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— Quoi ?

— J’avais une coupure, Tom, à la tête. Je saignais.

— Tu es en train d’accuser Anna de t’avoir fait du mal ?

Il crie, il est furieux.

— Non mais franchement, Rachel. C’en est assez ! J’ai réussi à convaincre plus d’une fois Anna de ne pas aller voir la police à ton sujet, mais si tu continues comme ça, si tu continues de nous harceler, d’inventer des choses…

— Je ne l’accuse de rien du tout, Tom. J’essaie juste de comprendre. Je ne me…

— Tu ne te souviens pas ! Évidemment. Rachel ne se souvient pas.

Il pousse un soupir de lassitude.

— Écoute, Anna t’a vue, tu étais ivre et agressive. Alors je suis sorti te chercher. Tu étais dans la rue. Je crois que tu avais dû tomber. Tu étais dans tous tes états. Tu t’étais coupée à la main.

— Je ne m’étais pas…

— Bon, tu avais du sang sur la main, en tout cas. Je ne sais pas comment il est arrivé là. Je t’ai dit que j’allais te ramener chez toi, mais tu ne m’écoutais pas. Tu étais incontrôlable, tu tenais des propos incohérents. Tu t’es éloignée et je suis allé prendre la voiture, mais, quand je suis revenu, tu n’étais plus là. J’ai roulé jusqu’à la gare, mais je ne t’ai pas vue. J’ai tourné encore un peu – Anna avait très peur que tu sois restée dans les parages et que tu reviennes, que tu essaies d’entrer dans la maison. Moi, j’avais peur que tu fasses une mauvaise chute ou que tu t’attires des ennuis… Je suis allé jusqu’à Ashbury. J’ai sonné, mais tu n’étais pas là. J’ai essayé de t’appeler plusieurs fois. Je t’ai laissé un message. Et, oui, j’étais en colère. J’étais très énervé, à ce moment-là.

— Je suis désolée, Tom. Je suis vraiment désolée.

— Je sais. Tu es toujours désolée.

— Tu as dit que j’avais crié sur Anna…

Je me crispe à cette idée, mais je vais au bout de ma phrase :

— … qu’est-ce que je lui ai dit ?

— Je ne sais pas, répond-il sèchement. Tu veux que j’aille la chercher ? Tu voudrais peut-être lui en toucher un mot ?

— Tom…

— Franchement, qu’est-ce que ça change, maintenant ?

— Est-ce que tu as vu Megan Hipwell, ce soir-là ?

— Non.

Sa voix se fait soudain inquiète.

— Pourquoi ? Tu l’as vue, toi ? Tu ne lui as rien fait, hein ?

— Non, bien sûr que non.

Il garde le silence un instant, puis reprend :

— Alors, pourquoi tu me poses cette question ? Rachel, si tu sais quelque chose…

— Je ne sais rien, dis-je. Je n’ai rien vu.

— Pourquoi tu étais chez Scott Hipwell, lundi ? Dis-moi au moins ça, s’il te plaît, que je puisse enfin rassurer Anna. Elle est très inquiète.

— J’avais quelque chose à lui dire. Je pensais que ça pourrait lui être utile.

— Tu n’as pas vu Megan Hipwell, mais tu avais quelque chose d’utile à raconter à son mari ?

J’hésite. Je ne sais pas ce que je peux lui confier, ou si je dois tout garder pour Scott.

— C’est au sujet de Megan, dis-je enfin. Elle avait un amant.

— Attends… tu la connaissais ?

— Un tout petit peu.

— Comment ?

— Je l’avais rencontrée à la galerie.

— Oh. Et le type, c’était qui ?

— Son psy. Kamal Abdic. Je les ai vus ensemble.

— Ah bon ? le type qu’ils ont arrêté ? Je croyais qu’il avait été relâché.

— Oui. Et c’est ma faute, parce que je ne suis pas un témoin suffisamment fiable.

Tom rit, mais c’est un rire doux, amical, pas un rire pour se moquer de moi.

— Allons, Rachel. Tu as bien fait d’en parler à la police. Je suis sûr qu’ils avaient d’autres raisons.

Derrière lui, j’entends son enfant gazouiller, et Tom parle à l’intention de quelqu’un d’autre, je ne comprends pas ce qu’il dit.

— Je dois y aller, reprend-il.

Je l’imagine reposer le téléphone, attraper sa petite fille pour l’embrasser, et prendre sa femme dans ses bras. Et, dans la plaie, le couteau continue de remuer, encore et encore et encore.

