence psychologique » sur Megan.

Il crache ces mots d’un air dégoûté.

— Kamal dit que Megan avait peur de moi.

— Mais il est…

— Et ce n’est pas le seul. Sa copine, là, Tara. Elle a dit à la police que Megan lui demandait parfois de la couvrir, que Megan voulait qu’elle me mente au sujet de l’endroit où elle se trouvait, de ce qu’elle faisait.

Il repose la chaise à sa place, devant la table, mais elle tombe. Je fais un pas vers l’entrée, mais, soudain, il me regarde.

— Je suis un homme coupable, dit-il, le visage pétri d’angoisse. Je suis pratiquement déjà condamné.

45
{"b":"273437","o":1}