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Son téléphone portable se met à sonner. Il y jette un coup d’œil puis le range dans sa poche.

— Quand on parle du loup… Elle ne s’arrête jamais, celle-là.

Je le suis dans la cuisine.

— Je suis désolée pour ce qui s’est passé, dis-je.

Il hausse les épaules.

— Je sais. Ce n’est pas votre faute, tout ça. Enfin, ç'aurait été plus efficace si vous…

— … si je n’étais pas une ivrogne ?

Le dos tourné, il verse le café.

— Oui, voilà. Mais, de toute façon, ils n’avaient pas assez d’éléments pour l’inculper de quoi que ce soit.

Il me tend ma tasse et nous nous asseyons. Je remarque qu’un des cadres photo est maintenant face contre la petite table. Scott continue de parler :

— Ils ont trouvé des trucs dans sa maison, des cheveux, des cellules mortes, mais il ne nie pas qu’elle est venue chez lui. Enfin, au début, il l’a nié, mais ensuite il a admis qu’elle avait déjà été là-bas.

— Mais pourquoi commencer par mentir ?

— Exactement. Il a admis qu’elle était venue deux fois chez lui, mais juste pour parler. Il refuse de dire de quoi – encore cette histoire de secret médical. Les cheveux et les cellules mortes ont été retrouvés au rez-de-chaussée. Rien dans la chambre. Il jure par tous les saints qu’ils n’entretenaient pas de liaison. Mais vu que c’est un menteur…

Il se passe une main sur les yeux. On dirait que son visage s’apprête à sombrer, ses épaules s’affaissent, il est ramassé sur lui-même.

— Il y avait une trace de sang dans sa voiture.

— Oh ! mon Dieu.

— Ouais. Le même groupe sanguin qu’elle. Ils ne savent pas s’ils pourront en tirer un marqueur ADN parce que l’échantillon est trop faible. Et ils n’arrêtent pas de dire que ce n’est sûrement rien. Mais comment peuvent-ils dire que ce n’est rien s'ils ont trouvé du sang de Megan dans sa voiture ?

Il secoue la tête.

— Vous aviez raison. Plus j’en apprends sur ce type, plus j’en suis sûr.

Il me regarde droit dans les yeux pour la première fois depuis que nous sommes arrivés.

— Il la sautait, elle a voulu le quitter, alors il… il lui a fait quelque chose. C’est tout. J’en suis persuadé.

Il a perdu tout espoir, et je ne peux pas lui en vouloir. Cela fait plus de deux semaines, maintenant, et elle n’a pas allumé son téléphone, elle n’a pas utilisé sa carte bancaire, et elle n’a pas retiré d’argent à un distributeur. Personne ne l’a vue. Elle a disparu.

— Il a dit à la police qu’elle est peut-être partie, reprend Scott.

— Le docteur Abdic ?

Scott acquiesce.

— Il a dit à la police qu’elle n’était pas heureuse avec moi et qu’elle aurait pu partir.

— Il essaie de faire peser les soupçons sur vous, pour que la police croie que c’est vous qui lui avez fait quelque chose.

— Je sais, ça. Mais on dirait qu’ils gobent tout ce que leur raconte ce connard. C’est cette Riley, ça se voit à la manière dont elle parle de lui. Elle le trouve sympathique. Le pauvre réfugié opprimé.

Il baisse la tête, fourbu.

— Il a peut-être raison. Il y a eu cette horrible dispute, après tout. Mais je n’arrive pas à croire que… C’est faux, elle n’était pas malheureuse avec moi. C’est faux. C’est faux.

À la troisième fois, je me demande si c’est lui-même qu’il cherche à convaincre.

— Mais si elle a eu un amant, c’est qu’elle devait bien être malheureuse, non ? reprend-il.

— Pas nécessairement, dis-je. C’était peut-être simplement un de ces… Comment ils appellent ça ? Un transfert. C’est le mot, non ? Quand un patient commence à avoir des sentiments pour le médecin qui le traite – ou qu’il croit avoir des sentiments. Mais le psychologue est censé résister à ces sentiments, et montrer au patient qu’ils ne sont pas réels.

Il me regarde toujours dans les yeux, mais je sens qu’il ne m’écoute pas.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demande-t-il soudain. Pour vous. Vous avez quitté votre mari. C’était à cause de quelqu’un d’autre ?