Lundi 29 juillet 2013

Matin

Il est huit heures sept et je suis à bord du train. Retour au travail imaginaire. Cathy a passé le week-end avec Damien et, quand je l’ai croisée hier soir, je ne lui ai pas laissé l’opportunité de me réprimander : j’ai commencé tout d’abord par m’excuser, je lui ai dit que je n’allais pas bien du tout, mais que j’essayais de me reprendre et que je voulais repartir de zéro. Elle a accepté mes excuses – ou, en tout cas, elle a fait semblant de les accepter – et m’a prise dans ses bras. La gentillesse incarnée.

On ne parle presque plus de Megan aux informations. Hier, dans le Sunday Times, une tribune sur l’incompétence policière y a brièvement fait allusion – une source anonyme, émanant du service des poursuites judiciaires de la Couronne, l’a citée en exemple comme « une de ces nombreuses occasions au cours desquelles la police procède à une arrestation hâtive fondée sur des éléments de preuve fragiles, voire erronés ».

Nous arrivons au niveau du feu. Je sens le brinquebalement familier du train qui ralentit, et je lève les yeux, je ne peux pas m’en empêcher, ce serait trop dur, mais il n’y a plus rien à observer. Les portes sont fermées, les rideaux tirés. Il n’y a rien à voir, à part la pluie, des trombes d’eau, et des traînées boueuses qui s’accumulent au fond du jardin.

Sur un coup de tête, je descends à Witney. Tom n’a pas pu m’aider, mais peut-être que l’autre homme le pourrait, l’homme aux cheveux roux. J’attends que les autres passagers sortis avec moi aient disparu en bas des escaliers et je vais m’asseoir sur le seul banc à l’abri sur le quai. Qui sait, je pourrais avoir de la chance. Je pourrais le voir monter dans un train. Je pourrais le suivre, lui parler. C’est tout ce qu’il me reste, ma dernière carte. Si ça ne donne rien, il faudra que j’abandonne. Je n’aurai plus le choix.

Une demi-heure passe. Chaque fois que j’entends des pas sur les marches, mon rythme cardiaque s’accélère. Chaque fois que des talons claquent sur le sol, je suis prise d’inquiétude. Si Anna me voit ici, je risque d’avoir des ennuis. Tom m’a prévenue. Il a réussi à l’empêcher de mêler la police à tout ça jusqu’ici, mais si je continue ainsi…

Neuf heures et quart. À moins qu’il ne commence le travail très tard, je l’ai manqué. Il pleut plus fort, désormais, et je n’ai pas le courage d’affronter une nouvelle journée vaine à Londres. Je n’ai plus dans mon portefeuille qu’un unique billet de dix livres que j’ai emprunté à Cathy, et il faut qu’il me dure jusqu’à ce que je trouve le courage de demander de l’argent à ma mère. Je descends l’escalier avec l’intention de rejoindre l’autre quai pour rentrer à Ashbury quand, soudain, j’aperçois Scott qui sort de chez le marchand de journaux en face de l’entrée de la gare, le col remonté pour se protéger le visage.

Je lui cours après et le rattrape au coin de la rue, devant le passage souterrain. Je le prends par le bras et il se retourne vivement, surpris.

— S’il vous plaît, dis-je, je peux vous parler ?

— Putain ! crache-t-il, mais qu’est-ce que vous me voulez, maintenant ?

Je recule, les mains en l’air.

— Je suis désolée, dis-je, je suis désolée. Je voulais juste m’excuser, et vous expliquer…

Les trombes d’eau se sont transformées en un véritable déluge. Nous sommes les seules personnes dans la rue, tous deux trempés jusqu’aux os. Scott se met à ricaner, puis lève les bras et éclate de rire.

— Venez à la maison, dit-il alors. On va se noyer si on reste là.

En attendant que l’eau bouille, Scott monte au premier me chercher une serviette. La maison est un peu plus en désordre que la semaine dernière, et l’odeur de désinfectant a été remplacée par une odeur plus naturelle. Des journaux sont empilés dans un coin du salon, et plusieurs tasses traînent sur la table basse et le manteau de la cheminée.

Scott réapparaît à côté de moi et me tend une serviette.

— Je sais, c’est un dépotoir. Ma mère me rendait dingue à force de nettoyer et de ranger derrière moi. On s’est un peu disputés. Ça fait quelques jours qu’elle n’est pas venue me voir.

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