Je secoue la tête.

— Non, l’inverse. Il a rencontré Anna.

— Désolé.

Il s’interrompt, et je sais ce qu’il va me demander, alors je le devance.

— Ça a commencé avant, quand on était encore mariés. Les problèmes d’alcool. C’est ce que vous vouliez savoir, non ?

Il acquiesce à nouveau.

— On essayait d’avoir un enfant, dis-je, mais ma voix me trahit.

Encore après tout ce temps, chaque fois que j’aborde le sujet, les larmes me montent aux yeux.

— Désolée.

— Ce n’est rien.

Il se lève, va jusqu’à l’évier et emplit un verre d’eau qu’il pose devant moi sur la table. Je m’éclaircis la gorge, et j’essaie de rester aussi objective que possible.

— On essayait d’avoir un enfant, mais ça ne marchait pas. J’étais de plus en plus déprimée, et j’ai commencé à boire. Je suis devenue extrêmement difficile à vivre et Tom est parti chercher du réconfort ailleurs. Elle n’a été que trop heureuse de le lui apporter.

— Je suis vraiment désolé, c’est affreux. Je sais… Je voulais un enfant. Megan me répondait toujours qu’elle n’était pas encore prête.

C’est à son tour d’essuyer ses larmes.

— C’est une des choses… On se disputait parfois à cause de ça.

— C’est à ce sujet que vous vous êtes disputés, le soir où elle est partie ?

Il soupire, repousse sa chaise et se lève.

— Non, répond-il avant de se détourner. C’était autre chose.

Soir

Quand j’arrive à la maison, Cathy m’attend dans la cuisine. Elle boit un verre d’eau, l’air furieux.

— Bonne journée au bureau ? lâche-t-elle, les lèvres pincées.

Elle sait.

— Cathy…

— Damien avait une réunion du côté d'Euston, ce matin. En sortant, il est tombé sur Martin Miles. Ils se connaissent un peu, tu te rappelles ? Quand Damien bossait pour Laing Fund Management, c’était Martin qui était chargé de gérer leurs relations publiques.

— Cathy…

Elle lève une main et reprend une gorgée d’eau.

— Ça fait des mois que tu ne travailles plus là-bas, Rachel ! Des mois ! Tu imagines comme je me sens bête, en ce moment ? Et Damien ? Je t’en prie, je t’en supplie, dis-moi que tu as un autre travail et que tu as simplement oublié de m’en parler. Dis-moi que tu ne faisais pas semblant d’aller au travail. Que tu ne m’as pas menti, jour après jour, tout ce temps.

— Je ne savais pas comment te le dire…

— Tu ne savais pas comment me le dire ? Pourquoi pas : « Cathy, je me suis fait virer parce que je me suis pointée ivre morte au boulot » ? Qu’est-ce que tu en penses ?

Je tressaille, et son visage se radoucit.

— Je suis désolée, mais tout de même, Rachel.

Elle est vraiment trop gentille.

— Mais qu’est-ce que tu fabriques ? Où tu vas, qu’est-ce que tu fais, toute la journée ?

— Je marche. Je vais à la bibliothèque. Parfois…

— Tu vas au pub ?

— Ça arrive. Mais…

— Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?

Elle s’approche pour poser les mains sur mes épaules.

— Tu aurais dû m’en parler.

— J’avais trop honte, dis-je.

Et je me mets à pleurer. J’ai envie de rentrer sous terre, mais les larmes coulent. Je sanglote et sanglote, et cette pauvre Cathy me prend contre elle, me caresse les cheveux, me dit que ça va aller et que tout va s’arranger. Je suis au fond du trou. Je ne me suis presque jamais autant détestée.

Un peu plus tard, Cathy et moi sommes assises sur le canapé avec une tasse de thé, et elle me donne le programme : je vais arrêter de boire, je vais reprendre mon CV, et je vais rappeler Martin Miles pour le supplier de me rédiger une lettre de recommandation. Je ne vais plus gaspiller mon argent à faire des allers et retours en train à Londres pour rien.

— Franchement, Rachel, je ne comprends pas comment tu as pu continuer cette mascarade aussi longtemps.

Je hausse les épaules.

— Le matin, je prends le train de 8 h 04. Le soir, je prends celui de 17 h 56. C’est mon train. C’est celui que je prends. C’est comme ça.

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